[ENTRETIEN]- On a parlé IA avec Luc Sirois, le DG de Prompt 

[ENTRETIEN]- On a parlé IA avec Luc Sirois, le DG de Prompt 

Rentrée chargée pour Luc Sirois. Le sémillant directeur général de Prompt a en effet été nommé en juillet, conseiller stratégique auprès du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon. Sa mission: piloter le nouveau modèle de valorisation de la recherche publique. L’occasion pour Cscience IA d’échanger avec ce dirigeant et entrepreneur visionnaire. Entretien.

Luc Sirois est un homme très occupé. Entre ses différents mandats, il a quand même pris le temps de discuter avec nous plus d’une heure. Cet automne, Prompt va lancer plusieurs grands appels à projets. « Le gouvernement maintient ses aides à l’innovation, c’est bien, » nous souligne-t-il dès le début de notre entrevue. Et, c’est vraiment « un automne d’IA qui s’en vient », poursuit-il. Diplômé d’Harvard en Business, ce technologue passionné est dévoué à l’essor de la société québécoise. Il prône qui plus est, une approche collaborative et créative de l’innovation. Une conversation extrêmement inspirante, parfois « allumée », autour de l’intelligence artificielle et l’innovation au Québec. 

Quelques mots sur votre rôle auprès du ministre 

Ensemble, on trouve les meilleures idées pour mieux faire les choses pour qu’on puisse bâtir un nouveau modèle de valorisation de la recherche. L’objectif c’est qu’il soit bon pour 20 ans et que nous en soyons tous très fiers. La valorisation elle est à la base. On accepte que nos découvertes puissent être implantées dans la société, qu’elles puissent créer du développement économique sans compromettre la recherche fondamentale. Il faut quand même éviter de tout orienter vers du développement industriel, il faut faire bien attention. Pour qu’une découverte ait de l’impact, il vaut mieux être bien enraciné dans le milieu académique. Être présent auprès des chercheurs, puis être allumé et curieux, c’est un atout. Mon origine, c’est ça. J’ai créé une entreprise pour valoriser une technologie dans le domaine de la santé, au centre hospitalier universitaire McGill. 

Justement, on en est où de l’adoption de l’IA dans les entreprises ?

C’est la bonne question. On n’est pas très avancé, mais la question sous-jacente avant ça, ce serait de maîtriser l’IA d’abord. Je définirais l’IA comme aussi la maîtrise des données donc tout ce qui est technique opérationnelle. Quand on pense IA, on pense souvent au deep learning, mais avant, il y a la maîtrise de la valorisation des données. Les maîtriser, en extraire de l’intelligence. Être en pleine possession de ses données, de ses opérations, de ses découvertes, c’est une étape très importante qui crée 90% de la valeur. Pour cela, il faut avoir fait une transformation numérique. Beaucoup d’entreprises n’en sont pas encore là, ou sont en train de le faire. Et ça devient urgent de faire cette transition. 

Comment on les aide ces entreprises ?

On peut parler d’accompagnement, de formation, mais ce qui va aider aussi, c’est quand on va donner des exemples concrets d’entreprises qui maîtrisent leurs données. Ces dernières ont fait leur transformation numérique et elles se distinguent et performent en conséquence. Dans ton industrie, quand tu comprends ce que tes collègues font, tu commences à te dire, faut que je fasse quelque chose moi aussi. Je donne souvent l’exemple du groupe Robert Transport. Leur métier ce n’est pas seulement de gérer des camions, c’est aussi de la logistique, du tracking et puis créer également des services pour les clients. Ou encore comme South Shore Furniture. L’industrie du meuble au Québec, on n’y pense pas nécessairement comme une industrie d’avenir, mais si on veut survivre dans les marchés d’aujourd’hui, il faut s’automatiser. Être capable d’intégrer les chaînes d’approvisionnement, le commerce électronique en temps réel, la prévision de la demande, la modélisation des goûts de la clientèle basés sur les données du passé. Comme ça, tu arrives à devenir, pas juste à survivre, mais à être un des fournisseurs, puis exporter et être un joueur à l’international.

Est-ce que l’IA, ça se vend bien au Québec ?

C’est mon obsession et celle du ministre. Dans notre écosystème le relais  entre public et privé commence à se faire. Mais on veut qu’il se fasse le mieux au monde. On voudrait qu’on ne soit pas seulement dans le peloton de tête au niveau de la recherche, mais aussi les champions du transfert pour que l’IA soit adoptée en entreprise. Une fois adoptée, que cette entreprise maîtrise tellement la technologie qu’elle se place parmi les meilleures au monde, et là c’est un cercle vertueux. Donc, on en extrait du savoir-faire. On peut alors créer une industrie de service de l’industrie vers l’industrie. Ça, c’est le rêve. Je vois que ça commence. C’est jamais assez mais il y a beaucoup d’entreprises qui prennent le relais. On va publier prochainement un recueil des entreprises qui font des solutions IA et il y en a beaucoup plus que je ne pensais. Je suis vraiment optimiste. Il se crée ici une pépinière d’entreprises qui commercialisent des éléments de recherche, qui travaillent avec des chercheurs plus ou moins formellement. Et ça, c’est en train de se passer.

Comment développer une IA éthique et responsable ?

Je trouve qu’on passe beaucoup de temps à s’inquiéter des dangers de l’IA puis des données. C’est important, mais on n’utilise pas assez nos neurones pour imaginer le côté positif et créatif sur le « comment maîtriser la technologie pour faire avancer notre société ? »  Par exemple, au sujet de nos données de santé. C’est très précieux pour permettre des découvertes médicales. Je ne sais pas comment on va réussir à avoir ce débat sereinement, mais on ne peut pas être les derniers à faire le pas. Sur cette question-là, il ne faut pas juste focaliser sur les dangers, mais se demander aussi ce que ça peut réellement nous apporter. C’est pour ça que, quand on me pose la question: « comment s’assurer d’un développement plus éthique de l’IA ? » Je pense qu’il faut ouvrir la question: « comment s’assurer que l’IA et les autres technologies fassent de nous de meilleures personnes, une meilleure société ?» Une société plus bienveillante, plus performante, qui arrive à mieux éduquer, soigner, gérer les villes ou encore le transport. À condition que le système soit encadré évidemment. 

Qu’est-ce qui vous anime ? Est-ce que vous êtes un « allumé » des technologies ?

J’approche de la cinquantaine. Quand j’étais à Harvard, à la fin de ma vingtaine, j’ai pris une décision importante dans ma vie. Ça a été de revenir au Québec. J’étais à Boston, déraciné, plongé dans un univers d’innovation, d’entrepreneuriat. C’était tellement facile de rester. Et puis un jour, à l’époque, l’homme d’affaires, M. Philippe de Gaspé Beaubien (il venait nous visiter à Boston) a dit à son fils : « pourquoi tu ne fleuris pas où tu as été planté ? ». Moi, ça m’a traversé le coeur et c’est tellement vrai qu’on est revenu avec ma petite-fille et mon épouse (…) Alors, quand vous me posez la question « êtes-vous allumé ? », je me retrouve-là au début de la cinquantaine, puis je me dis: “WOW, est-ce que j’en ai fait assez dans ces 20 dernières années ?” La réponse est: “non”! Je n’ai pas fini. J’ai encore 10 ans devant moi (ou plus !) pour aider la société québécoise à accélérer l’innovation !