Les origines de l’intelligence artificielle dateraient de l’époque où Québec a vu le jour

Les origines de l’intelligence artificielle dateraient de l’époque où Québec a vu le jour

Un article reproduit avec l’accord et la collaboration de la revue La Conversation

Les origines de l’intelligence artificielle seraient beaucoup moins récentes qu’on ne le pense couramment. Elles remonteraient au XVIIème siècle, à l’heure où la ville de Québec sortait à peine de terre, si l’on en croit le physicien français spécialiste des neutrinos, François Vannucci, qui vient de publier sur la revue La Conversation un article sur la contribution du célèbre physicien Blaise Pascal à l’émergence de l’IA. 

On se souvient de Pic de la Mirandole comme de l’homme qui savait tout des connaissances de son temps. Mais Einstein nous avertit : « l’imagination est plus importante que le savoir ». Le savoir seul est stérile et ne permet pas le progrès. L’instrument du savoir c’est l’intelligence ou la raison, celui de l’imagination c’est l’instinct ou le cœur, selon les paroles mêmes de Pascal, et à cet aune de l’imagination, le grand penseur fait figure de visionnaire comme le prouve l’ensemble de ses contributions aussi bien en sciences qu’en philosophie.

« L’intelligence n’a rien à prouver, elle a à déblayer. Elle n’est bonne qu’aux tâches serviles. » Simone Weil, La pesanteur et la grâce

En particulier, Pascal peut être crédité de deux innovations obligatoires qui permettent d’envisager aujourd’hui l’intelligence artificielle (IA) : il met au point le premier calculateur mécanique de l’histoire et il développe les premiers rudiments du calcul des probabilités.

PASCAL PHYSICIEN ET INGÉNIEUR

Une pascaline, signée par Pascal en 1652, au musée des arts et métiers du Conservatoire national des arts et métiers à Paris. David.Monniaux/Wikimedia, CC BY

En 1631, Le jeune Blaise a 19 ans et la famille s’installe à Rouen où son père est nommé par le cardinal de Richelieu commissaire délégué pour le recouvrement de l’impôt et la levée des tailles, taxes très impopulaires de l’Ancien Régime. Afin de faciliter le fastidieux travail paternel, Blaise invente la première machine à calculer qui permet d’effectuer mécaniquement des additions et des soustractions de deux nombres ainsi que des multiplications et des divisions par répétition.

Elle fonctionne grâce à un système original de six roues à engrenages et comporte un cliquet ou sautoir qui reporte automatiquement les retenues des opérations. La machine sera appelée la Pascaline, on en voit un exemplaire au musée des Arts et Métiers de Paris. Une dizaine de machines furent construites, mais, trop chère à la vente, l’invention s’avèrera un échec commercial.

PASCAL STATISTICIEN

En 1654 Pascal initie une discipline nouvelle qu’il appelle la géométrie du hasard. C’est une méthode qui éclaire le problème de la chance aux jeux de hasard et cela constitue le premier pas dans les calculs statistiques dont il peut être considéré le pionnier.

Avant lui, Galilée s’y était déjà frotté, répondant au grand-duc de Toscane qui demandait pourquoi, quand on lance 3 dés, la somme 10 sort plus souvent que 9 ? Avec des faces équiprobables, on trouve une probabilité 0,116 de tirer 9 et 0,125 de tirer 10 ; le grand-duc avait l’œil à tout.

Dans son Traité du triangle arithmétique, Pascal explique la technique des calculs appelés aujourd’hui des probabilités, il introduit en particulier le raisonnement par récurrence omniprésent en mathématiques.

Un ordinateur d’une part, une méthode de calcul statistique d’autre part, voila les deux ingrédients nécessaires et obligatoires pour développer une intelligence artificielle (IA).

QU’EST-CE QUE L’IA ?

L’IA est la faculté d’une machine artificielle, c’est-à-dire construite par l’homme, un ordinateur donc, de démontrer des propriétés qui égalent ou même dépassent le cerveau humain, fut-il celui d’Einstein.

L’IA est à la mode. La télévision, dans son journal du soir, a vanté récemment son bénéfice pour gérer de manière optimale la ronde des transports de camions entre divers points de livraison. L’intelligence nécessaire ici équivaut à celle d’une colonie de fourmis. Les programmes d’optimisation dans un problème de choix multiples sont connus depuis longtemps.

Pour maîtriser la complexité du monde, les physiciens, qui ont la haute main sur les techniques de calcul statistique, ont élaboré la simulation dite de Monte-Carlo, nom qui rappelle évidemment le jeu de roulette et le tapis vert. C’est la méthode de choix pour évaluer la possibilité de réalisation d’un problème gouverné par un grand nombre de paramètres corrélés, chacun étant astreint à suivre une loi compliquée de probabilités.

En pratique, on sait déjà qu’un ordinateur bat au jeu d’échecs le champion du monde, car il peut calculer à grande vitesse tous les mouvements envisageables et sélectionner sans coup férir le choix gagnant.

L’IA se retrouve en reconnaissance faciale ou dans la conduite d’une voiture autonome. De manière socialement plus engagée, un tribunal chinois l’utilise comme procureur de justice. Une machine est capable d’identifier divers délits courant : vol, fraude, conduite dangereuse… Entraînée sur 17000 dossiers, elle peut porter accusation avec une précision de 97 % sur la base d’une description verbale de l’affaire. Cela réduira d’autant la charge des juges, mais qui assumera la responsabilité en cas d’erreur ?

Notons que l’IA analyse nos comportements, par exemple à travers nos utilisations d’Internet, pour ensuite favoriser nos goûts ou nos habitudes et ainsi canaliser nos choix futurs, ce qui in fine contraint notre liberté.

« L’imagination est un art caché dans les profondeurs de l’âme humaine et nous n’arracherons sans doute qu’avec peine à la Nature le secret de ses vrais mouvements. » Emmanuel Kant

Alors l’IA peut-elle émuler l’homme dans toutes ses activités ? Notre système nerveux opère à l’image d’un super ordinateur qui reçoit, emmagasine et retrouve l’information. Mais il peut aussi apprendre et concevoir. D’ores et déjà, certaines machines utilisent des mécanismes de rétroaction analysant une tendance pour adopter de nouveaux comportements plus aptes au succès de leur tâche. C’est le cas du refroidissement stochastique où l’information sur la dynamique d’un faisceau de particules accumulées dans un anneau circulaire est utilisée pour améliorer les qualités ultérieures du faisceau. Ainsi le CERN a développé un dispositif pour produire des faisceaux filiformes intenses d’antiprotons. En quelque sorte, le système est évolutif et créatif, il apprend, mais le mécanisme découle entièrement de l’intelligence de celui qui a conçu l’astucieux stratagème et Simon Van der Meer reçut un Prix Nobel en 1984 pour cette invention.

Tous ces exemples reposent sur des manipulations algorithmiques de plus en plus sophistiquées. Le problème est de savoir si l’IA peut aller au-delà de simples calculs pour faire preuve de l’imagination qui est, comme l’a rappelé Einstein, le moteur essentiel pour faire progresser les idées.

L’IA PEUT-ELLE ÊTRE CRÉATRICE  ?

L’ambition des promoteurs de l’IA n’est ni plus ni moins que de cloner le cerveau humain. Or celui-ci est capable non seulement de manipuler des savoirs, mais il sait aussi concevoir des pensées nouvelles, qui lui permettent d’explorer les domaines de l’art, des mathématiques, de la morale, du concept de Dieu… ce qui le différencie a priori d’un ordinateur qui n’accomplit que les opérations qu’on lui soumet. S’il y a une création de pensée en bout de chaîne des algorithmes, la méthode opératoire d’une machine copie celle du système nerveux et un super ordinateur pourra développer une IA. Sinon, l’IA sera limitée à l’intelligence servile dont parle Simone Weil.

Dans le cadre de la théorie de l’évolution, le subjectif naît à partir d’une « phosphorescence » de la matière, alors la faculté d’imagination est imputable à la seule propriété des phénomènes physiques qui agitent cette réalité matérielle, en conséquence des circuits imprimés devraient être un jour capables d’imagination. Mais si le subjectif a une autre source, impliquant une composante spirituelle autonome, alors le but ultime de l’IA ne sera jamais atteint.

Notons que la créativité qui prend son origine dans l’intuition se libère du déterminisme strict des lois de la physique classique pour donner sa chance à un hasard, au moins apparent. Le hasard semble être l’instrument de la créativité, or il y a du hasard dans une vie humaine, mais il n’y en a pas a priori dans un ordinateur, sinon celui des pannes électriques qu’on ne peut guère imaginer créatrices.

LA CONCLUSION DE PASCAL

Les moteurs de recherche aujourd’hui disponibles recèlent déjà infiniment plus de connaissances que le cerveau de Pic de la Mirandole. Il reste à savoir si un jour un robot très évolué pourra concurrencer Pascal au niveau de l’inventivité. Laissons-lui le dernier mot. Dans ses Pensées, il écrit, en prenant des accents de prophète : « La machine arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux. Mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu’elle a de la volonté, comme les animaux ». Or c’est la volonté, critère de la liberté du vivant, qui amène à la création tant artistique que scientifique. Ainsi pour Pascal, l’objectif affiché de l’IA semble un leurre.

Pour lire l’article dans La Conversation : https://theconversation.com/blaise-pascal-et-les-premisses-de-lintelligence-artificielle-152056Rendez-vous IA Québec 2022

Crédit photo : Wikipedia

Source : La Conversation