[LES GRANDES ENTREVUES DE L’ÉTÉ], IA, cirque et humour. Rencontre avec l’artiste et auteur.e Zed.

[LES GRANDES ENTREVUES DE L’ÉTÉ], IA, cirque et humour. Rencontre avec l’artiste et auteur.e Zed.

Cscience est allé à la rencontre de Zed, artiste de cirque, auteur.e et docteur.e en science des arts. Récipiendaire du « Prix spécial du jury » et du « Coup de cœur du Festival » du 41e Festival Mondial du Cirque de Demain, Zed est l’auteur.e de l’ouvrage « Les « Nouveaux » clowns » et de nombreuses publications. Son dernier essai « “Les clownes sont-elles politiquement incorrectes ? » cherche une maison d’édition. Iel nous a parlé de sa pratique et de l’apport de la technologie dans son univers.

L’IA a-t-elle sa place dans votre vie professionnelle?

Ça dépend des spectacles et ça dépend des numéros. Dans mon dernier numéro, je me sers d’un microcontrôleur intégré dans mon mât pendulaire. C’est un système de lumière autonome qui cadre avec ma musique et qui va faire des noirs ou des éclairs. Ça me permet de fragmenter et de déconstruire le temps. Dans un numéro de cirque classique, il y a une temporalité, une sorte de narrativité linéaire. J’ai trouvé intéressant de déconstruire cette narrativité grâce à la technologie, en créant des sortes de prises de vue cinématographiques. Je suis ici, puis d’un coup je suis là-bas, en boule, puis je reviens… On se rapproche un peu des émotions rendues par des constructions visuelles fragmentées, chose que je ne pouvais pas obtenir avec la structure linéaire classique où l’on voit le corps tout le temps sur scène et où tout est à vue.

Est-ce que l’IA tient une place dans le monde du cirque?

Il y a pas mal de choses qui se font aujourd’hui et c’est un vrai plus! Il y a des spectacles de cirque avec de l’IA, comme par exemple le cirque allemand Roncalli, qui utilise des animaux en hologrammes pour remplacer de vrais éléphants. Ça fait une sorte de spectacle semi-technologique et semi-humain. Je trouve ça très intéressant! Évidemment, il y en a qui vont vouloir mettre de l’argent ou des effets spéciaux là où ça n’est pas nécessaire, mais jusqu’à maintenant je trouve que c’est utilisé à bon escient et le but de donner un autre rendu visuel et artistique.

Crédit : Valérie Thénard Béal

L’apport des IA risque-t-il de dénaturer l’art du cirque?

On n’est pas dans la compétition sportive et dans le comparatif. On est dans l’unique, dans l’artistique, dans la pensée! À partir de là, tout est bon comme outil. Ça viendra peut-être enfreindre les lois du physique, mais pourquoi pas? Si je n’ai pas ma corde, je ne suis pas l’artiste de cirque que je suis avec. C’est un outil et un partenaire. Alors je n’ai pas peur, dans le sens où ça ne remplacera pas le cirque. En tout cas, ça ne remplacera pas l’humain dans le cirque. Et si c’est pour apporter d’autres langages, d’autres questionnements et dépasser des barrières, alors pourquoi pas!

Corps et IA font-ils bon ménage?

L’IA mise au service du corps et de certaines transformations, je trouve ça vraiment passionnant. C’est cool dans la mesure où ça réinterroge en profondeur le lien avec le corps, ça renverse les données factuelles et ça vient perturber et questionner nos horizons intellectuels. Comme une pratique artistique, ça vient bouger des lignes! Je trouve le transhumanisme passionnant. C’est comme traverser l’humain, au sens propre.

Crédit : Sebastien Lozé

Bientôt, les IA pourraient comprendre l’humour humain. Qu’en pensez-vous?

Ça ne m’étonne pas! Mais elles ne riront pas avec leurs tripes! [rires] Elles vont identifier la blague, mais elles ne vont pas trouver ça drôle réellement, dans leur corps et dans leur âme. Pour moi l’humour, c’est comme se casser la figure intellectuellement. La machine peut sûrement apprendre comment on se casse la figure cognitivement parlant, mais l’apprendre et le savoir ne veut pas forcément dire pouvoir le vivre. Il y a plusieurs formes d’intelligence et je ne suis pas certain que les IA aient toutes les intelligences, comme l’intelligence émotionnelle ou l’intelligence corporelle.

Avez-vous des craintes ou des peurs en lien avec les IA?

Je ne suis pas old school, je n’ai pas peur des nouvelles technologies ou des outils en tant que tels. Mais j’ai peur d’un manque d’éthique de l’humain! Un couteau peut être formidable pour l’évolution, mais peut aussi tuer des gens. Donc comme n’importe quel outil, ça dépend de l’usage qu’on en fait. Ce qui me ferait peur, c’est qu’on efface les différences. Que dans une vision capacitiste du monde, on écrase l’humain, on le lisse. La question de l’éthique est primordiale à mes yeux.

L’IA idéale du futur, elle ferait quoi?

Ça serait une intelligence qu’on mettrait au service des choses importantes! La planète est en train de mourir et l’intelligence artificielle peut nous aider. J’arrêterais l’exploitation animale, j’arrêterais de détruire la faune et la flore et je mettrais de belles choses au service de la terre pour ne pas la détruire. Pour moi, c’est une priorité de pensée. C’est là-dessus qu’il faut qu’on porte notre attention en premier. Ça ne sert à rien de penser comment être ou de se vouloir éternel si on n’existe plus !