Seriez-vous prêts à vous déconnecter ?

Seriez-vous prêts à vous déconnecter ?

Dire adieu aux applications qui ordonnent votre fond d’écran, y avez-vous songé ? Dès notre réveil, ce sont les notifications qui implémentent naturellement notre emploi du temps. Qui plus est, une salve d’informations en continue nous arrive sans qu’on l’ai vraiment demandé. Les géants de la technologie biberonnent la jeune génération à l’hyperconnexion tandis que l’anxiété commence à gagner du terrain…

Avant de perdre le contrôle de son cerveau, il suffit de regarder dans le rétroviseur et de se demander: mais comment je faisais avant ? Heureusement, le pouls commence à battre du côté de la détox digitale pour ceux qui souhaitent diminuer la cadence. Alors, embarquons dans le présent, le temps d’un article.

ACCROS AUX CLICS : MODE D’EMPLOI

Les algorithmes en ligne de mire

Les ingénieurs savent ce qu’ils font lorsqu’ils développent une interface. Ils intègrent des algorithmes dans le but de nous présenter un contenu qui nous plaît. Tiens! Cela nous rappelle Spotify ou Facebook qui ciblent nos intérêts en associant nos manœuvres enregistrées dans l’historique. Dans un précédent article sur l’usage des algorithmes par les sociétés de technologie, nous pouvons comprendre à quel point les informaticiens utilisent les règles d’inférence, une fonction logique pour déduire notre raisonnement. Finalement, nous tombons dans une bulle de filtrage opéré par des règles de traitement automatisé. En se mettant au diapason de l’utilisateur, le temps de connexion est donc optimisé. En plus des notifications, c’est par ce processus habile que les marques gardent le consommateur le plus longtemps possible devant son écran.

Quand la neuroscience s’en mêle

Illustration: Gwendoline Blosse

Thibaud Dumas, auteur de plusieurs ouvrages sur le cerveau dont Détox Digitale: Décrochez de vos écrans ! identifie des symptômes comme une réelle addiction. Ainsi, la perte de notion du temps, l’obsession, la diminution de la qualité du travail ou des discussions… Entrecoupées de notifications deviennent synonyme de pharmacodépendance. Pour lui, la sensibilisation est un des enjeux majeurs à prendre en considération sur la santé publique car les effets affectent le corps et l’esprit. Les appareils se sont infiltrées dans notre quotidien de façon insidieuse jusqu’à ce que certaines personnes en perdent le contrôle.

«On observe de forts points communs avec les dépendances d’ordre comportemental, comme la dépendance aux jeux, dont les mécanismes addictifs sont repris par certains éditeurs.» – Thibaud Dumas – Docteur en neurosciences

Dans le domaine professionnel, le droit à la déconnexion, déjà présent dans plusieurs pays, rend un peu de liberté digitale aux employés, même si certains doivent demeurer joignables. Le spécialiste du cerveau préconise une organisation du travail plus saine en faveur de tous les employés quel que soit leur domaine. La détox digitale fait partie d’une écologie globale dont les habitudes de consommation tendent au respect de soi et de l’environnement. Non avare de conseils, il se joint à d’autres experts pour expliquer comment agir en la matière sur la plateforme Attention Hyperconnexion

LE RÈGNE DE NARCISSE

En 1978, le sociologue Pierre Bourdieu qualifiait la photographie de “substitut magique” à l’angoisse du temps qui défile. Tout en figeant l’instant présent, elle évoque les rituels du passé (mariages, anniversaires…). À partir de 2010, la technologie étend ce phénomène au rang de la mise en scène via le téléphone mobile. Grâce à la 3G et ses successeurs, le partage de photographies s’est démocratisé, Instagram étant la grande gagnante pour l’heure. Aujourd’hui, c’est un milliard d’abonnés sur ce “média social” dont l’esthétique est le maître-mot.

Les stars du like

Si la plupart des utilisateurs ont déjà ressenti de la jalousie en épluchant les vacances parfaites d’une relation, de l’autre côté de l’écran, c’est la magie du community management qui opère de manière illusoire. Les experts savent que cette vie édulcorée n’est souvent qu’un leurre. 

Image: Pexels @andrea-piacquadio

D’une part, les influenceurs aux millions de followers qui alimentent leur mur en échange d’un contrat. D’autre part, “monsieur et madame tout le monde” qui deviennent les directeurs artistiques de leur existence. Ils s’agrippent aux likes de leur communauté, car cette forme de manifestation virtuelle flatte leur égo. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière cette tête penchée, agrémentée d’une bouche de canard? Une comédie qui atteint les profondeurs de la banalité. Un selfie de temps à autre, pourquoi pas… En revanche, les portraits en série deviennent vite agaçants et indigestes pour les abonnés. 

Les amants maudits

Placées au centre de l’intention, les étoiles du net instrumentalisent ainsi leurs amis, leur animal de compagnie, leur assiette et aussi leur vie amoureuse. Ce phénomène ostentatoire touche aussi les utilisateurs qui veulent homologuer leur relation de couple. Pourtant, certaines études montrent que les plus assidus sont justement les plus en danger de rompre. Au contraire, une relation échappant aux publications compulsives est plutôt au beau fixe. Ce phénomène paradoxal fonctionne pour sauver les apparences. Plutôt que travailler sur son intimité, le binôme choisit de valider sa situation auprès de son cercle social à l’aide de clichés stéréotypés. Officialiser son bonheur sur la toile est devenu le jeu préféré des couples en fuite, dont seul l’avis des autres nourrit leur amour 2.0. 

LA VOIX DES MILLÉNIAUX

Si la dynastie Z possède un téléphone greffé à sa main depuis le secondaire, c’est un tout autre schéma pour ceux qui sont nés à la fin des années 70. En effet, les milléniaux ont grandi certes avec les jeux vidéo et sans Internet… Mais ils le maîtrisent parfaitement. Dans un récent micro sondage avec notre entourage de cette génération (née entre 1978 et 1992), nous avons voulu en savoir plus sur leur cyber consommation.

En inventoriant les résultats, la tendance de cet échantillon semble plutôt à la prise de recul par rapport aux écrans. Oui, l’heure est à la conscientisation des aspects stériles du petit écran: superficiel, chronophage et envahissant. La multiplication d’accès à l’information, selon un sondé, ne signifie pas qu’elle soit de meilleure qualité par rapport à l’ère pré-numérique. Cela détourne les utilisateurs des problématiques importantes, que l’un des sondés résume ainsi : « Internet est un vortex d’informations qui se nourrit de lui-même. » 

La pandémie actuelle ainsi que la profession (67 % en font un usage professionnel avec une préférence pour LinkedIn) prédisposent évidemment la connexion aux plateformes sociales et collaboratives. Près de 91% consultent leur téléphone en matinée dont 56% dès le réveil. Le téléphone étant resté près du lit, 35 % ne coupent jamais les ponts avec le monde extérieur. Là encore, un des sondés a bien résumé la vision que plusieurs ont émis : « Le problème ça ne sont pas les réseaux mais la façon dont les gens s’en rendent esclaves ! Comme pour le téléphone, si c’est important, la personne va rappeler. » 

Néanmoins, les personnes sondées affichent des propos nuancés. Bien sûr, il ne faut pas diaboliser Internet car il ouvre à de nouvelles perspectives, accélère les projets et permet surtout de maintenir les liens. Même si la majorité ne ressent aucun effet négatif et n’a rien désinstallé récemment, 62% seraient prêt à faire le pas vers une détox d’une semaine, un mois ou pendant les vacances. Délaisser l’excès d’information aide à se concentrer sur l’essentiel et à éviter les jalousies maladives.

POUR VIVRE HEUREUX, VIVONS… DÉCONNECTÉS!

Accorder ses violons au présent

L’ouvrage Le pouvoir du moment présent d’Eckart Tolle (2000) est une sorte de mode d’emploi spirituel pour mettre en pratique sa disponibilité dans le présent. L’auteur rejoint les fondements de la méditation en invoquant la pensée compulsive qui régit notre vie: le jugement, les tourments, l’appréhension… Rester attentif aux tâches en cours est non seulement plus productif mais aussi bénéfique. Le but étant de faire fuir la négativité issue de notre incapacité à retenir nos pensées. À notre charge mentale s’ajoutent les notifications qui interfèrent dans notre concentration. Pas de panique ! Il existe des solutions, des plus radicales aux plus nuancées, pour s’éloigner de la toile.

Image: Capsana – Campagne PAUSE 2020

À travers sa campagne de sensibilisation Pause ton écran, l’organisation sociale Capsana invite la jeunesse à apprivoiser les bonnes habitudes avec Internet. Le concept ne bannit pas son usage mais présente comment on peut en avoir une utilisation équilibrée. Les guides, disponibles sur… Le site (!), accompagnent les familles pour configurer leurs appareils et se réserver des moments sans écran.

Difficile d’expliquer cela à un adolescent qui n’a aucune notion des risques encourus. Dans les habitudes à adopter, on nous conseille d’éteindre tout ce qui a un lien avec le monde extérieur. Même pour quelques minutes, cela peut être une occasion de réfléchir sur ce qui est indispensable.

Parole d’entrepreneur

Image extraite du TED de Vincent Dupin

Dans sa conférence TED, Vincent Dupin, également Fondateur d’Into The Tribe, demande la même chose aux spectateurs. Il commence fort. Le but étant de jauger le stress des personnes dépourvues de connexion le temps d’une soirée. Celui-ci partage son expérience sans réseau pendant ses voyages en Asie. Par conséquent, il réalise que les populations hyperconnectés ont des nécessités différentes des régions totalement coupées d’Internet. Il existe même dans certaines villes des sections de trottoirs dédiés aux piétons qui marchent en textant!

On se rappelle de la pyramide des besoins de Maslow dont la base repose sur la faim, le sommeil, la respiration et la sexualité. Cette conférence TED présente une autre version de cette théorie:

« Nous avons totalement changé nos priorités. On recherche du Wi-FI ou une prise électrique plutôt que de chercher de l’aventure ou de nouvelles expériences. » – Vincent Dupin – Fondateur d’Into The Tribe. 

Il fait le constat pessimiste que la plupart des plateformes envahissent autant notre vie personnelle que professionnelle. Au bureau, il parle “d’infobésité” pour la surcharge d’informations à traiter dans une seule journée. De là, naît son agence de tourisme Into The Tribe. Le concept est de renforcer la cohésion d’une équipe proche de la nature en “mode avion”.

LIBÉRER-VOUS!

Les solutions pour décrocher demeurent à porter de main et, cela ne passe pas par le cellulaire mais par une redéfinition des priorités, surtout lorsque nous sommes en présence de nos proches. Même si aujourd’hui les populations sont cloisonnées par les mesures sanitaires, le confinement peut nous faire prendre conscience que les liens directs nous manquent. Tel fut le cas des 5@7 sur Zoom qui ont eu un certain succès au début de la pandémie.

Tout bien considéré, les moments partagés demeurent les plus précieux. Et tout le monde en convient, quand il est utilisé à bon escient, Internet est un outil formidable. Reste à trouver l’équilibre. D’après Vincent Dupin, un bon exercice consiste à regarder 5 minutes son écran et à répertorier les applications qui vous sont VRAIMENT utiles, pour ne pas dire nécessaires. Ainsi fait, vous pourrez libérer un peu d’espace dans votre téléphone… Et dans votre emploi du temps!

Alors, game? 

Image du bandeau: Pexels / Andre Furtado