ADA LOVELACE: DESTIN BRISÉ D’UNE PIONNIÈRE DE L’IA

ADA LOVELACE: DESTIN BRISÉ D’UNE PIONNIÈRE DE L’IA

5 juin 1833 dans un salon mondain de Londres. Une tutrice présente sa jeune élève au mathématicien Charles Babbage, afin qu’il l’encourage à poursuivre ses études en mathématiques. Sans le savoir, cette rencontre sera à l’origine de la grande épopée de l’informatique. La tutrice n’est rien de moins que Mary Sommerville, une brillante astronome. Son élève ? Ada Lovelace, l’inventrice de la programmation. À la suite de cette rencontre, Charles Babbage écrira à propos de cette jeune fille d’à peine 17 ans : “Cette enchanteresse des nombres a jeté son sort magique autour de la plus abstraite des sciences et l’a saisie avec une force que peu d’intellects masculins – dans notre pays au moins – auraient pu exercer.” Cscience IA dresse le portait de cette femme au destin extraordinaire et tragique .

Une adolescente surdouée

Jeune fille déjà, Ada Lovelace est un petit génie. Sa mère, férue de mathématiques, la pousse à étudier les sciences, pour l’empêcher de sombrer dans la même folie que son père, le poète Lord Byron. Avec raison, car, à 12 ans déjà, Ada écrit un traité sur les ailes des volatiles dans le but de construire une machine volante. 

Portrait d’Ada Lovelace enfant.

À 17 ans, lorsqu’elle rencontre Charles Babbage ce fameux jour de juin 1833, elle est immédiatement fascinée par le mathématicien. Une grande amitié se développe, ils deviennent très proches. Babbage est alors l’inventeur de la machine à différences, l’ancêtre de la calculatrice.

La machine à différences 

Pour mieux comprendre la suite de l’histoire de l’informatique, revenons d’abord sur cette première machine. À l’époque, les tables de calculs des livres de mathématiques, mais aussi les tables nautiques ou astronomiques, sont souvent inexactes. On y retrouve un grand nombre de fautes dues à l’erreur humaine et aux fréquentes erreurs typographiques. Afin de résoudre ce problème, le gouvernement britannique commande alors à Charles Babbage, la conception d’une nouvelle machine. S’inspirant de la Pascaline et de la multiplicatrice de Leibniz, le mathématicien construit une calculatrice automatique. Sa machine est prometteuse, mais trop coûteuse à fabriquer, ses subventions sont alors coupées et Charles Babbage arrête la construction de son outil. Cependant, il s’aperçoit qu’il peut concevoir une machine capable d’effectuer des tâches plus complexes que des calculs mathématiques.

La machine analytique

Charles Babbage va donc plus loin. Il s’inspire du métier à tisser Jacquard, un système mécanique inventé pour le tissage de motifs complexes, qui utilise un système de cartes perforées. Il imagine alors une machine analytique conçue pour reproduire des actions en boucle, notamment grâce à une mémoire interne. En somme, une calculatrice programmable, qui s’avère être l’ancêtre de l’ordinateur. La succession des instructions, est l’équivalent d’un programme informatique ou logiciel.

Prototype non terminé de la machine analytique de Babbage, exposé au Science Museum de Londres (1871) .

À l’époque de sa rencontre avec Ada Lovelace, Charles Babbage n’arrive pas à finaliser ce nouveau prototype, car il ne reçoit jamais les aides dont il a besoin. On pense aujourd’hui que la machine complète aurait constitué un enchevêtrement de roues et d’engrenages mus par la vapeur et occupant la place d’une locomotive. Si cet ancêtre de l’ordinateur ne voit jamais le jour, il va inspirer la brillante Ada Lovelace. 

Le 1er programme informatique

En effet, elle pressent déjà tout le potentiel de cette machine analytique : « Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer ». La jeune femme se passionne pour ce projet et travaillera d’arrache-pied avec le mathématicien pendant vingt ans. Si Babbage a eu l’idée de ce super calculateur, c’est Ada Lovelace qui va lui insuffler sa substance.

Lors d’une présentation de la machine analytique à l’Université de Turin, en Italie, le mathématicien Luigi Menabrea, s’émerveille devant l’invention. Il publie alors des notes sur cet incroyable dispositif dans un journal suisse. Le journal anglais “Scientific Memoirs”, spécialisé dans les articles scientifiques étrangers, veut en publier une traduction. Comme Ada parle français et connaît la machine mieux que personne, on lui demande de se charger de la traduction. 

Elle passe alors neuf mois entre 1842 et 1843 à travailler sur cette traduction et la fait lire à Babbage. Le mathématicien lui demande alors pourquoi elle ne fait pas elle-même un mémoire présentant la machine analytique. Enthousiaste, Ada Lovelace entreprend sa rédaction.

Il s’agit en somme de réaliser le « mode d’emploi » de la machine, ce qui n’est pas si simple, car il faut expliquer comment la configurer pour qu’elle réalise les calculs (complexes) désirés. Après des mois de travail, elle rédige sept notes, labellisées de A à G. Résultat: un ouvrage, trois fois plus long que la traduction originale!

« Programme » de calcul des nombres de Bernoulli dans la note G d’Ada Lovelace (1843).

La “note G” restera dans l’histoire car elle s’appuie sur un véritable algorithme très détaillé pour calculer les nombres de Bernoulli avec la machine. La programmation qui en résulte est considérée comme le premier véritable programme informatique au monde. En effet, les algorithmes écrits jusque-là n’étaient pas décrits avec formalisme, dans un langage véritablement destiné à être exécuté sur une machine. De plus, ce programme comporte la première boucle conditionnelle, véritable concept informatique, contrairement aux programmes séquentiels qui ont pu être faits auparavant par Babbage, ou dans les métiers à tisser Jacquard.

On pense aujourd’hui qu’Ada Lovelace avait compris toutes les potentialités de la machine analytique mieux que Babbage et qu’elle avait prévu que la machine pouvait manipuler non seulement des nombres, mais aussi des symboles. Si le mathématicien a voulu créer une calculatrice améliorée, la jeune femme est beaucoup plus visionnaire et imagine déjà une sorte de calculateur universel. Dans ces notes, elle écrit que ces calculateurs peuvent être des “partenaires de l’imagination” en programmant musique, poésie ou peinture : « la machine pourrait composer de manière scientifique et élaborée des morceaux de musique de n’importe quelle longueur ou degré de complexité ». En cela, très en avance sur son temps, elle imagine déjà une sorte d’intelligence artificielle.

« Beaucoup de personnes […] s’imaginent que parce que la “Machine” fournit des résultats sous une forme numérique, alors la nature de ses processus doit être forcément arithmétique et numérique, plutôt qu’algébrique ou analytique. Ceci est une erreur. La “Machine” peut arranger et combiner les quantités numériques exactement comme si elles étaient des lettres, ou tout autre symbole général; en fait elle peut donner des résultats en notation algébrique, avec des conventions appropriées » décrit Ada Lovelace dans ces notes.

L’héritage d’Ada Lovelace

Déterminée, elle souhaite construire à tout prix la machine analytique de Babbage, et décide de subventionner elle-même le projet. Elle joue aux courses hippiques pour financer ses recherches. Elle travaille même à un système mathématique qui doit lui permettre de remporter les paris du “derby d’Epsom”. Malheureusement, elle dilapide son argent, et se laisse entraîner dans une spirale de dettes. Ruinée, elle meurt à l’âge de 36 ans d’un cancer de l’utérus, en laissant trois enfants. Lady Lovelace est enterrée conformément à son souhait, près du poète Lord Byron, ce père qu’elle n’a jamais connu, dans le cimetière de l’église Sainte-Marie-Madeleine d’Hucknall, à Newstead Abbey, dans le comté de Nottingham.

Si Babbage a eu l’idée technique de la machine analytique, sans le travail de vulgarisation et l’imagination de Lovelace, la machine aurait pu tomber aux oubliettes. 

Il faudra toutefois attendre les années 1930 et Alan Turing pour formaliser une telle notion de calculateur universel qui manipule des symboles généraux, et abandonner la notion de calculatrice purement numérique. Et entrer, ainsi, dans l’ère de l’informatique. 

En son honneur, le département de Défense américain (DoD) a nommé “Ada”, un langage de programmation, conçu à la fin des années 1970. On peut voir notamment son portrait sur les hologrammes d’authentification des produits Microsoft. Une école de code féministe s’est ouverte à Paris en 2019,  et lui rend hommage : “Ada Tech School“. 

Frappée jeune par la maladie et longtemps oubliée par la postérité, la visionnaire Ada Lovelace est devenue aujourd’hui, une figure incontournable des sciences et de l’informatique. Son apport au numérique est énorme. Elle est désormais considérée, comme la première codeuse au monde.