[EXCLUSIF]- L’IA POUR GÉRER LE PIRE DES SCÉNARIOS EN SOINS INTENSIFS

[EXCLUSIF]- L’IA POUR GÉRER LE PIRE DES SCÉNARIOS EN SOINS INTENSIFS

Le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec se prépare au pire. Celui-ci a élaboré un plan de triage au cas où la pandémie actuelle devient incontrôlable et que le matériel médical vient à manquer. Des comités devront déterminer quel patient aura droit à des soins en fonction de leurs chances de survie. Et l’intelligence artificielle pourrait déterminer les pronostics guidant les choix de ces comités. CScience IA a eu accès au document du Ministère et vous en livre l’essentiel.

Si jamais tout va très, très mal

L’éthicienne Marie-Ève Bouthillier est chef du centre d’éthique du CISSS de Laval. L’établissement avait implanté de telles mesures lors de l’épidémie H1N1 en 2009, inspiré par le modèle ontarien.

Mandatée par la sous-ministre adjointe Dre Lucie Opatrny en Mars 2020, la chef du centre d’éthique a rédigé le protocole national, intitulé “Triage pour l’accès aux soins intensifs (adultes et pédiatriques) et l’allocation des ressources telles que les respirateurs en situation extrême de pandémie”, obtenu par CScience IA. 

“On pense que c’est mieux de le faire de façon planifiée et raisonnée plutôt que de laisser ça à l’arbitraire”, explique Marie-Ève Bouthillier. “Parce que sinon ça donne l’exemple italien.”

“Il s’agit d’une planification de scénario catastrophique et inédit,” poursuit-elle, comparant la situation envisagée à un écrasement d’avion ou une zone de guerre.

En situations catastrophiques telles qu’envisagées dans le document, les soins ne seraient plus prodigués en fonction du “premier arrivé, premier servi”, mais plutôt selon les chances de survie en cas d’intervention. 

Trois sur le triage

Les hôpitaux participant à ce protocole devraient former 5 équipes de triage, composées de 3 membres par équipe: un médecin intensiviste, un deuxième médecin (pas besoin d’être intensiviste) et un troisième membre, idéalement un.e éthicien.ne. La rémunération potentielle des médecins participant à ces comités n’a pas encore été clairement communiquée. 

Les membres sont nommés par le Directeur des services professionnels. Ceux-ci devront prendre des décisions unanimes en fonction des risques de survie des patients admis.

Comment ça marche?

Il y a trois étapes de triage. D’abord, l’étape 1 de triage exclut tout patient dont le taux de mortalité estimé est supérieur à 80 %. L’étape 2 de triage exclut les patients dont le taux de mortalité estimé est supérieur à 50 %. L’Étape 3 de triage exclut les patients dont le taux de mortalité estimé est supérieur à 30 %. 

Si les chances de survie immédiate sont les mêmes, d’autres facteurs entrent en compte. D’abord, le patient plus jeune sera favorisé versus le patient plus âgé. Ensuite, si cela ne permet pas de trancher, il y aura priorisation du personnel de la santé. Et s’il est encore impossible de trancher, il y aura alors randomisation du triage.

“L’aléatoire est une forme de justice, chaque personne a une chance égale,” explique Marie-Ève Bouthillier. “Ça ne favorise pas injustement quelqu’un.”

CoDE AIR

“J’espère fondamentalement être inutile et que tous nos efforts ne servent absolument à rien,” avoue le Dr Simon Duchesne, chercheur principal de l’équipe CoDE: AIR du centre de recherche PULSAR à l’Université Laval à Québec.

L’ingénieur de formation en imagerie médicale cumule 22 ans d’expérience dans le domaine, spécialisé dans l’Alzheimer, troquant les images de cerveaux en 2019 pour celles de poumons en 2020.

Son équipe a conçu un programme d’apprentissage supervisé de type “Forêt aléatoire”, qui analyse radiographies pulmonaires, données laboratoires et données cliniques afin de déterminer le taux de survie potentiel du patient.

L’algorithme s’est entraîné sur une banque d’image de 225 000 radiographies de poumon, et a depuis colligé des données de centaines de patients (en mode d’observation), avec des résultats encourageants selon le chercheur. 

7 établissements de santé sont en pourparlers avec l’équipe du Dr. Simon Duchesne  afin d’implanter le programme:

  • Le CHU de Québec
  • L’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec
  • Le CIUSSS de la Capitale Nationale
  • Le CISSS de Chaudières-Appalaches
  • Le CHUM
  • Le CUSM
  • Le CIUSSS Montréal-Ouest (Jewish General Hospital)
  • Le CHU de Sherbrooke (en attente d’un accord éthique)

“On parle vraiment d’une situation extrême, mais pas théorique,” précise Dr Simon Duchesne, concernant le déploiement potentiel de cette intelligence artificielle. “L’Italie, l’Espagne, New York, ce n’étaient pas des juridictions qui manquaient de ressources. À toute chose près, elles sont pareilles à nous.”