Adapter le droit d’auteur Canadien à l’IA

Adapter le droit d’auteur Canadien à l’IA

Le monde des technologies bouge vite et les lois peinent parfois à le suivre. C’est pour cette raison que le gouvernement canadien tient présentement des consultations publiques sur le droit d’auteur dans le contexte de l’intelligence artificielle (IA) et de l’Internet des objets (IdO). Deux experts nous expliquent ce que cela pourrait signifier sur la façon dont seront réglementées les œuvres du futur.

C’est dans le but de « veiller à ce que la Loi sur le droit d’auteur continue de correspond[ re ] à la réalité actuelle et à ce que le cadre canadien du droit d’auteur demeure efficace et favorise l’innovation et l’investissement à mesure que l’on met au point de nouvelles technologies » que les canadiens peuvent envoyer depuis le 16 juillet dernier leur opinion à ce sujet.

La consultation en ligne, qui se déroulera jusqu’au 17 septembre 2021, porte sur un certain nombre d’enjeux, y compris la fouille de textes et de données, la titularité et la propriété des oeuvres créées par l’IA, la violation du droit d’auteur et la responsabilité en lien avec l’IA, ainsi que les questions de réparation et d’interopérabilité liées aux mesures techniques de protection.
Selon Éric Lavallée, associé chez Lavery avocats, bien que la réflexion sur le droit dans le domaine des technologies soit bien avancée au Canada et Québec (par exemple au sujet de la question de la protection des données personnelles), il est temps de mettre à jour certains autres éléments.

« Lorsqu’une IA est utilisée pour créer une œuvre d’une manière autonome, parfois avec l’intervention d’un être humain, parfois avec beaucoup d’autonomie, qui est le titulaire du droit d’auteur à l’égard d’une telle œuvre? Actuellement, la loi canadienne est muette sur ce genre de situation là », souligne l’expert.

« La jurisprudence vient nous dire que la création d’une œuvre doit impliquer l’exercice d’un talent et jugement d’un être humain. Donc, il y a un vide quant à la propriété de ces œuvres-là » -Éric Lavallée, avocat associé Lavery

Son collègue, Jules Gaudin, avocat au cabinet Robic, abonde dans le même sens.

« Même si on n’est pas vraiment en avance ou en retard sur les autres nations au sujet du droit de la propriété intellectuelle et de l’IA, il y a là des questions importantes que nous devons nous poser. On a déjà des éléments de réponse dans la jurisprudence, mais c’est tout de même une bonne idée de se demander ce qu’on veut faire avec notre droit dans le contexte de ces technologies émergentes », affirme-t-il.

L’IA DANS LE DROIT CONTEMPORAIN

Pour l’instant, l’IA est considérée du point de vue de la loi comme étant un outil ou une œuvre, de la même manière qu’un code informatique ou qu’un logiciel peut l’être.

Ainsi, les créateurs d’un algorithme peuvent protéger leur création grâce au droit d’auteur comme n’importe quel artiste ou écrivain.

Mais comme cela a été soulevé plus haut, la question se corse lorsque l’œuvre qu’on veut protéger est une œuvre qui a été produite au travers d’un processus impliquant une IA.

Dans cette situation, est-ce que ce serait la personne à l’origine du processus la détentrice des droits d’auteur sur l’IA utilisée dans ledit processus ou l’IA elle-même qui devrait détenir les droits?

Cette question spécifique pourrait être lourde de conséquences et est loin d’être résolue.

« Ça pourrait chambouler la façon dont on examine certains dossiers. Si le droit revient au créateur de l’IA, plutôt qu’à la personne qui l’a utilisé pour créer une œuvre, ça viendrait changer la manière dont je fais mon travail », souligne Me Gaudin.

LA MACHINE CRÉATIVE

Il n’y a pas qu’au Canada que la question du droit d’auteur brasse les idées des juristes.

Récemment, une machine a obtenu un dépôt de brevet en Afrique du Sud et en Australie pour un conteneur alimentaire et une balise de détresse.

Si les demandes de brevet ont été formulées par le Dr Ryan Abbott, professeur de droit de l’université du Surrey, c’est une IA dénommée DABUS qui en possède les droits en tant que « moteur créatif ».

En effet, après des mois de délibération, la Cour fédérale australienne a déclaré « qu’un inventeur peut être un système ou un dispositif d’intelligence artificielle ».

SCIENCE-FICTION?

Enfin, la question du statut juridique d’une IA, même si elle ne fait pas partie des objectifs de la consultation, devrait éventuellement être examinée, selon les experts.

« Oui, ça relève encore un peu du domaine de la science-fiction pour le moment; les systèmes d’IA tels qu’on les connaît pour l’instant ne possèdent pas les attributs d’un être humain qui pourrait leur donner une protection similaire à ce qu’on donne à la personnalité juridique d’une personne. On pourrait toujours créer une fiction juridique, comme on le fait pour les entreprises, [ … ], cela serait possible éventuellement. Mais cela signifie des droits qui sont limités. Je ne crois pas qu’à court terme le droit ira plus loin que cela », insiste Me Lavallée.

Tout de même, il vaut mieux être prêt à affronter ce genre de dilemme maintenant, même si ce n’est que pour « établir les bases de la question afin d’y revenir plus tard », croit pour sa part Me Gaudin.

Crédit photo: Pexels/Anthony Shkraba