[ANALYSE] La e-démocratie c’est quoi et y sommes-nous rendus ?

[ANALYSE] La e-démocratie c’est quoi et y sommes-nous rendus ?

Sans céder à la gouvernementalité algorithmique, ni être soumis au phénomène d’UBERisation, l’état doit mettre en place la démocratie numérique tout en veillant à ne pas conduire la société vers une disruption ou une fracture numérique.

C’est un jeu d’équilibre fragile, mais essentiel dont doivent faire preuve les grands administrateurs de notre vie publique. Son but est de préserver les meilleures relations possibles à l’intérieur d’une société entre les dirigeants et les dirigés.

Un pacte de confiance bien abstrait

Ces personnes d’État ont pour mandat d’effectuer une transformation numérique à l’échelle de la société et ont le devoir de produire des communications transparentes faisant état de leur processus et de l’ensemble de leurs objectifs liés à cette transformation. 

Par ces communications, l’état s’engage à maintenir avec le citoyen un lien de confiance. Comme nous le rappelait M. Xavier Baily, doctorant du laboratoire de recherche Art-Dev, lors d’une entrevue avec CScience IA, « dans une démocratie saine, ce lien ne relève pas d’un assujettissement des citoyens à la puissance publique, mais d’un pacte de confiance. »

Mais encore faut-il établir cette confiance. Ce qui n’est pas évident dans le climat actuel qui relève parfois du scepticisme, mais aussi, disons-le de la paranoïa, envers les infrastructures. L’inquiétude du citoyen est légitime. Tentons d’en examiner les sources et voir comment y remédier.

LES 3 VICES DE LA GOUVERNEMENTALITÉ ALGORITHMIQUE

La critique actuelle d’un excès de gouvernementalité algorithmique vise les caractères excessifs et compulsifs propres au data-mining, et au machine learning et « de tout ce que l’on place sous le signe de l’intelligence artificielle au service de rationalités sectorielles », nous précise Antoinette Rouvroy, chercheuse au FNRS et philosophe du Droit à l’Université de Namur.

1- La gourmandise

D’une part, la systématisation des procédés ne doit pas succomber à ce que l’on surnomme la voracité des données. Les données personnelles que le gouvernement doit nécessairement gérer, en tant qu’administrateur public, doivent se limiter au strict minimum. Du moins c’est ce que l’on peut espérer de notre État québécois et de tout autre État.

À chaque étape du cycle de vies des données, il est primordial de procéder à un nettoyage des données, ne pas utiliser les données fournies par de tierces parties, ne sélectionner que celles qui servent au système et organiser leur suppression à la fin des activités.

2- La paresse

D’autre part, les procédés intelligents, issus de l’apprentissage profond, ne doivent pas servir de relais dans les responsabilités propres au gouvernement et décider pour lui en situation d’incertitude. L’administration publique doit s’assurer de garder un contrôle maximal sur les décisions automatisées.

Les citoyens ne supporteraient pas longtemps d’être gouvernés entièrement par des machines et les révoltes face à cet autoritarisme latent pourraient faire du bruit.

3- L’avarice

Par ailleurs, insidieusement, les systèmes pourraient être programmés au profit de certains producteurs ou utilisateurs. Ce qui serait porté au jour comme un véritable scandale. Ainsi, les objectifs dans tout type de transformation numérique ne peuvent être que clairs et transparents.

QU’EST-CE QUE L’UBERISATION ET POURQUOI CRAINDRE CE PHÉNOMÈNE

De manière générale, l’uberisation, que l’on peut aussi appeler plateformisation, consiste à utiliser le modèle d’affaires propre à l’entreprise Uber et de l’appliquer un peu partout ailleurs.

Ces plateformes mettent en contact directement les professionnels et les clients sur un mode de service B2C (Business-to-Consumer). La plateforme AirBnB est un autre exemple de ce type de modèle d’affaires.

L’uberisation touche, on le voit, le domaine des transports et celui de l’hôtellerie, mais s’étend déjà sur bien d’autres secteurs. C’est un phénomène qui ébranle la société, car il déstabilise la concurrence localement légiférée et secoue les normes du travail. 

Face à ce phénomène, l’administration publique doit-elle réagir? Bien qu’il y ait déjà eu des débats au Québec sur les problèmes économiques liés à Netflix, on se demande bien si les gouvernements seront en mesure d’avoir une position ferme. L’Australie, par exemple, a interdit les services UBER, à l’instar de la Bulgarie et de l’Italie. Une affaire à suivre.

ÉVITER LA FRACTURE NUMÉRIQUE ET ENCOURAGER LA PARTICIPATION CITOYENNE

La fracture numérique c’est un fossé qui se creuse, non plus entre les riches et les pauvres, mais entre ceux qui sont bien connectés et ceux qui le sont mal ou pas du tout. Comme si l’égalité face aux services était tributaire de la connectivité des utilisateurs. 

Leave no one behind

Or, les états semblent bien conscients aujourd’hui du risque de cette fracture et plusieurs initiatives démontrent un désir de rapprochement entre le citoyen et l’administration publique. La phrase célèbre de Justin Trudeau, reprise des Nations Unies, en témoigne: Leave No One Behind concerne avant tout la connectivité pour tous.

Au Québec, malgré les constats de la vérificatrice générale concernant l’isolement vécu par les personnes âgées, dans les CHSLD et durant la pandémie de COVID-19, nous ne pouvons pas nier leur plus grande connectivité.

« 81% des personnes âgées au Québec estiment que les technologies numériques les aident à briser l’isolement en favorisant les interactions sociales. »

– NETendances, Les aînés connectés au Québec, Vol. 11, N°4, éd. 2020.

L’isolement de certaines populations est un défi de taille pour toutes les nations et elle va passer par toutes sortes d’initiatives. Il est générationnel, mais il peut aussi être culturel, c’est pourquoi les approches doivent être multiples pour former ce qu’on pourrait nommer la société civile numérique.

La participation citoyenne

Afin d’intégrer les populations dans les processus de transformation numérique étatique, il semble également nécessaire d’impliquer au mieux le citoyen. Si notre ministre de la Transformation numérique gouvernementale nous annonce que chaque citoyen sera doté d’une identité numérique en 2021, nous sommes en droit de nous demander quelle forme elle prendra.

Une bonne manière de s’impliquer dans ces questions politiques et citoyennes est de participer activement aux débats de société. La Déclaration de Montréal met l’accent sur les processus de délibération nécessaires à la prise de position éthique face aux technologies. 

Transformation numérique: atout ou menace?

Le 30 novembre prochain, ne manquez pas une occasion de venir délibérer sur des questions de fond avec l’Innovateur en Chef au Québec, Luc Sirois et le Scientifique en chef, Rémi Quirion. C’est gratuit, c’est mardi prochain. Nous vous y attendons nombreux et avons hâte de connaître vos opinions sur les atouts et les craintes du numérique.

Pour vous inscrire: https://www.cscience.ca/evenement/

BIBLIOGRAPHIE

De Poortere, Catherine; Gouvernementalité algorithmique : 3 questions à Antoinette Rouvroy et Hugues Bersini; PointCulture; 2019.

PwC; La disruption numérique secoue les fondements de toutes les entreprises; 2021.

VGQ; Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2021-2022, novembre 2021.