[ÉDITORIAL] Les Québécois ouverts au partage de leurs données médicales, vraiment ?

[ÉDITORIAL] Les Québécois ouverts au partage de leurs données médicales, vraiment ?

Le journal La Presse révélait le 5 décembre dernier un sondage de la firme Léger Marketing laissant entendre que les Québécois seraient en grande majorité prêts à partager leurs données de santé si cela peut servir la recherche médicale. Un sondage dévoilé deux jours à peine après le dépôt du projet de loi 19. L’affaire serait-elle désormais réglée pour les chercheurs qui réclament l’accès aux données des patients ? Pas si sûr. 

Le sondage dévoilé dans le journal La Presse du 5 décembre dernier aurait de quoi rassurer certains experts de l’analyse des données, l’industrie pharmaceutique, les chercheurs du milieu médical, et le gouvernement qui vient à peine de déposer le projet de loi 19 sur les renseignements de santé.

Chiffres du sondage Léger Marketing à l’appui, l’article de nos confrères n’affirme rien de moins que « les Québécois sont prêts à partager leurs données de santé ».

Or, de nombreux paramètres doivent être pris en compte dans ce coup de sonde, qui semble contredire une idée largement répandue sur certains réseaux sociaux et par une partie de l’opposition à l’Assemblée nationale selon laquelle la population serait majoritairement opposée à l’accès aux données personnelles en santé. 

UN SONDAGE AU DIAPASON DU MILIEU DE LA RECHERCHE MÉDICALE

Le sondage, commandé par les Fonds de recherche du Québec-Santé en partenariat avec Génome Québec pour mesurer l’acceptabilité sociale du partage des données des patients, a porté sur un échantillon de 1 502 personnes. Il révèle que 78% des personnes interrogées seraient favorables à l’accès de leurs données de santé par les chercheurs, mais à la condition que ces données restent anonymes.

Selon ce même sondage, 74% d’entre elles seraient même prêtes à partager leur profil génétique avec les scientifiques si ce partage ne révèle aucune information personnelle.

Parmi les raisons qui justifieraient aux yeux des personnes interrogées un tel partage de données, figure en tête de liste le fait « d’accélérer la recherche et le développement de traitements pour les maladies », d’améliorer « les actions en santé préventives », de « mieux planifier les besoins du réseau de la santé », et « d’adapter les traitements en fonction du profil personnel de la personne malade ».  

« Le projet de loi 19 offre des solutions prometteuses aussi bien en matière d’accessibilité que de protection des données de santé des Québécois. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Des raisons qui viennent corroborer les demandes exprimées par le milieu médical et par les chercheurs québécois qui travaillent sur le traitement des données de santé anonymisées. Des demandes clairement exprimées en septembre dernier, à l’occasion de l’événement Effervescence, et qui visent un accès plus rapide et facilité à ces données, comme en bénéficient déjà les scientifiques ontariens. 

Des positions qui paraissent pour le moins légitimes au regard de l’évolution technologique de la science et des défis sociétaux de plus en plus complexes posés au milieu de la santé, que la pandémie de COVID-19 a exacerbés.  

UN PROJET DE LOI POUR ENCADRER LE PARTAGE DES DONNÉES

Le gouvernement tente de répondre à ces défis et ces besoins avec son projet de loi 19, déposé la semaine dernière par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. 

Disons-le d’emblée, le projet de loi 19 offre des solutions prometteuses aussi bien en matière d’accessibilité que de protection des données de santé des Québécois. Figurant comme l’un des piliers majeurs du programme de transformation de la santé lancé par le ministre, il prévoit qu’un chercheur peut obtenir l’autorisation d’accéder à un renseignement de santé ou de services sociaux, sous certaines conditions, « lorsqu’il est nécessaire à la réalisation d’un projet de recherche ». 

Le projet de loi prévoit qu’un comité éthique devra approuver cette démarche et entend conduire à la création d’un centre d’accès pour la recherche qui encadrerait l’accès des chercheurs, et en particulier ceux du privé.

« Sur un sujet aussi crucial, il conviendrait de prendre le temps de sonder l’ensemble de la population québécoise dans un plus large spectre. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Ainsi, le ministre Dubé souhaite que ces données restent centralisées et maîtrisées par le gouvernement pour éviter tout risque d’exploitation indue par le privé. Le mot d’ordre affiché, c’est maintenir le lien de confiance entre les chercheurs et les patients. Selon le projet de loi, c’est le ministre qui définira lui-même les règles de gouvernance des renseignements de santé. Encore faut-il s’assurer que cette gouvernance des données au sein du ministère de la santé s’accompagne de garde-fous. 

Le nouveau portail web d’information que devrait prochainement lancer le gouvernement et qui devrait permettre à tout patient de connaître l’état d’utilisation de ses données par les chercheurs, suffira-t-il à rassurer les citoyens ? Difficile de l’affirmer pour l’heure.    

UNE ADHÉSION POPULAIRE À PONDÉRER

Le sondage dévoilé la semaine dernière doit ainsi nous amener à la plus grande prudence, tout d’abord parce qu’il porte sur un échantillon réduit de 1 500 personnes. Ensuite, parce que l’échantillon de ce sondage peut prêter à discussion quant à sa représentativité.

On constate, en effet, à la lecture des résultats que les personnes interrogées sont principalement issues des catégories socioprofessionnelles les plus élevées (65 % sont titulaires d’un diplôme universitaire et 70% exposent un revenu familial annuel supérieur à 150 000 $). 

« Les garanties d’une utilisation responsable et justifiée de nos données de santé vont devoir être clairement expliquées et illustrées par des exemples très concrets, si l’on souhaite réellement obtenir l’assentiment des Québécois et lever toute ambiguïté. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Difficile de dire sur cette base-là qu’une majorité de Québécois est maintenant favorable aux partages des données en santé.

Sur un sujet aussi crucial, il conviendrait de prendre le temps de sonder l’ensemble de la population québécoise dans un plus large spectre. D’autant plus que les conséquences juridiques de l’accès aux données de santé sont d’ores et déjà sujettes à débat. 

DES ENJEUX JURIDIQUES EN SUSPENS

L’analyse de notre journaliste Patricia Gautrin dans son article du 15 octobre dernier sur le dossier patient numérique mettait ainsi en évidence les limites actuelles qui entourent la protection du Dossier Santé Québec (DSQ). Ce dossier numérique, qui réunit l’historique des données biomédicales d’un patient à l’usage des médecins et d’autres professionnels de la santé, est censé répondre au principe de confidentialité qui régit la relation patient-médecin. Or, la nouvelle loi ne risque-t-elle pas d’entrer en contradiction avec ce principe. La question juridique se posera de facto.

Actuellement, l’arsenal juridique en place ne privilégie pas le devoir de transparence des utilisateurs de données personnelles de santé. De même, le risque d’une analyse croisée de données grâce à nos historiques de recherche sur le web ou bien nos historiques de paiement, n’est pas encore totalement levé. Les garanties d’une utilisation responsable et justifiée de nos données de santé vont devoir être clairement expliquées et illustrées par des exemples très concrets si l’on souhaite réellement obtenir l’assentiment des Québécois et lever toute ambiguïté. 

Les enjeux éthiques comme l’usage de nos données à vocation potentiellement discriminatoire par certains assureurs ou employeurs, ou bien à vocation mercantile en ajustant le coût des médicaments au prorata des renseignements médicaux des patients est un risque encore bien réel et bien présent dans l’esprit de nombreux citoyens.

Avant de claironner que les Québécois sont ouverts au partage de leurs données de santé, il faudrait donc sans doute se garder une petite gêne.   

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience IA
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo : Pexels / Alex Green