“À 9 ans, j’ai écrit ma première ligne de code”- Entretien avec la data scientist Ravy Por

“À 9 ans, j’ai écrit ma première ligne de code”- Entretien avec la data scientist Ravy Por

Ravy Por, 35 ans, est l’une des étoiles montantes de la communauté des scientifiques des données au Québec. Mathématicienne de formation, elle jongle avec les chiffres, l’analyse de données et la prédiction chez Desjardins. Et, a le temps de piloter un OBNL qui oeuvre pour la démocratisation de l’éducation technologique via des conférences et ateliers. Cscience IA a eu la chance de s’entretenir avec elle.

Ses parents ont fui le Cambodge durant le génocide, pour s’installer ici. C’est elle qui s’occupe de leurs finances. Car Ravy Por, a la bosse des maths depuis toute petite. Elle programme, calcule, analyse, fait des modèles prédictifs… Les chiffres, c’est son dada. La jeune femme occupe actuellement le poste de leader en partenariats et rayonnement de l’analytique avancée chez Desjardins. Elle cumule déjà 10 ans d’expérience dans le secteur financier. Mais Ravy ne fait pas que jouer avec les chiffres, l’IA et les prédictions mathématiques. Elle s’investit beaucoup auprès des autres et en particulier auprès des jeunes. Elle a fondé un OBNL, “Héros de chez nous”, pour vulgariser l’IA et démystifier les métiers liés à la sphère digitale. Entretien. 

Quelle est la mission d’ « Héros de chez nous » ?

La mission de “Héros de chez nous”, c’est de démocratiser l’éducation technologique pour les jeunes (et les moins jeunes) à l’image du Québec d’aujourd’hui. Tous ces “héros de chez nous” qui contribuent à la mission de l’organisme sont des personnes au parcours atypique qui inspirent de part leur persévérance et leur réussite. Ce sont des “underdogs’” qui accomplissent beaucoup même en étant dans l’ombre. Les parcours atypiques sont multiples, ce qui implique donc que tous peuvent devenir un “Héros de chez nous”!

Comment on démocratise les technologies justement ?

La démocratisation des technologies est possible en veillant à l’accessibilité et à l’inclusivité, notamment en s’assurant de vulgariser le vocabulaire technologique, puis en valorisant l’éducation technologique auprès d’un public varié: en âge, en origine, en lieu géographique, en expérience. Cela passe par des conférences et des ateliers. Et même virtuellement pendant la pandémie.

Comment tu es venue à t’intéresser aux données et à l’IA ?

La première langue que j’ai apprise après le Cambodgien est celle des mathématiques. 

À neuf ans, j’ai écrit ma première petite ligne de code.

Au secondaire, mes professeurs de mathématiques m’ont transmis leur passion pour la matière, et de fil en aiguille, j’ai souhaité devenir mathématicienne.

Ma passion pour les maths et l’innovation ainsi que mon aisance avec la programmation m’ont naturellement amenée à considérer le domaine de l’IA.

Je suis fascinée par le potentiel d’innovation et d’évolution qu’offre l’intelligence artificielle, ainsi que par son application plus concrète visant à aider les humains. C’est un domaine en pleine expansion qui nécessite un apprentissage constant et une variété de talents pour en assurer le développement. C’est bien stimulant et enrichissant en terme de possibilités!

Penses-tu que les jeunes ont besoin de modèle comme toi ?

Je suis inconfortable avec l’idée de me définir comme un modèle. Je viens d’un milieu modeste et ce qui m’a aidé dans mon parcours, ce fut d’être persévérante. Je souhaite partager ces apprentissages qui m’ont été utiles à travers mon cheminement : 

  • il est important d’étudier – que ce soit de manière autodidacte ou à l’école, 
  • s’impliquer dans la collectivité fait une différence, 
  • croire en soi ainsi qu’en sa capacité à réaliser ce que l’on souhaite entreprendre est une des clefs de la réussite, 
  • et finalement, l’importance de bien s’entourer et de persévérer face à l’adversité.
Qui est ton modèle à toi ?

Mes parents sont des survivants du génocide cambodgien. Ma mère était enceinte de ma grande soeur lorsqu’ils ont dû traverser une jungle infestée de mines antipersonnel pour sauver leurs vies. Mes parents sont pour moi une inspiration. Leur résilience m’a enseignée qu’il est possible de surmonter n’importe quel obstacle.  Ils m’ont partagé des valeurs profondes comme celle de donner au suivant.

Au niveau professionnel, cela m’a pris un peu plus de temps à trouver un modèle auquel je m’identifie. Aujourd’hui, je suis reconnaissante d’être soutenue par des collègues et des mentors issus autant des domaines relationnels que technologiques, et dont les précieux conseils m’aident à réaliser les objectifs que je me suis fixés.

Beaucoup de femmes émergent dans le milieu de l’IA, je pense à la Française Aurélie Jean ou encore à Joëlle Pineau ici à Montréal, qu’en penses-tu ? 

Les multiples implications de Joëlle Pineau et d’Aurélie Jean dans le milieu de l’IA sont considérables et elles contribuent à l’évolution de l’écosystème. Je crois qu’il est encourageant de voir plus de femmes oeuvrer dans le domaine. Le fait qu’on en parle davantage est aussi très positif, cela inspirera certainement encore plus de filles et de femmes à s’y intéresser de près.

Comment tu définirais ton métier de data scientist ?

J’utiliserais les termes suivants pour définir le métier: effervescent, stimulant, en constante évolution et apprentissage continu.

La science des données est une discipline transversale qui peut être appliquée à une multitude de domaines aussi divers que la finance, les jeux vidéo et l’environnement. 

Un scientifique de données, doit maîtriser la programmation, les mathématiques et statistiques, la connaissance de son secteur d’affaires, mais il est aussi important pour lui de s’outiller au niveau relationnel.

Dans mon quotidien, je travaille avec plusieurs intervenants dont mes collègues de différents départements, des startups locales et internationales, des chercheurs, des universités et plusieurs autres. La collaboration, la communication et la vulgarisation des modèles algorithmiques sont essentielles dans nos projets en analytique avancée et en intelligence artificielle.

On parle de plus en plus d’IA, et notamment durant cette pandémie, est-ce que l’IA est la solution à tout selon toi ?

Je ne crois pas que l’IA doit être vue comme une solution, mais plutôt comme un outil aux potentiels extraordinaires pour par exemple, aider à la prise de décision.

L’IA permet notamment d’automatiser certaines décisions et actions pendant que les travailleurs dédient leur force de travail à d’autres tâches plus difficilement délégables (telles que celles reliées aux humains), ce qui est effectivement très utile en ces circonstances exceptionnelles.  

La situation actuelle a accéléré la transformation numérique impliquant une grande quantité de données massives pour les différentes organisations, incitant entre autres, à considérer le potentiel de l’IA et son intégration dans leur champ d’activités.

Et enfin, un conseil de lecture pour cet été ?

La Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle qui a été rédigée en concertation avec les citoyens, le milieu professionnel ainsi que les experts académiques. Pourquoi s’y intéresser? Des thèmes centraux sont adressés, tels que l’éthique, l’équité, la gouvernance, l’inclusion et plusieurs autres.

Enfin, je vous invite également à consulter les capsules vidéos “Pause-techno” créées par “Héros de chez nous” sur YouTube, démystifiant divers concepts du domaine technologique et de l’IA.

Crédit Photo : Héros de chez nous