L’IA contre le cancer : un chercheur répond à nos questions

L’IA contre le cancer : un chercheur répond à nos questions

« L’intelligence artificielle comme outil dans la recherche pour vaincre le cancer ». C’est le sujet  de la conférence que mènera Sébastien Lemieux, chercheur à l’Institut de Recherche en Immunologie et Cancer (IRIC) et professeur à IVADO et l’Université de Montréal, le 4 novembre prochain. L’occasion d’une entrevue pour faire le point de ce qui existe aujourd’hui.

Pourquoi avoir intitulé le thème de votre conférence de cette manière ? Vous développez des outils munis d’IA qui pourraient réellement vaincre le cancer ?

Mon laboratoire est un laboratoire de bio-informatique dans lequel nous développons des méthodes d’IA et des algorithmes. Nous utilisons beaucoup de données transcriptomiques, qui reposent sur l’étude de l’ensemble des acides ribonucléiques (ARN messagers) produits lors du processus de transcription d’un génome.

Beaucoup des résultats que je vais présenter utilisent de la donnée transcriptomique, et la question nous est posée de savoir comment nous bâtissons des algorithmes sur ces données, pour arriver à une prédiction qui peut être utilisée par un clinicien.

Est-il possible de prédire l’apparition d’un cancer plusieurs années auparavant ?

C’est très différent d’une situation à une autre, d’un cancer à l’autre. Ce qui est important, c’est la relation entre les phénomènes que nous essayons de prédire. Par exemple, un diagnostic longtemps à l’avance, et les données que l’on a pour construire cette prédiction.

Dans le cas d’un scénario dans lequel on identifie un cancer spécifique et dans lequel on se demande s’il est possible de le prédire 15 ans à l’avance, le réflexe que j’aimerais transmettre aux gens durant la conférence, c’est qu’ils réalisent tout de suite le jeu de données dont nous allons avoir besoin pour développer cet algorithme.

Pour réaliser un tel algorithme, nous aurions besoin d’échantillons patients que l’on séquencerait à un moment donné. Nous suivrions ensuite ce patient, qui n’a pour l’instant pas de cancer, pendant 15 ans, puis nous verrions apparaitre le cancer 15 ans plus tard, et là nous aurions notre exemple. Mais des exemples comme celui-ci, il nous en faut des centaines pour pouvoir éventuellement entraîner un algorithme.

En n’excluant pas la possibilité que le patient ne soit peut-être jamais malade 15 ans plus tard.

Est-ce une solution technologique envisageable ?

Sébastien Lemieux, professeur au Département de biochimie et médecine moléculaire et chercheur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie. Photo courtoisie

C’est quelque chose d’impossible à court terme, sauf si on a la chance d’avoir déjà des bandes de tissus qui ont déjà été collectées depuis un certain temps, pour lesquelles on a déjà des dossiers médicaux sur lesquels on peut agir.

Cela veut dire que ce que l’on peut faire est largement basé sur ce qui existe déjà. C’est de fouiller dans une collection de données pour voir ce qu’on peut faire avec.

 Découvrir les données qui sont disponibles est un défi important.

Vaincre le cancer grâce à l’IA c’est quoi ? Davantage de la prédiction ? Du diagnostic ? De la guérison ?

C’est tout ça à la fois.

On entend souvent parler de faire un diagnostic plus tôt, ça c’est une des possibilités. J’ai expliqué plus haut le processus de construction du jeu de données pour être capable d’entraîner un algorithme qui va faire une prédiction plusieurs années auparavant.

Si on a un patient avec une forme de cancer très agressif, être capable de le prédire deux mois à l’avance demande un jeu de données qui va être plus facile à mettre en place.

Diagnostiquer à l’avance c’est une chose, diagnostiquer plus finement s’en est une autre, et il y a beaucoup de possibilités à ce niveau-là, identifier des sous-types dans la maladie par exemple.

Prendre un cancer donné puis réaliser que c’est plusieurs sous-types de cancers et être capable de les identifier. Ça c’est un rôle que l’IA peut jouer assez facilement.

Ça ne guérit pas, mais ça permet de lancer des études cliniques sur les sous-types. Des thérapies qui pourraient ne pas très bien fonctionner sur l’indication au complet, pourraient s’avérer très bien fonctionner sur un sous-type.

Donc, du côté du raffinement du diagnostic, pas en termes de précision, mais en termes d’identification de nouveaux sous-types, il y a un gros espoir de ce côté-là.

Quels sont les enjeux pour vous lors de cette conférence ?

Rétablir les attentes du public par rapport à ce que l’IA est réellement, ce qu’elle peut livrer et de quelle manière elle peut le livrer. Qu’est-ce qui est nécessaire pour que ces algorithmes puissent être développés ?

Sensibiliser les gens sur la nature des données, la structure par laquelle elles sont présentées, ce qui peut être porteur pour un algorithme d’IA ou ce qui ne l’est pas. Si je peux voir moins d’utilisation du terme Big Data de manière systématique, je serai très content.