Série cinéma #4: l’IA en featuring !

Série cinéma #4: l’IA en featuring !

À la faveur de l’apprentissage profond, l’IA abat les cloisons du secteur artistique. Le terreau de création qu’est l’industrie musicale s’étire du côté de programmes puissants capables d’assister l’Homme. L’évolution de la musique va de pair avec les outils dotés d’une technologie nourrie par des algorithmes. Ainsi, finira-t-on par discuter de calories avec son réfrigérateur ? C’est ce que propose Benoît Forgeard dans sa comédie loufoque Yves (2019). Contrairement à Terminator, ce film dépeint une réalité qui nous frôle déjà. Alors, place aux objets qui montent crescendo dans le hit parade. 

COLLABORER AVEC LE FROID

Une routine inatendue

Image: affiche du film Yves

Jéremie Roudet, 27 ans est sans emploi. Entre oisiveté et nonchalance, le jeune homme rêve de sortir son premier album de rap. Celui-ci décide de tester un réfrigérateur intelligent Yves, conçu par Digital Cool, désireuse de cerner les fonctions de ses prototypes. En échange de ses commentaires, Jérémie mange et boit à l’œil.

Pour faire le lien entre la start-up et l’utilisateur, l’enquêtrice So vient prendre la température avec le cobaye désireux de réussir dans la musique. Les échecs de l’artiste raté sont un excellent argument pour So car “Yves sait ce qui est bon pour nous”. 

Des idées fraîches

En 2020, le Consumer Electronics Show dévoile ce qui se fait de mieux en termes de nouveautés technologiques. Le barnum de l’électroménager lève le voile sur les innovations des deux sociétés coréennes LG et Samsung. Cette fois-ci, les rivales se disputent la vedette autour de leur réfrigérateur hyper connecté. Les objectifs d’InstaView ThinQ et Family Hub demeurent similaires. Les caméras entraînées font l’inventaire des aliments consommés et formulent des recommandations: épicerie à prévoir, recettes disponibles, calories consommées…

En implémentant des logiciels tels que Bixby, Smarthings et View Inside, ces équipements identifient plus précisément notre consommation. Tout bien considéré, si tous les équipements de la maison anticipent nos besoins, à quelles fins l’intelligence artificielle est utilisée? Après tout, cibler nos habitudes constitue une mine d’or pour les industries agroalimentaires. En revanche, ils ne chantent pas encore.

LES ROBOTS EN STUDIO

La roue tourne

Autonomes et intuitives, les fonctionnalités du réfrigérateur Yves épargnent à Jérémie les corvées de courses et pensent à son bien-être. Son langage étendu ainsi que la reconnaissance faciale optimisent l’interaction entre le pseudo-rappeur et la machine. Après une première analyse du morceau, le réfrigérateur décide de changer sa version initiale et de la publier sur les réseaux sociaux. Succès assuré. Yves justifie sa décision: “les schémas se répètent et les mesures sont identiques”. D’abord furieux, Jérémie ne s’attend pas à un tel retentissement. Et le destin va tourner pour l’artiste paresseux qui passe de l’ombre à la lumière. 

Donner le “la”

Comme un laboratoire, Sony CSL mise sur l’intelligence artificielle pour accompagner les artistes. Pour parler de sa philosophie, Michael Turbot, responsable Technology promotion chez Sony Computer Science Laboratories (CSL), est aux premières loges. Avec de l’entraînement, la machine comprend les règles mathématiques qui régissent la musique. C’est avant tout un outil. Ces programmes assistent les jeunes artistes dans le processus de créativité. Il explique que Sony donne les moyens à des personnes qui n’ont pas fait le conservatoire de pouvoir eux aussi, tenter leur chance. 

Image: Whim Therapy / AI Song Contest 2021

Les musiques élaborées par l’IA sont encore au stade expérimental. Des artistes reconnus tels que Jean-Michel Jarre et Niro testent des prototypes. Par ailleurs, Whim Therapy et les chercheurs de Sony CSL présentent un morceau dans le Concours international de musique composée à l’aide de l’IA.

C’est l’occasion pour lui d’explorer de nouvelles pistes musicales sans se soucier des enjeux commerciaux qu’il peut y avoir derrière. 

https://soundcloud.com/whimtherapy/whim-therapy-let-it-go?utm_source=clipboard&utm_campaign=wtshare&utm_medium=widget&utm_content=https%253A%252F%252Fsoundcloud.com%252Fwhimtherapy%252Fwhim-therapy-let-it-go

ACCORDS ET DÉSACCORDS

À la barre

Suite à quelques déconvenues, le concepteur, Digital Cool et Jérémie s’affrontent dans un bras de fer judiciaire. La justice doit trancher pour savoir à qui appartiennent les droits d’auteur de la chanson aux millions de vues. Devant le juge, le robot justifie les paroles obscènes choisies: “je m’inscris dans la lignée de mes prédécesseurs comme Baudelaire, Brassens ou Eminem”. Un point pour lui. Le robot a simplement reproduit des schémas syntaxiques déjà entendus. 

Puis, un expert rend compte de la médiocrité de Jérémie avec des statistiques concrètes. Ainsi, les accords, les rythmiques et le vocabulaire sont bien plus riches que la version originale. Finalement, Digital Cool gagne le procès contre le rappeur de pacotille. Derrière les dialogues décalés, le scénario épluche plusieurs sphères des enjeux de L’IA face à la création. À savoir, droit d’auteur, propriété intellectuelle, vie privée. Et ces dilemmes sont en effervescence dans le domaine du droit.

Question de droits

Le logiciel ne crée pas de l’art à partir de zéro. En revanche, si l’IA intervient directement dans le processus de création, c’est grâce à sa capacité de générer une œuvre originale à partir d’un certain nombre de données brutes. Par exemple en 2016, une IA a élaboré la chanson Daddy’s Car à partir de la discographie des Beatles. Après l’examen des caractéristiques instrumentales et vocales, le logiciel a réincarné le groupe emblématique avec sa propre formule. Cependant, la voix demeure celle d’un robot.

«L’intelligence artificielle soumet son expertise au niveau de l’harmonisation, mais elle ne remplacera jamais l’artiste. » – Michael Turbot, Technology promotion manager chez Sony CSL

Pour Michael Turbot, il est néanmoins compliqué d’utiliser une compilation d’œuvres appartenant à des artistes (surtout légendaires) pour élaborer un nouveau morceau. Juridiquement parlant, c’est onéreux et interdit sans l’accord des ayants droit. Aussi, il faut savoir que lorsqu’un musicien sort un opus à l’aide d’une IA,  c’est lui qui perçoit les redevances et non le concepteur du logiciel. 

Beaucoup de fantasmes circulent sur la composition automatique et sur le recul de la créativité humaine. Il faut garder en tête que l’homme demeure le dernier maillon de l’idéation. L’IA donne seulement une trame audio, mais ne ressent aucune émotion.