[ANALYSE] Le dossier patient numérique – Où en sommes-nous?

[ANALYSE] Le dossier patient numérique – Où en sommes-nous?

Malgré les aspects résolument pratiques d’un dossier patient numérique, toute société est en droit de se questionner sur la volatilité des données biométriques. Voyons les avancées de ce vaste projet et comment les données sont gérées.

Quand on s’imagine un dossier patient numérique, on le pense forcément unifié et complet, mais la réalité est tout autre. Force est de constater que la gestion des données médicales est encore très parcellaire, du moins en ce qui concerne le Québec. Alors qu’on pourrait croire que tout s’automatise finement, la gestion reste segmentée. L’unité n’est qu’apparente.

LE CARNET SANTÉ QUÉBEC

Le carnet santé Québec permet aux Québécois de consulter en ligne leur liste de médicaments en pharmacie et leurs résultats d’examen médical, comme un test COVID, par exemple.

Notons que pour ce qui est de l’historique des vaccins administrés aux citoyens, il faut se référer à un autre carnet. C’est le carnet de vaccination confié à chaque citoyen dès leur naissance. Faut-il alors deux carnets pour un seul citoyen ?

Preuve de vaccination et multiplications des carnets

Pour le moment, la gestion informatique de la vaccination au Québec ne passe pas par ce carnet santé numérique, mais par le carnet physique, sous forme de petite brochure papier, que les Québécois doivent garder précieusement comme avant l’ère du numérique.

Les preuves de vaccination sont gérées par une autre plateforme nommée VaxiCode. Cette seconde application officielle du gouvernement du Québec permet aux citoyens d’enregistrer leurs preuves de vaccination grâce à un code QR. Notons simplement que VaxiCode ne collige que des informations vaccinales liées au COVID et non celles concernant les autres vaccins comme celui de la rage ou du tétanos.

Ainsi, les deux plateformes se chevauchent et ne centralisent par leurs données pour le moment. Le site du Gouvernement nous dit que les informations seront colligées dans le carnet de santé numérique, mais ça n’est pas le cas pour l’instant.

Un simple constat, mais qui nous permet de voir comment plusieurs applications peuvent intervenir pour mettre en place ce qu’on appelle le dossier patient. Un dossier qui a une forme encore tentaculaire.

Carnet de santé et médecin de famille

Sous forme de plateforme numérique, le carnet de santé électronique permet également aux Québécois de prendre un rendez-vous avec un médecin de famille.

Sans vouloir offenser cette belle initiative, on constate que la communauté des médecins de famille se détache alors naturellement de ses citoyens pour en laisser la gestion à un système. De plus, nous ne pouvons taire le manque grandissant de ces médecins dans la province et leur faible accessibilité. Des listes d’attente de plusieurs années se trament sur cette plateforme sans que les patients ne puissent en connaître le suivi.

La fonctionnalité de ce site et les espoirs d’une prise en charge qu’elle fait naître provoquent très souvent l’effet inverse espéré et les citoyens se sentent plutôt abandonnés face à un débordement de procédures sans réel résultat.

L’informatisation de la gestion des médecins de famille nous apparait ici comme un leurre de facilité et de proximité pour le patient.

LE DOSSIER SANTÉ QUÉBEC

Alors que le Carnet Santé Québec est un outil informatique à l’usage des patients, le Dossier Santé Québec (DSQ) est destiné aux médecins ou à d’autres professionnels de la santé. Nous verrons cependant comment certaines données biométriques passent au-delà du regard du médecin.

Avantages pour les médecins et autres professionnels de la santé

Le DSQ existe à travers une application numérique et il est construit à partir de l’historique des données biomédicales d’un individu. Ce dossier numérique donne un accès direct à des informations biométriques aux professionnels de la santé et autorise ainsi une intervention rapide en cas d’accident.

Il permet aussi un ajustement de la médication afin d’éviter les mauvaises interactions et, en définitive, de regrouper et de centraliser les informations biométriques des citoyens.

Certains pourraient y voir un contrôle étatique par une trop grande divulgation des informations personnelles. D’autres y voient un grand progrès pour la santé en général. Il est vrai que les données contribueront à alimenter la recherche, mais à quel prix le permettons-nous au regard de nos libertés individuelles ?

C’est ce qu’il faut bien analyser pour ne pas tomber dans des considérations extrêmes.

LA DISCRÉTION À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE

Pour nous référer à la confidentialité des médecins, nous évoquons la plupart du temps le fameux serment d’Hippocrate qui affirme ceci :

« Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. » – Un des serments d’Hippocrate

Notons que le Collège des Médecins du Québec adopte le 15 décembre 1999 une version nouvelle de ce serment. La voici : « Je respecterai le secret professionnel et ne révélerai à personne ce qui est venu à ma connaissance dans l’exercice de la profession à moins que le patient ou la loi ne m’y autorise », Collège des Médecins, 15 décembre 1999.

Comment ne pas s’interroger devant la porte grande ouverte faite à nos données avec de telles exceptions stipulées à la règle ! Les informations ne seront pas divulguées… sauf si une loi le permet. Alors, deux alternatives s’imposent. Soit nous devons allouer une confiance sans borne au pouvoir législatif, soit nous notons l’aspect sensible de ces données et craignons leur divulgation.

De toutes les manières, il faut baliser le terrain. Voyons d’abord comment le canal d’information fonctionne.

Ce que le patient peut savoir

Le patient a le droit, sur demande, d’examiner et d’obtenir une copie de l’ensemble des dossiers médicaux réunis par le médecin dans le cadre de la prestation de conseils ou de l’administration de traitements, y compris les dossiers que d’autres médecins auraient pu communiquer au médecin traitant le concernant.

En revanche, il existe plusieurs restrictions. Le patient n’a pas le droit d’examiner des renseignements ou des documents reçus ou compilés par le médecin hors du cadre de la relation médecin-patient, ni d’en obtenir de copie.

Il est précisé que le droit général d’accès aux dossiers médicaux dont jouit le patient « n’est pas absolu ». En effet, le médecin peut juger nécessaire de ne pas divulguer des renseignements qu’il croit, « d’un point de vue raisonnable », susceptibles d’entraîner un effet néfaste important sur la santé physique, mentale ou la stabilité émotive du patient, ou encore de porter préjudice à un tiers.

En définitive, il appartient au médecin de justifier le refus d’accès au dossier patient.

Ce que les autres peuvent savoir

Il faut noter également que certains intervenants autorisés ont accès au dossier médical DSQ des citoyens et peuvent consulter les informations qui s’y trouvent.

La loi prévoit donc certaines exceptions face à la divulgation. La police peut y avoir accès, par exemple, lorsqu’il existe un risque sérieux et urgent de mort ou de blessures graves pour une personne ou un groupe de personnes identifiables. 

Aussi, un médecin peut, en droit, autoriser un professionnel à consulter un dossier médical à des fins d’étude, d’enseignement ou de recherche. 

On remarque également que les données peuvent être divulguées, sans le consentement du patient, à des organismes comme la CNESST ou la DPJ. Des exceptions, semble-t-il, justifiées pour la protection de l’individu et de la société.

Bref, il est encore trop tôt pour parler d’un dossier patient centralisé au Québec. Plusieurs applications y contribuent, mais ne centralisent pas leurs données. En cas de litige, le dossier médical demeure accessible à la Cour, même s’il contient souvent beaucoup plus de données que celles nécessaires à l’analyse.

BIBLIOGRAPHIE

Association canadienne de protection médicale ; Tenue des dossier.

Association canadienne de protection médicale ; Gestion des dossiers médicaux.

Éducaloi ; Le droit ou non d’accéder au dossier médical ; 2021.

Gagné, Richard ; Preuve de vaccination contre la COVID-19: essentielle? ; Le Devoir numérique, février 2021.

Gouvernement du Québec ; Dossier santé Québec ; 2021.

Radio-Canada ; Vos questions sur le passeport vaccinal ; 2021.