[TimeWorld IA] Performance physique, univers et solidarité pour la dernière journée

[TimeWorld IA] Performance physique, univers et solidarité pour la dernière journée

CScience IA vous propose de découvrir les moments marquants de cette dernière journée de l’événement TimeWorld IA. Vivez l’essence des déclarations, échanges des tables rondes et conférences, grâce aux comptes-rendus de notre journaliste.

Depuis le campus MIL de l’Université de Montréal, Chloé-Anne Touma a assisté aux conférences choisies par la rédaction. Voici les dernières mises à jour en matière d’IA dans les domaines de l’astrophysique, du sport, de l’aide humanitaire, de la neuroscience et de la gériatrie.


16h45-17h30 : L’IA sera-t-elle capable de voir l’invisible, de percer l’insondable, de rapprocher l’infini ?

L’IA révolutionne notre compréhension du trou noir, cet objet « très très massif, mais aussi très très compact », tel que le décrit l’astrophysicienne Julie Hlavacek-Larrondo. « Plus l’objet est compact, plus sa gravité augmente. Toutes les propriétés des trous noirs, leur taille, leur forme, s’obtiennent par deux paramètres : la masse et le spin. Si l’on prenait le soleil, il faudrait le compresser dans une région d’un diamètre de 6 km pour en faire un trou noir », d’illustrer Mme Hlavacek-Larrondo, qui s’intéresse aux plus gros trous noirs de l’univers, et cherche à en déterminer les effets sur les galaxies, notamment grâce à l’IA.

« Pour voir quelque chose, il faut un téléscope de la taille de la terre (…) »

– Julie Hlavacek-Larrondo, astrophysicienne

Comment voir un trou noir ?

L’existence des trous noirs est établie hors de tout doute. Remplis d’une quantité d’énergie exceptionnelle, ils peuvent détruire des galaxies entières. « Un trou noir, par définition, c’est invisible. Même la lumière ne peut le voir. L’IA est-elle capable de voir un trou noir ? Il y a quelques années, la réponse à la question aurait été non. Aujourd’hui, on peut dire que l’IA le peut. »

Un téléscope de la taille de la terre

L’IA joue un rôle en astrophysique dite « observationnelle ». Elle permet, par exemple, d’identifier les trous noirs, de savoir si des planètes se sont formées autour, et d’évaluer les effets de ces objets sur leur galaxie.

Julie Hlavacek-Larrondo aborde les trous noirs selon une perspective IA.

« Pour voir quelque chose, il faut un téléscope de la taille de la terre, qui consiste à mettre des antennes à la surface de notre planète, pour reproduire le principe de téléscope. Idéalement, ce qu’on voudrait, ce serait placer des antennes partout. Mais rien qu’avec quelques-unes d’entre elles, on peut reproduire la résolution adéquate. »

Pensons par exemple à l’Event Horizon Telescope (« Télescope de l’horizon des événements »), un réseau de radiotélescopes terrestres qui combine les données de plusieurs stations dans le monde. De taille gigantesque, ce radiotélescope a permis d’organiser, en 2017, une campagne d’observation du trou noir supermassif de la galaxie M87. En en reconstituant le signal, une image a été générée et présentée en avril 2019. Il s’agit de la première image d’un trou noir jamais obtenue.

La déconvolution

Mais tel que le mentionne Mme Hlavacek-Larrondo, un problème demeure. Celui de la déconvolution, puisque en astronomie, il est très difficile d’isoler le vrai signal et de le séparer de celui qui est perçu par le téléscope. Notons que la déconvolution est un procédé algorithmique qui consiste à inverser les effets de la convolution. On utilise le concept en traitement du signal et en traitement d’image, notamment en microscopie et en astronomie.


14h30-15h15 : Comment l’IA va-t-elle changer le monde du sport et l’expérience utilisateur ?

Dans le domaine du sport, le défi qui intéresse les visionnaires de l’IA comme Bilel Cherif, PDG et cofondateur de DNA Global Analytics (DNAGA), est d’offrir la possibilité aux sportifs d’être des athlètes augmentés et ultraperformants, sans dopage.

En plus de désintéresser les athlètes du recours aux substances illicites, l’IA et les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de détecter le potentiel des sportifs et de les accompagner tout au long de leur développement.

C’est sur quoi travaille la startup DNAGA, pour des clubs sportifs et athlètes d’élite, mais aussi pour le grand public.

« La COVID a accéléré l’évolution de l’IA dans tous les secteurs d’activité, incluant le domaine du sport. »

– Bilel Cherif, PDG et cofondateur de DNA Global Analytics

« En termes de performance, l’IA va nous permettre de nous rapprocher le plus possible de ce que peut être l’athlète augmenté, c’est-à-dire être au meilleur de ses capacités et de son état le jour d’une compétition. »

La data au cœur des performances

Si DNAGA se concentre surtout sur les sports individuels, comme le taekwondo, le cross-training, le fitness et l’athlétisme, elle compte développer le volet des sports collectifs dans un proche avenir.

Bilel Cherif aborde le concept d’athlète augmenté grâce à l’IA.

Bien qu’il n’ait pu nous en présenter des vidéos pour soutenir son propos, en raison d’un problème technique propre à la salle de conférence, M. Cherif n’a pas manqué de relever, à l’oral, des exemples concrets quant aux bénéfices et applications de son innovation.

« On travaille avec des données sur le sommeil, la nutrition, et celles récoltées à partir de tests salivaires. La combinaison de toutes ces données nous dit à quel moment le sportif a été au meilleur de sa forme durant ses entraînements et compétitions. On a alors une feuille de route qui se dessine, et qui nous permet d’identifier le moment de performance optimum de l’athlète. » De là, l’IA permet de savoir quand le ménager en anticipant sa fatigue. « Dans un futur proche, on a un certain nombre de capteurs biomécaniques qui permettront d’avoir le niveau de performance et de compléter la data que l’on a déjà. Des capteurs plus invasifs permettront aussi, un jour, d’analyser le tissu musculaire et l’aspect respiratoire. »

L’objectif de la startup est de pouvoir utiliser une certaine quantité de data pour nourrir l’IA et la rendre toujours plus utile aux sportifs de tous les horizons. « Dans tous les sports médiatisés, tels que le football américain, le basketball ou le soccer, l’utilisation de la data est très importante pour améliorer les performances. Il y a toute une économie qui gravite autour de la data. Elle va permettre de croiser des données d’ordre physiologique, biologique et autres pour analyser le sportif et son niveau de performance. On pourra alors déterminer à quel moment il est le plus performant, quels enjeux nutritifs surveiller et quoi lui apporter pour l’aider à être à son meilleur. Avec le croisement de données, c’est de plus en plus impressionnant car on voit les athlètes se dépasser au point de réaliser des performances presque inégalées », de suggérer M. Cherif.

Finalement, qu’il s’agisse de capteurs pour obtenir de la data en lien avec le mouvement, le sommeil, la nutrition, le système respiratoire, la salive, ou les fibres musculaires, ou encore des possibilités d’anticiper de potentielles blessures et de s’entraîner avec un coach virtuel, l’IA n’est pas au bout de son évolution qui, selon le PDG, « a été accélérée par la COVID dans tous les secteurs, incluant le domaine du sport ».


12h15-13h00 : Comment la science des données peut-elle servir l’aide humanitaire ?

Quand elle s’intéresse à l’instabilité causée par les catastrophes naturelles, les tensions politiques ou l’insécurité alimentaire des populations, l’IA peut aider le monde à mieux s’y préparer. Elle peut aussi aider les organisations humanitaires à optimiser la manière d’offrir des services, dont la distribution d’items de secours et d’abris temporaires, ou encore l’apport de soins.

Se préparer aux crises humanitaires

Marie-Ève Rancourt est professeure agrégée de logistique et de gestion des opérations. Un peu à la manière de ce qui se fait pour les entreprises afin d’anticiper les risques pour leur chaîne de production, elle propose d’étudier des scénarios de crise humanitaire et d’en prévoir les conséquences pour recommander des solutions en amont.

« Travailler avec les organisations à visée humanitaire est extraordinaire. »

– Marie-Ève Rancourt, professeure agrégée de logistique et de gestion des opérations

N’ayant pu répondre présente à l’événement, c’est au moyen d’une vidéo pré-enregistrée qu’elle a donné sa conférence, différée.

La professeure mène des projets de recherche liés à « la planification des décisions logistiques et à la conception de réseaux de préparation pour atténuer les conséquences de ces problèmes ». En collaboration avec des organisations humanitaires à travers le monde, elle fonde ses projets et études sur des données réelles. À l’aide de techniques relevant de la logistique et de la science de données, ses solutions ont permis de soutenir des opérations humanitaires selon différents contextes, dans les Caraïbes, au Népal et en Afrique de l’Est. « Travailler avec les organisations à visée humanitaire est extraordinaire », déclare la professeure.

Logistique et gestion des flux

Les populations africaines sont exposées à une grave insécurité alimentaire et sanitaire en raison des cycles climatiques annuels et des conflits dans leur région. Dans le cadre de l’un de ses projets, Mme Rancourt s’est intéressée à l’optimisation de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement de l’Entrepôt de fournitures humanitaires des Nations Unies, pour en réduire les coûts des opérations et maximiser l’apport de ressources d’aide dans la région.

Par logistique, on entend « la gestion des flux du point d’origine jusqu’au point de demande. Dans le cas d’une catastrophe, on parlera de réponse à un désastre. La demande sera alors générée par une crise politique, une guerre, un tremblement de terre, une famine ou d’autres désastres », explique Mme Rancourt.

On aura aussi recours à des techniques relevant de la science des données, impliquant la programmation mathématique, l’optimisation et l’analyse statistique.

En l’absence de la conférencière, une vidéo qu’elle a pré-enregistrée a plutôt été diffusée.

Conception d’un réseau de prépositionnement collaboratif dans les Caraïbes

Dans le contexte des Caraïbes, c’est en ayant recours au « prépositionnement », une stratégie que Mme Rancourt qualifie de « cruciale pour la préparation », et souvent « coûteuse », qu’elle et son équipe se sont attardées, dans la région, et pour 20 pays différents, à proposer une solution afin de favoriser la préparation aux désastres.

« Il y a des ouragans chaque année dans la région. Elle est sujette à des tremblements de terre, etc. On veut bénéficier de la mutualisation des risques, car tous les pays ne sont pas touchés en même temps. Dans les Caraïbes, on a quatre points focaux, regroupant chacun plusieurs pays. Ces groupes se partagent le budget. » Selon la professeure, en matière de prépositionnement, l’un des défis réside dans le fait de devoir « reposer le processus de décision sur des fondements plus scientifiques ».

Restauration d’un système d’approvisionnement en eau potable au Népal

En avril 2015, un séisme de 7,8 en magnitude a frappé le Népal, détruisant notamment le système d’approvisionnement d’eau potable des communautés qui se trouvaient dans les zones montagneuses reculées. L’un des projets de Mme Rancourt consistait à reconstruire un système moins coûteux afin de redonner l’eau potable à ces populations.


10h45-11h30 : Pourquoi et comment connecter une intelligence artificielle au cerveau ?

Un jour, les personnes souffrant du « locked-in syndrome » (syndrome d’enfermement), de la maladie

Yohann Thenaisie invite un spectateur à jouer le rôle du cyborg.

de Parkinson ou d’un autre problème pourront recouvrer l’usage de leurs membres. Comment ? En devenant des cyborgs, grâce aux interfaces cerveau-machine.

Yohann Thenaisie, chercheur en neurosciences et doctorant, développe une intelligence artificielle qui, connectée au cerveau des patients, soulage le symptôme de blocage de la marche.

En plein milieu de la conférence, il invite un cobaye à monter sur scène pour illustrer le processus de « cyborgisation », sous les regards amusés et curieux des spectateurs. En plus des concepts neuroscientifiques, M. Thenaisie semble bien maîtriser l’art de se mettre le public dans la poche. Pas étonnant qu’il ait remporté la finale internationale du concours de vulgarisation, Ma thèse en 180 secondes, à Paris, l’année dernière!

« Le handicap est une source d’indication des interfaces cerveau-machine. »

– Yohann Thenaisie, chercheur en neurosciences et doctorant

Les interfaces cerveau-machine

Imaginez qu’un accident de voiture vous laisse paralysé. Que votre moelle épinière ayant étant lésée, la communication entre votre cerveau et vos jambes a été coupée. Et si l’IA pouvait quand même comprendre et reconnaître votre volonté de marcher ? Certaines zones de notre cerveau sont celles qui contrôlent le mouvement. En en comprenant les signaux à partir d’électrodes, et en mesurant l’activité des neurones grâce à des implants, on peut stimuler l’activité cérébrale et la moelle épinière.

C’est possible grâce aux interfaces cerveau-machine. « Le handicap est une source d’indication des interfaces cerveau-machine », explique le conférencier. An analysant la manière dont les signaux sont générés par nos pensées, on en comprend comment s’activent une combinaison de neurones. L’IA, connectée à des câbles électriques implantés dans le cerveau, pourra décoder les pensées pour contrôler une prothèse.

Cette technologie réalise déjà plusieurs exploits. Elle peut déjà prédire si vous voulez bouger, ou même si vous êtes sur le point de faire une crise d’épilepsie. Elle peut aussi deviner si vous êtes heureux ou malheureux. « On pourra aussi utiliser cette innovation dans les jeux vidéo. Les systèmes invasifs sont utilisés en médecine, et ceux non invasifs sont adaptés pour les jeux vidéo. »

Pourrait-on, avec cette technologie, développer une forme de schyzophrénie ? « Le cerveau humain est assez capable de s’adapter à quelque chose qui n’est pas lui, entame, en guise de réponse, M. Thenaisie. Prenons l’expérience d’un patient devant lequel on place une main en silicone, à côté de sa propre main. Si l’on plante un couteau dans celle en silicone, le patient ne se sentira pas bien. »


9h15-10h : L’IA peut-elle contribuer au maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie ?

Permettre aux personnes âgées en perte d’autonomie de vivre chez elles le plus longtemps possible, grâce à des capteurs intelligents; voilà un exemple concret des bénéfices de l’IA, en phase avec les besoins et problématiques des temps modernes. C’est aussi ce que propose Nathalie Bier, ergothérapeute et chercheuse de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.

Nathalie Bier propose la reconnaissance d'activités pour maintenir les personnes âgées à domicile.

Nathalie Bier propose la reconnaissance d’activités pour maintenir les personnes âgées à domicile.

En équipant de capteurs intelligents l’appartement d’un usager, on peut recueillir et générer des données fiables quant à son quotidien, et les transmettre aux services sociaux afin que ces derniers puissent mieux cibler les besoins de leur clientèle, et permettre aux personnes seules, en perte d’autonomie et présentant des troubles cognitifs, de rester le plus longtemps possible à leur domicile.

« On a une population qui vieillit. Plus de 40 % des personnes âgées rapportent avoir des besoins non comblés en termes de services à domicile », observe Mme Bier. C’est par souci de favoriser le vieillissement chez soi plutôt qu’en institution qu’elle a mené un projet pilote en plusieurs phases, sollicitant un type d’IA bien précis, soit la reconnaissance d’activités.

« Plus de 40 % des personnes âgées rapportent avoir des besoins non comblés en termes de services à domicile. »

– Nathalie Bier, ergothérapeute et chercheuse

La reconnaissance d’activités

Avec les capteurs installés à même l’appartement d’une personne vivant seule et présentant des troubles cognitifs, il s’agira d’adapter et d’offrir des soins plus spécialisés. « On peut détecter une activité humaine sur la base d’informations reçues. On peut prédire une activité en fonction des comportements ou situations quotidiennement étudiées. Le système procède par la reconnaissance du mouvement, d’objets et d’actions. Cela peut inclure des caméras vidéo, des capteurs fixés sur les objets ou sur les personnes. »

« On peut demander a un algorithme de nous trouver le meilleur chemin pour obtenir un résultat ou le moyen de réaliser une activité, tel que se préparer un café. » L’information sera traitée, ingérée par le système et analysée, puis accessible sur une plateforme Web sécurisée, à laquelle les intervenants en soutien à domicile pourront se connecter.

Le projet pilote a été réalisé en deux phases auprès de 34 usagers. La troisième phase reste à mener. « Il a permis d’obtenir des résultats très intéressants. Lors de la phase 1, on a déployé 682 capteurs, pour 35 millions de données et 34 installations. Ça a été utilisé en majorité par des ergothérapeutes et des travailleurs sociaux. » Les usagers étaient en majorité des femmes, et présentaient des troubles cognitifs comme la maladie d’Alzheimer.

Les bénéfices

La reconnaissance d’activités permet ainsi de combler des besoins, gérer le risque, confirmer une information provenant d’une source fiable, répondre à des questionnements, être alerte et plus réactif à un problème, ajuster un service, et évaluer l’efficacité d’une intervention. « On pourra évaluer si les actions prises font en sorte que l’usager prenne bien son petit déjeuner le matin, par exemple. »

Les enjeux éthiques et les bémols

« Les personnes âgées sont prêtes à recevoir ce service, car ça représente l’équilibre entre le respect de leur vie privé et le maintien de leur autonomie, soutient Mme Bier. Par contre, ça soulève tout de même beaucoup d’enjeux en lien avec la sécurité et la vie privée, à savoir qui aura accès à l’information. »

Si les capteurs, dits « ambiants », sont discrets et se fondent bien dans l’environnement, l’autre bémol, c’est que dans le cas de capteurs portés par les usagers présentant des troubles cognitifs, « il arrive que certains oublient ce que c’est et se mettent à les arracher ».

« Il y a aussi des risques de discrimination, en ce que les développeurs pourraient déterminer subjectivement ce qu’est un bon mode de vie en fonction de perceptions relevant de l’âgisme. »

Finalement, les algorithmes peuvent aussi présenter des biais selon l’ampleur de l’échantillon.

Des capteurs chez les aidants ?

Mais a-t-on pensé à implanter ces capteurs chez les aidants naturels ? « C’est complexe, ils sont souvent trop épuisés pour gérer ce type de système. Il faut s’assurer de trouver un équilibre lorsqu’on implante de telles technologies. Les proches aidants sont eux-mêmes vieillissants (…) Il faut trouver un équilibre entre recevoir une donnée et l’utiliser de manière ponctuelle », répond Mme Bier.


Vous pouvez également consulter notre couverture des journées du jeudi 5 mai et du vendredi 6 mai sur CScience IA.

CScience IA est partenaire officiel de l’événement.