Peut-on tirer la juste part de nos données?

Peut-on tirer la juste part de nos données?

La donnée, cet objet omniprésent et pourtant intangible, vaut son pesant d’or. En effet, elle est exploitée comme un filon que les entreprises convoitent, mais toutes les données ne s’équivalent pas. Pourquoi font-elles la fortune de quelques sociétés, tandis que les individus semblent y perdre au change?

La valeur de la donnée n’est pas fixe, elle fluctue sans cesse. Elle doit être mise en contexte, agrégée et revendue aux entités opportunes afin d’en tirer le plus grand profit.

C’est en dressant un profil de nos habitudes et de nos besoins qu’on peut vendre la donnée à gros prix.

Les diverses plateformes qui amassent nos informations personnelles peuvent ensuite anticiper nos désirs d’achat, ce qui n’a pas de précédent dans l’industrie du marketing et de la vente au détail.

Vous annoncez à vos amis sur les réseaux sociaux que vous êtes enceinte? Vous serez peut-être étonnée de voir quelques heures plus tard des publicités qui vous proposeront des aubaines sur des poussettes et des couches.

C’est cette stratégie qui fait la fortune des géants du web.

DE GROS REVENUS POUR LES GAFAM

Le marché mondial de la donnée personnelle représentait 188 milliards de dollars en 2017, dont 162 milliards étaient ratissés par le secteur de la publicité numérique, selon le cabinet de conseil et d’audit PwC.

Ce marché ne ralentira pas de sitôt, si l’on se fie aux prévisions du Forum économique mondial. L’organisme estime que d’ici 2024, l’industrie globale de la donnée personnelle pourrait générer 500 milliards de dollars.

Malgré les tentatives de dresser un véritable portrait de la taille de ces marchés, il reste difficile d’en avoir une idée précise. Une opacité plane sur l’exploitation des informations numériques et les Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFAM) de ce monde ne semblent pas pressés d’éclaircir ce brouillard.

Chez Facebook par exemple, on affirme que les données personnelles des usagers ne sont pas vendues en soi, mais plutôt qu’on offre un « service » aux annonceurs.

Toutefois, son bilan financier nous révèle la véritable valeur de la donnée pour la plateforme.

Ses 2 milliards d’utilisateurs lui ont rapporté en moyenne 33 dollars canadiens chacun, selon une estimation datant de 2018. Cela représente presque la globalité des revenus annuels du célèbre réseau social, qui s’élèvent aujourd’hui à plus de 105 milliards de dollars canadiens.

Et le géant tient mordicus à ces revenus. Il suffit de voir comment le ton a rapidement monté entre Facebook et Apple à la suite de la mise en place d’une nouvelle politique de gestion des données par ce dernier pour le constater.

Désormais, les utilisateurs d’iPhone et iPad ont le choix de voir leurs informations personnelles collectées ou non par les applications qu’ils téléchargent.

Si plusieurs individus refusent d’être suivis par Facebook sur leur téléphone intelligent, c’est le modèle d’affaire de l’entreprise en entier qui risque d’être menacé.

Facebook a tiré à boulets rouges sur Apple, qualifiant « d’anti compétitive » la décision du fabricant et a acheté de pleines pages publicitaires dans des quotidiens américains pour dénoncer cette situation.

PEUT-ON VENDRE SA PROPRE DONNÉE?

Ainsi, si les GAFAM de ce monde savent transformer les informations personnelles de leurs utilisateurs en une véritable mine d’or, le contraire est loin d’être vrai.

Un quidam qui souhaiterait monétiser ses données numériques ne peut espérer dans les circonstances actuelles gagner que quelques maigres dollars.

Il est vrai que certaines applications donnent la possibilité de vendre ses informations personnelles à des tiers, comme Embleema pour les données médicales, ou WeWard pour des données de géolocalisation.

Avec cette dernière, on peut espérer au plus faire quelques centaines de dollars en une année. Personne ne s’enrichira ainsi.

Toutefois, il s’agit plutôt de trouver ici une alternative à l’hégémonie des GAFAM.

Effectivement, pourquoi donner gratuitement ses données à des méga corporations, lorsqu’on peut marchandiser quelques dollars en compensation pour celles-ci?

Si on ne peut pas reprendre entièrement le contrôle de nos données, autant faire ce pied de nez aux entreprises qui en profitent.

LE RETOUR DU BALANCIER?

Pourrait-on rétablir l’équilibre entre les utilisateurs et les entreprises d’une autre façon? Certains se penchent déjà sur la question.

Par exemple, le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, envisage une rémunération à l’utilisation des plateformes.

Celui-ci a récemment affirmé que « les consommateurs californiens devraient aussi être en mesure d’avoir leur part de la richesse créée par leurs données ».

Chez nous, les projets de loi C-11 au fédéral et PL64 au provincial mettront à jour les législations en ce qui a trait à la protection des données personnelles. Le consentement et la transparence des individus sont au cœur des textes à l’étude, mais une forme de dédommagement n’est pas explicitement considérée.

Tout de même, les entreprises en infraction de la future loi 64 pourraient avoir à débourser jusqu’à 25 millions de dollars, ou 4 % de leur chiffre d’affaires.

Et avec les récentes avancées en matière d’encadrement de l’intelligence artificielle (IA) en Europe, le Canada risque certainement de prendre la balle au bond.

Considérant que l’IA est presque systématiquement tributaire de l’accès aux données pour son fonctionnement et que les GAFAM font appel à cette technologie dans leurs stratégies d’affaires, nous nous trouvons sans doute sur une piste pour tirer la juste part de nos données.

Avec la recherche de Valérie Fortier

Crédit photo: Pexels