[LES GRANDES ENTREVUES DE L’ÉTÉ], IA, art et accessibilité : rencontre avec l’artiste Salima Punjani

[LES GRANDES ENTREVUES DE L’ÉTÉ], IA, art et accessibilité : rencontre avec l’artiste Salima Punjani

Salima Punjani, artiste multisensorielle, s’intéresse à la façon dont les données biologiques peuvent être transformées, pour créer des expériences artistiques d’empathie et de connexion. CScience IA est allée à sa rencontre.

Les IA tiennent-elles un rôle dans votre quotidien ?

Si je pense à ma vie de tous les jours, la présence des IA prend la forme de logiciels de transcription, comme Otter AI, par exemple. En tant qu’artiste, je me soucie beaucoup d’accessibilité, alors j’essaye de l’être le plus possible pendant les appels, notamment grâce aux sous-titres sur zoom. Mais il y a aussi un grand danger là-dedans! On part du principe que l’IA fait bien son travail, mais ce n’est pas toujours le cas. Même si les sous-titres de zoom, ou Otter AI fonctionnent de mieux en mieux, il y a souvent des erreurs et on perd beaucoup de sens. Je songe, à ce propos, que mon nom apparaît différemment à chaque fois!

Santé, art et technologie font-ils bon ménage?

Oui, je le pense! Ce qui m’intéresse, c’est comment l’art peut démocratiser les outils de collecte de données biologiques pour créer davantage de connexions entre nous, plutôt que des divisions. J’ai l’impression que l’art peut nous permettre de nous éloigner de la simple focalisation sur les anomalies ou les symptômes. Pour moi, ce qui est passionnant, c’est de savoir quelles sont les choses que nous avons en commun et comment nous pouvons nous connecter à travers elles d’une manière qui ne soit pas médicale et déshumanisante.

“Progression” de Salima Punjani
Exposition du 22 avril au 21 mai 2021 à Ada X
Crédit : Vjosana Shkurti, Ada X (2021)

Trouvez-vous une quelconque inspiration dans l’IA?

J’utilise des capteurs corporels dans mon travail. Les battements de cœur, les ondes cérébrales et des éléments de cet ordre. Il y a tellement de choses intéressantes qui deviennent possibles! Comment utiliser et démocratiser les données biologiques, par exemple. Je trouve excitant d’avoir de plus en plus accès à l’utilisation des données médicales et biologiques pour créer plus de connexions et d’empathie entre les gens et démocratiser ce type de technologie.

Comment utilisez-vous la technologie dans votre travail?

J’utilise la technologie dans le but de faciliter les expériences relationnelles. Mais je ne suis pas une personne super technique! Ma force réside dans la connexion avec les gens. Donc, en réalité, la technologie me stresse beaucoup! Je dois apprendre toutes ces nouvelles choses. Je ne sais pas comment coder, par exemple, et je préfère laisser ça aux enfants de 10 ans qui sont déjà 100 fois meilleurs que moi en codage ! Je ne serai jamais capable d’apprendre ça. Mais je travaille avec des techniciens, donc ça aide beaucoup.
J’aime la possibilité que la technologie m’offre dans mon travail.

Un exemple?

Dans le travail que j’ai fait à Budapest, The Cost of Entry is a Heartbeat, le coût d’entrée était un battement de cœur… Chacun donnait le rythme de son cœur et le programme créait une sorte de moyenne des battements de cœur de chacun. C’était comme un battement de cœur collectif. Lorsque les gens marchaient dans la pièce, plus ils étaient proches les uns des autres, plus le battement de cœur était fort, et plus ils étaient éloignés, plus il était faible. Mais ils étaient toujours suivis par les battements du cœur collectif! Personne n’était jamais seul. J’apprécie énormément la connectivité qui peut résulter de la technologie, mais j’imagine bien aussi qu’elle puisse être très isolante à bien des égards.

 

Crédit : Anya Volgina

Avez-vous des craintes ou des peurs en lien avec les IA ?

Je suis travailleuse sociale agréée et je me souviens avoir parlé à des jeunes de la violence dans les fréquentations. L’un d’entre eux m’a dit : « Vous savez quoi ? Je préfère vraiment suivre une thérapie avec un robot »… Ça me fait peur quand mes clients parlent d’obtenir des conseils thérapeutiques de TikTok. Ça me fait peur qu’Instagram possède tous ces algorithmes qui ciblent des personnes en détresse. Cet aspect-là des choses me fait peur! Il est contraire à l’éthique. Quelle est la limite entre l’intérêt capitaliste et l’intérêt humain ? C’est ce qui m’effraie vraiment. Mais peut-être que je suis juste vieille.

L’IA peut-elle compléter, voire remplacer l’humain?

Je pense qu’on assiste à un énorme changement où l’on choisit de compter sur l’IA pour faire les travaux qu’un humain pourrait facilement mieux faire. C’est un gros problème pour moi et je suis sûre que je ne suis pas seule à le penser. Si vous souhaitez vraiment et profondément être accessible, il est préférable d’écrire les choses, ou encore d’avoir une transcription en direct et de payer des gens pour le faire. C’est honnêtement plus éthique. Sinon, ça devient une marque de contrôle ou de soin superficiel, et je n’aime vraiment pas ça.

L’IA idéale du futur, elle ferait quoi?

Ça serait cool s’il y avait une IA qui élève réellement les gens au lieu d’essayer de les faire culpabiliser pour qu’ils achètent des tas de produits. Une sorte d’algorithme “zéro déchet”! Comme un algorithme de capitalisme zéro, qui nous pousserait à nous concentrer sur la connexion plutôt que sur la comparaison.

Une anecdote en lien avec l’IA?

À Budapest, l’année dernière, à l’occasion d’une résidence d’artiste, j’utilisais une application de traduction, un peu comme Google Translate. Je pouvais pointer la caméra de mon téléphone sur un panneau pour comprendre ce qui était écrit. Mais ça changeait de sens toutes les 10 secondes, et c’était comme de la poésie! J’ai trouvé ça très drôle, en tant qu’artiste, de penser à la poésie de la traduction Google, entre le hongrois et l’anglais. Ça a donné lieu à des traductions assez profondes et poétiques de mots et de phrases qui en réalité disaient “ne pas entrer”!

Crédit : Anya Volgina