[ENTREVUE] “Quand la crise sanitaire a frappé, heureusement que l’on avait des piliers en IA”

[ENTREVUE] “Quand la crise sanitaire a frappé, heureusement que l’on avait des piliers en IA”

Alors qu’une mutation du coronavirus, présentée comme plus contagieuse, vient d’être détectée au Royaume-Uni, et que la deuxième vague de contaminations n’en finit pas à travers le monde, les nouvelles technologies peuvent être d’une aide précieuse pour les soignants.

L’occasion de discuter avec Kathy Malas, adjointe au Président-directeur général du CHUM et responsable de l’innovation et de l’intelligence artificielle, de l’utilité de l’IA dans le contexte que nous connaissons depuis bientôt un an.

CSIA : Quelle est la place de l’IA au sein du CHUM en cette période de crise sanitaire ? 

KM : Il faut d’abord revenir à l’époque « d’avant la pandémie », pour comprendre comment nous avons réussi à introduire des technologies qui contiennent de l’IA pendant la COVID. 

Avant le début de la crise sanitaire, fin 2017, début 2018, notre PDG, Fabrice Brunet, avait décidé d’avoir une approche systémique, structurelle, d’introduire l’IA de façon responsable au sein de notre organisation. On ne fait pas de l’IA pour faire de l’IA, on fait de l’intelligence artificielle pour améliorer la santé des populations, et quand je parle des populations j’inclus les équipes de travail; les employés, les gestionnaires et les médecins.

“Nous n’aurions pu faire aucun projet d’IA pendant la crise si nous n’avions pas commencé de stratégie avant” – Kathy Malas

Il y a trois composantes à cette stratégie. La première est que pour introduire l’IA de façon responsable au bénéfice des populations, il faut développer les talents. C’est pour cela qu’on a lancé l’école d’intelligence artificielle appliquée à la santé en novembre 2018, qui a pour but de développer chez le personnel du CHUM, infirmières, médecins, ressources humaines etc., les connaissances et les compétences pour intégrer l’IA dans leurs pratiques. 

La deuxième est que pour faire de l’IA, il faut de l’expertise en intelligence artificielle et de l’infrastructure technologique. C’est pour cette raison que la même année, nous avons également lancé le Centre d’intégration et d’analyse des données médicales (CITADEL). Une équipe composée de scientifiques de la donnée, d’ingénieurs, de statisticiens, de biostatisticiens et de médecins épidémiologistes experts en IA. Dirigé par le Dr. Chassé, CITADEL est au service des chercheurs, des cliniciens, des gestionnaires, qui veulent développer des projets d’IA. Cette équipe est gardienne de notre lac de données, de notre infrastructure.

La troisième composante est de la stratégie, elle concerne l’accompagnement des projets. On ne peut pas faire de l’IA si on attaque pas des problématiques en structurant des projets. Nous avons aujourd’hui un portefeuille de 74 projets d’IA.

CSIA : Quels sont ces projets ? Les outils d’IA qui aident les praticiens du CHUM en ces temps de pandémie ?

KM : Deux semaines après le début de la crise sanitaire, nous avons développé un outil, avec CITADEL, de prédiction de la disponibilité des lits et des ventilateurs aux soins intensifs et dans les étages, en fonction de la croissance épidémiologique de la population et du nombre de patients qui entrent au CHUM.

L’avantage de l’IA et des techniques comme l’apprentissage machine, ou l’apprentissage profond, est que ça prend en compte plusieurs variables, car connaître la disponibilité du nombre de lits par exemple, c’est aussi savoir si on dispose des ressources humaines nécessaires. 

C’est un outil que nous utilisions déjà avant la pandémie pour la gestion des flux patients entrants et sortants.

CSIA :  L’IA est-elle une nécessité ?

KM : Avant la pandémie, la réponse était déjà oui. C’était nécessaire parce que l’IA pénètre l’ensemble des acteurs d’activité de la société. Nous sommes presque dans une quatrième révolution industrielle. L’automatisation, la digitalisation, il fallait s’y préparer. Les établissements n’étaient pas prêts à intégrer l’IA de façon responsable, c’est pour cette raison que l’on a développé la stratégie que j’ai expliqué plus haut.

Quand la crise sanitaire a frappé, heureusement que l’on avait les piliers. Nous n’aurions pu faire aucun projet d’IA pendant la crise si nous n’avions pas commencé de stratégie avant. C’était nécessaire d’avoir des outils parce qu’il fallait gérer. Nous avons eu des contraintes ministérielles, l’hôpital était scindé en deux, il y avait des secteurs COVID et non-COVID, on a ouvert l’Hôtel-Dieu pour des patients atteints de la COVID etc. C’était une gestion pas facile, il y avait des multiples contraintes, et c’est là que l’IA, que les modèles de statistiques avancées, de machine learning, peuvent nous aider à prendre des décisions.

CSIA : Avez-vous pensé à intégrer de la robotique ? 

KM : Avant la COVID -19, nous avions intégré de la robotique pour tout ce qui est transport; de matériel, mais aussi pour les repas des patients de la cuisine vers les étages par exemple. Nous avons de la robotique chirurgicale également.

En ce moment, nous sommes en train d’introduire un robot en soutien aux soins. Le moniteur multiparamétrique par exemple, qui capte les signes vitaux du patient et les dépose directement dans son dossier clinique, c’est l’interface Patient Connect. Cela évite à l’infirmière d’entrer et de sortir de la chambre du patient atteint de la COVID, et ça limite les erreurs de la saisie manuelle.

“Les établissements n’étaient pas prêts à intégrer l’IA de façon responsable” – Kathy Malas

Nous avons aussi développé le projet CHUM Connecté pour briser l’isolement des patients. Nous avons déployé des flottes de téléphones et de tablettes intelligents pour deux besoins. Le premier, reconnecter les patients à leurs familles au-delà de l’appel téléphonique, donc avec des outils de visioconférence, et les étages les utilisent aussi pour de la téléconsultation. Ce projet est destiné à tous les patients de l’hôpital, car dans certaines unités comme nos unités de toxicomanie de jeunes adultes psychotiques, certains patients sont vraiment isolés. 

Enfin, au début de la crise sanitaire, nous avons développé un outils pour aider à la planification horaires des traitements en radio-oncologie et en oncologie médicale. Les plans thérapeutiques des patients atteints de cancers sont compliqués à gérer. Il faut considérer la condition du patient, le type de traitement, les salles disponibles ou encore la disponibilité des oncologues. Beaucoup de variables, difficile à considérer pour l’humain, cet outil permet de mieux planifier les traitements et devrait être en application dès le mois de janvier prochain. 

CSIA : Le Québec est-il bien placé dans l’introduction de l’IA dans la santé ? 

KM : Je suis fière de dire qu’en 2018 nous avons été pionniers. Nous étions les premiers au monde à lancer l’école d’intelligence artificielle en santé.

Pour CITADEL, nous étions précursseurs au Québec et parmi les premiers au Canada, à lancer un centre d’expertise en IA intra-muros. 

Nous avons été au service du Québec. On a travaillé avec plusieurs organisations québécoises pour partager nos connaissances et nos façons de faire.

CSIA : Sensibiliser les praticiens de santé aux outils d’IA, c’est un enjeu majeur ? 

KM : Oui,  de même que les patients. Il faut leur expliquer qu’on introduit des nouvelles technologies, comment l’IA nous aide à prendre des décisions et peut les aider à se prendre en charge.

La formation continue, la communication, l’enseignement, tant pour nos professionnels que pour les patients, c’est essentiel pour nous et ça fait partie de notre stratégie.

Crédit photo : @CHUM