Dépistage de l’autisme par l’IA : un bourbier éthique

Dépistage de l’autisme par l’IA : un bourbier éthique

Des chercheurs américains affirment avoir créé une méthode de dépistage de l’autisme in-utero fiable à 100 %. Basée sur la détection d’anticorps dans le sang des mères et assisté par un algorithme d’apprentissage machine, cette nouvelle méthode sème la controverse. Tandis que les scientifiques affirment qu’il s’agit d’une avancée majeure, des personnes impliquées dans le milieu de l’autisme au Québec se disent choquées par les objectifs et les résultats de cette étude.

« Analyse de l’évaluation des risques pour l’autisme maternel lié aux auto-anticorps (MAR-ASD): un sous-type d’autisme » (NDLR : traduit de l’anglais), est une étude publiée dans la revue scientifique Nature en janvier 2021 par une équipe de chercheurs du centre de recherche et de traitement de l’UC Davis MIND Institute en Californie.

Celle-ci s’est penché sur la présence des auto-anticorps MAR dans le plasma de 450 mères d’enfants autistes, qu’elle a ensuite comparée avec les tests sérologiques de 342 mamans ayant mis au monde des enfants neurotypiques.

L’intérêt pour ces anticorps vient du fait que l’on suspecte qu’ils « s’attaquent » aux cerveau des fœtus, menant à 20 % des cas d’autisme infantile diagnostiqués. Les anticorps pourraient donc être considérés comme des bio-marqueurs, soit une trace identifiable de l’autisme avant la naissance.

Ce dépistage exact à 100 % selon les chercheurs a été rendu possible grâce à un algorithme d’apprentissage machine, le premier cas recensé de l’utilisation de cette technologie dans ce type de recherche.

« Les implications de cette étude sont énormes », indique dans la revue Nature Judy Van de Water, professeure de rhumatologie, d’allergie et d’immunologie clinique à l’UC Davis et auteure principale de la recherche.

« Cette étude est très importante en termes d’évaluation précoce des risques d’autisme et nous espérons que cette technologie deviendra quelque chose qui sera cliniquement utile à l’avenir » – Judy Van de Water, professeure de rhumatologie, d’allergie et d’immunologie clinique à l’UC Davis.

Cette dernière envisage qu’une femme pourrait subir un test sanguin pour ces anticorps avant de tomber enceinte. « Si elle en avait, elle saurait qu’elle court un risque très élevé d’avoir un enfant autiste. Sinon, elle a 43% moins de chances d’avoir un enfant autiste, car l’autisme MAR est exclu. »

UNE « VIOLENCE » FAITE AUX AUTISTES

Mise au fait de cette étude, Lucila Guerrero, militante du milieu de l’autisme, ne mâche pas ses mots.

« C’est un message d’une grande violence que l’on fait aux personnes autistes. Les comités éthiques universitaires ne devraient pas accepter ce genre de recherche génétique », martèle celle-ci.

Il en va de même pour l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), qui peut avoir des « résultats grandioses » dans le domaine scientifique, mais dont les normes éthiques devraient limiter les desseins, afin de « respecter la dignité humaine ».

« Vouloir dépister l’autisme avant la naissance, je vois ça comme une forme inévitable d’eugénisme. De plus, ça ne peut que renforcer la stigmatisation à laquelle doivent déjà faire face les autistes » – Lucila Guerrero, cofondatrice d’Aut’créatifs.

Étant elle même une personne autiste et mère d’un enfant autiste, Mme Guerrero est très impliquée dans le milieu. Elle est la cofondatrice d’Aut’créatifs, un mouvement en faveur de la reconnaissance positive des personnes autistes.

Des recherches visant remédier « au problème » de l’autisme et percevant les personnes neurodivergentes comme étant un « fardeau » pour leurs familles, leurs proches et la société sous-entendent qu’il s’agit d’un groupe d’individus indésirables et que l’autisme est une « tragédie, un malheur », dénonce Mme Guerrero.

LE DOUBLE TRANCHANT DE L’IA

Pour Catherine Des Rivières-Pigeon, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre de l’Équipe de recherche pour l’inclusion sociale en autisme (ÉRISA), cette étude ouvre la porte à « d’importantes réflexions éthiques sur la valeur de la vie ».

« Sans vouloir pointer du doigt les futurs parents qui voudraient procéder à un dépistage, ou les accuser de quoi que ce soit, cette recherche soulève des questions très inquiétantes. Elle met en relief un problème : on donne beaucoup d’emphase sur le traitement de l’autisme, sur l’espoir d’y trouver une solution, un remède, tandis qu’on pourrait plutôt diriger nos efforts à améliorer la vie des personnes autistes », insiste cette dernière.

Mme Des Rivières-Pigeon est maman de deux adolescents autistes et, avec son conjoint, elle s’efforce à mettre sur pied un projet d’assistant conversationnel augmenté par l’IA spécifiquement conçu pour faciliter la communication chez les personnes autistes.

Tout comme Mme Guerrero, celle-ci croit que l’étude américaine démontre qu’il est primordial d’encadrer le développement de l’IA.

« C’est exactement pourquoi il faut faire de l’IA responsable. C’est un outil qui peut mener au meilleur ou au pire de l’humanité » – Catherine Des Rivières-Pigeon, professeure de sociologie à l’UQAM

Cette dernière rappelle que des chartes déjà établies, telles que la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle, comportent des clauses à ce sujet. En effet, les notions de « l’accroissement du bien-être de tous les êtres sensibles, du respect de l’autonomie et d’inclusion et de diversité » sont des principes centraux du document.

La professeure espère qu’à l’avenir de tels principes seront pris en considération avec de lancer des recherches similaires.

Crédit photo: Pexels/Freestocksorg