Implants cérébraux: la fin du libre arbitre?

Implants cérébraux: la fin du libre arbitre?

Au printemps 2021, Neuralink crée des émules. Son fondateur Elon Musk publie fièrement la photographie d’un macaque posté devant un jeu vidéo… Sans manette. Son fer de lance: une génération d’implants cérébraux sophistiqués au service de la médecine. L’apprentissage profond constitue désormais une étape importante dans la relation entre l’IA et le destin des personnes atteintes de maladies neurologiques. Chemin faisant, l’intelligence artificielle peut-elle à l’avenir nous contrôler?

RETOUR SUR EXPÉRIENCE

La neuroscience fait de l’étude du cerveau un champ dynamique pour révolutionner la médecine.  Dès 1963, le professeur José Delgado mène des études pilotes sur des taureaux agressifs. À travers ses expériences, il souhaite démontrer qu’il peut modifier le comportement de l’animal à distance. Le professeur de l’Université de Yale bouleverse les faits et gestes de la bête grâce à une télécommande. Ses tentatives d’attaque restent vaines puisque les stimulations radio détournent le taureau de sa cible principale, le torero.

À ce moment-là, cette discipline en est à ses balbutiements et n’implique en rien l’IA, mais c’est déjà un pas. Aujourd’hui, Neuralink réalise une puce munie de fils plus fins qu’un cheveu afin d’obtenir un maillage suffisant dans le cortex. De plus, le robot conçu par la start-up insère ces électrodes dans un temps record.

Image: tweet d’Elon Musk

Puis, souvenez-vous du tweet triomphal d’Elon Musk: “un singe joue à Pong avec son esprit”. Au préalable, le singe s’exerce au jeu vidéo avec le joystick. Puis on implante une puce connectée à son crâne pour analyser le fonctionnement de son cerveau. Pendant l’entraînement, des modèles numériques codifient les signaux cérébraux. Enfin, on façonne un algorithme qui analyse en temps réel les mouvements effectués par le singe.

Mode d’emploi

Jean-Claude Heudin, directeur de l’Institut de l’Internet et du multimédia, revient sur la manière dont l’apprentissage machine contribue à ses innovations. Selon lui, les algorithmes permettent de modéliser et en définitive, d’envisager des applications. Même avec un système complexe dont on ne connaît pas de modèle à priori, si on obtient des données, dès lors, nous pouvons entraîner un réseau de neurones pour qu’il se comporte comme ce système.

«L’apprentissage profond ouvre la voie à beaucoup d’applications autrefois jugées impossibles en pratique.» – Jean-Claude Heudin, Professeur et chercheur en IA.

Dans les colonnes du quotidien 20 Minutes, Claude Touzet, enseignant-chercheur en sciences cognitives, souligne la différence avec la télépathie. L’implant retransmet des signaux neurologiques. Les scientifiques insèrent la puce sur le cortex moteur et récupèrent une copie de la commande qui part en direction du poignet ou de la main. Et plus loin de préciser: on ne se situe pas au moment où naît la pensée, mais on se situe au moment de l’action motrice. 

UN TRANSHUMANISME AT LARGE? 

Ce qui intéresse Elon Musk, c’est que l’homme demeure compétitif face à l’intelligence artificielle. Pour ce faire, pourquoi ne pas “pucer” la planète entière ? D’où le besoin du multientrepreneur de faire des implants qui iraient dans le domaine de la chirurgie de confort pour les individus qui rêvent d’augmenter leurs capacités intellectuelles. En somme, pourquoi le milliardaire voit-il l’IA comme une concurrence à l’être humain? Après tout, nous savons encadrer les robots tout en apprenant à comprendre leur cheminement. 

Jean-Claude Heudin

Pour Jean-Claude Heudin, l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle sont très différentes et complémentaires. Elles ne s’opposent pas. L’intelligence artificielle est très efficace, mais limitée aux informations qu’on lui fournit. En effet, celle-ci prend corps avec des clics et des données qui l’alimentent. Tandis que l’intelligence humaine est capable de prendre naturellement en compte un contexte global avec toutes ses subtilités, l’IA en demeure incapable à ce jour.

LA MACHINE CHEF D’ORCHESTRE

Les dérives sont au cœur des œuvres de la science-fiction « cyberpunk », qui montre que la technologie peut être un instrument d’asservissement ou de libération. Tout dépend de ce que nous en faisons. Utilisée pour améliorer la vie dans une démocratie, comme en médecine par exemple, c’est tout à fait souhaitable. Utilisée pour contrôler les humains dans un régime totalitaire, c’est contraire à nos valeurs. Le problème est que la réalité est moins binaire et les situations évoluent.

L’agence du département de la Défense américaine s’intéresse de près aux recherches neuronales pour traiter les syndromes de stress post-traumatique chez les soldats. Par exemple, la boucle fermée (Closed-loop) est une orientation pertinente destinée aux usages militaires. Ce modèle de conception pour le Machine Learning récupère les données sur la modification de l’humeur. Au microphone de France Culture, Hervé Chneiweiss, neurologue et directeur de recherche au Cnrs, émet cependant une dimension insidieuse à appréhender.  C’est-à-dire, l’idée d’externaliser les activités d’une personne par un passage de traitement algorithmique. 

« Cette perspective ouvre des questions éthiques importantes sur le fait de contrôler des réactions  hors du libre arbitre.» – Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS

Pour le moment, les traitements par stimulations demeurent majoritairement thérapeutiques.  Cependant, nous entrons dans une zone grise lorsque nous touchons au domaine des pathologies psychiatriques (schizophrénie, trouble obsessionnel compulsif). Et ces aspects sont largement convoités par l’armée américaine. Toutes ces recherches peuvent-elles entraîner un glissement vers l’acceptation de l’altération de la personnalité et ce, opéré par la machine ? «D’un projet, quel qu’il soit, la prudence est l’appui.»