[ENTREVUE] “Le personnel enseignant doit comprendre les développements éthiques de l’IA”

[ENTREVUE] “Le personnel enseignant doit comprendre les développements éthiques de l’IA”

L’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde de l’éducation soulève de nombreux enjeux et nécessite une responsabilité des parents, éducateurs, mais aussi du gouvernement, croit Maryse Lassonde, présidente du Conseil supérieur de l’Éducation qui a transmis au ministre de l’Éducation Jean-François Roberge, un rapport de 118 pages, intitulé Éduquer au numérique.

CSIA : Pourquoi l’IA implique-t-elle une responsabilité pour le système de l’éducation ?

M.L.L’IA en éducation permet de récolter énormément de données sur le rendement et les apprentissages d’un enfant ou d’un groupe d’étudiants dans une matière donnée. Une fois qu’on a suffisamment de données, on peut même prédire le genre d’erreur qu’un élève pourrait commettre. C’est pourquoi, on est capable de mieux l’aider dans sa trajectoire d’apprentissage. On observe aussi un enseignement individualisé et d’un autre côté, on peut constater les progrès de l’ensemble du groupe.

CSIA : Quel est le risque de posséder autant de données ?

M.L. Je me pose des questions sur ces données : qui les garde et pour combien de temps. Nous souhaitons que les données de l’enfant soit gardé que dans le cadre restrictif de la classe. Si les données sont préservées au-delà de la classe, nous espérons qu’on ne puisse pas les retracer. Elles peuvent être sauvegardées dans une banque universelle, mais il ne faut pas qu’on puisse retourner en arrière et identifier l’enfant. Nous craignons que ces renseignements nuisent à un étudiant qui pourrait être refusé dans un programme spécifique plus tard et surtout, qu’on puisse voir des failles sur son parcours d’apprentissage.  Il y a toujours des dérives possibles.

« L’utilisation des données personnelles comporte des enjeux concernant la confidentialité des données de même que le profilage des personnes… En éducation, comme tout autre domaine, les personnes doivent être informées sur la façon dont leurs données seront gérées ou utilisées. Elles doivent avoir le droit de refus. » Maryse Lassonde

CSIA : Comment éviter les dérives ?

M.L. Il faut éduquer les gens au monde numérique et ce qu’est l’intelligence artificielle. Il y a trop de gens pour qui l’intelligence artificielle est un monde complétement opaque. Le personnel enseignant doit agir comme guide et comprendre les développements éthiques de l’IA.  De leur côté, les élèves doivent être sensibles au fait que lors de leurs recherches sur Internet, les moteurs présentent souvent des choses qui confirment nos croyances. On appelle cela « la théorie des bulles de filtre », selon le chercheur Eli Pariser. Tout ce qu’on lit confirme ce qu’on croit déjà.

Il faut proposer aux élèves des avenues permettant de réfléchir et de favoriser le développement de leur pensée critique.

Aussi, l’éducation a un rôle à jouer afin qu’elle ne demeure pas une boite noire pour la population et que nous devenions collectivement plus compétents pour encadrer le déploiement numérique et de l’IA, dont le développement doit se faire dans le respect et la diversité des personnes.

CSIA : Quels sont les obstacles dans l’implantation du numérique dans nos écoles?

M.L. La technologie est toujours considérée comme accessoire pour une partie du personnel enseignant. L’éducation a un rôle à jouer afin qu’on développe nos compétences pour passer de simples consommateurs à des utilisateurs avisés du numérique.

Si on veut développer le numérique dans nos écoles, on constate des besoins essentiels comme le manque de prises de courant dans les classes.

Il importe de combler les besoins de base comme aussi la faible vitesse d’internet ou le manque de fiabilité du matériel. Il s’agit souvent d’arguments invoqués par les enseignants pour éviter le recours aux outils numériques.

Lors de la fermeture des écoles, au printemps, de nombreux Québécois dont les Autochtones n’ont pas pu étudier à distance en raison de l’absence de l’accessibilité à l’Internet.

Maryse Lassonde – présidente du Conseil supérieur de l’Éducation

NOMBRE

340 000

En 2016, il y avait 340 000 foyers québécois n’ayant pas accès à Internet haute vitesse.

Source : Ministère de l’Économie, Science et de l’Innovation