Difficile de tirer parti de l’innovation dans le domaine de la santé

Difficile de tirer parti de l’innovation dans le domaine de la santé

Après plusieurs années d’efforts pour intégrer les innovations numériques dans les hôpitaux, docteurs et malades se désolent de voir que peu de progrès ont été accomplis à ce jour. Un rapport de force déséquilibré entre les professionnels de la santé et les entreprises en technologies, ainsi que des procédures bureaucratiques lourdes seraient un frein à l’innovation.

« Nous n’avons pas de ressources, nous sommes toujours pressés par notre emploi du temps. Les entreprises qui me contactent pour me proposer des inventions se présentent avec une équipe de 15 employés, des techniciens, des avocats. Moi, je dois les rencontrer tout seul », soulignait le 6 octobre dernier le Dr Michaël Chassé, médecin spécialiste en soins intensifs au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

C’est à l’occasion d’une conférence donnée par MedTech, une association d’entreprises en technologies de la santé, que le médecin et scientifique principal au Centre de recherche du CHUM a fait ces remarques.

Le Dr Chassé a voulu faire comprendre aux grandes pharmaceutiques présentes les obstacles vécus par ses collègues et lui lorsqu’ils discutent d’innovations avec ces entreprises.

En effet, ce dernier doit « payer de sa poche » un assistant pour l’aider à gérer la paperasse, les contrats et les accords de non-divulgation.

C’est ce genre de défi auquel doivent faire face les médecins qui veulent collaborer avec des compagnies, mais dont l’approche n’est pas adaptée à la réalité d’un système universel et public de soins de santé au Canada, d’après le Dr Chassé.

LA NUMÉRISATION TARDE

Un article du Journal de Montréal résumait en février dernier comment, après 20 ans et deux milliards de dollars investis dans le projet de l’informatisation du réseau de la santé, les résultats ne se sont jamais concrétisés.

Depuis, un nouveau projet de trois milliards a été lancé par le gouvernement pour créer un profil médical pour tous les Québécois accessible partout, intitulé Dossier santé numérique (DSN).

Selon Paul G. Brunet, président-directeur général et président du conseil d’administration du Conseil pour la protection des malades, c’est la faute à la bureaucratie alourdissante et aux intérêts de certaines entreprises que tant de retard en innovation numérique s’est accumulé dans les hôpitaux.

« Ça provient entre autres d’un blocage systématique au niveau de la bureaucratie dans les établissements. C’est bien connu qu’il n’est pas facile d’entrer dans ce milieu pour les entreprises lorsque des centaines de millions de dollars en contrats de service sont en jeu », a-t-il insisté.

Une situation que semble corroborer le Dr Chassé.

Effectivement, malgré le fait que de nombreuses entreprises aient pris la peine de le rencontrer, peu de projets ont abouti rapporte-t-il.

« J’ai eu je ne sais combien de discussions dans les dernières années avec des gens qui me proposaient un algorithme qui allait nous aider à optimiser notre pratique clinique, mais jusqu’à ce jour aucune de ces innovations ne s’est retrouvée dans la chambre du patient », a souligné le Dr Chassé.

Pour M. Brunet, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) devrait prioriser l’amélioration de l’accès aux soins cliniques et la coordination avec le milieu de la santé en tirant profit des outils du numérique.

« La COVID a démontré que les consultations en visioconférence permettent de traiter de 30 à 40 % des urgences mineures. Qu’attend-on pour intégrer de façon permanente ce système ? » – Paul G. Brunet, président-directeur général et président du conseil d’administration, Conseil pour la protection des malades

NORMES ET RÈGLES

Lorsqu’un médecin est contacté par une entreprise désirant tester ou implanter un nouvel outil dans une pratique clinique, certaines normes éthiques et règles imposées par l’établissement de santé concerné doivent être suivies.

Au CHUM on indique que les « demandes subséquentes d’approbation sont centralisées auprès d’instances décisionnelles responsables de l’évaluation et de l’acceptation du projet. »

Lorsqu’un chercheur veut entreprendre un projet de recherche en collaboration avec une compagnie, il doit le déposer au comité d’éthique de la recherche afin d’obtenir les autorisations requises à son déploiement.

« Si un projet nécessite l’accès à des données, seuls les professionnels qualifiés et certifiés de l’équipe de CITADEL peuvent accéder aux données, en extraire des sous-groupes dénominalisés et faire les analyses qui sont remises aux chercheurs » -Le CHUM

De son côté, le Collège des médecins du Québec, bien qu’il n’impose pas spécifiquement de règles à suivre en cas de partenariat entre un médecin et une entreprise, a rappelé à ses membres dans le passé qu’ils se doivent de suivre certaines normes éthiques.

En mai 2017, le site internet de l’ordre professionnel publiait un texte indiquant que « le médecin doit préserver en tout temps le secret professionnel » dans l’éventualité d’une collaboration avec des fournisseurs de logiciels utilisés pour la gestion des dossiers médicaux électroniques (DME).

Contactées à ce sujet, les relations médias du Collège ont répondu par courriel qu’un médecin a également la responsabilité de s’assurer de la validité d’un outil numérique proposé.

« L’adoption par un médecin d’un DME doit passer par le choix d’un produit homologué par le MSSS. Les dossiers médicaux électroniques doivent être exempts par exemple de toute publicité ou de suggestion de médicaments particuliers au médecin » -Le Collège des médecins

Crédit photo: Pexels/Thirdman