HITLAB : l’IA pour découvrir les succès de la musique émergente

HITLAB : l’IA pour découvrir les succès de la musique émergente

Grâce à la technologie qu’elle a développée pour analyser les chansons, l’entreprise montréalaise HITLAB révolutionne l’industrie de la musique.

CScience IA explore les retombées éprouvées ou possibles de cette innovation, qui sollicite l’intelligence artificielle.

Démocratiser l’accès au marché musical

« J’ai démarré dans le show-biz il y a 45 ans, et dans la musique en contribuant à lancer le mouvement disco au Canada. Au début des années 80, le producteur et réalisateur québécois Rock Demers m’a proposé de m’occuper du volet musical de ses films, de trouver des paroliers, des compositeurs et des interprètes. J’ai continué dans le monde de la commercialisation, puis de la production, qui a toujours été ce qui me passionne », dit celui qui, comme Claude Dubois dans Starmania, aurait « voulu être un artiste ».

« Nous avons déterminé que toutes les chansons, peu importe leur langue ou leur style, sont faites de 84 paramètres mathématiques. »

– Michel Zgarka, PDG de Hitlab

C’est justement sa passion pour le métier et son admiration pour les artistes en général qui le poussent à vouloir démocratiser la manière de commercialiser et de consommer la musique, en ouvrant de nouveaux horizons aux talents émergents, par les canaux de HITLAB.

« Tout au long de ma carrière, j’ai toujours voulu démontrer qu’il y avait beaucoup de talents émergents, et qu’ils n’ont pas besoin d’être américains. Je me suis intéressé aux éléments de la production et de la réalisation, aux effets spéciaux et à l’intelligence artificielle, qui m’ont amené à occuper le poste de président et chef de la direction de HITLAB. »

Le Digital Nuance Analysis (DNA)

Fondée en 2008 par Pierre Gauthier, que M. Zgarka décrit comme étant « un véritable visionnaire », HITLAB s’est vite donné pour objectif de développer une innovation qui, grâce à la science, aux algorithmes et aux mathématiques, pouvait analyser la musique. C’est aujourd’hui chose faite.

« Nous avons déterminé que toutes les chansons, peu importe leur langue ou leur style, sont faites de 84 paramètres mathématiques. » C’est en s’associant à plusieurs universités que HITLAB en est arrivé à les identifier, pour définir le Digital Nuance Analysis (DNA), ou Analyse de nuance digitale.

« Le DNA va analyser une chanson en moins d’une minute. Faisant fi de la notoriété de son interprète et de son label, ou d’éléments relevant de la discrimination subjective, l’outil en déterminera la qualité inhérente. On pourra ainsi la comparer à une multitude d’autres chansons, qui se sont retrouvées aux palmarès, et qui constituent notre grande base de données », explique le PDG.

Michel Zgarka, PDG de HITLAB

« La chanson est ingérée dans notre système, puis rapidement analysée selon les 84 paramètres. Au bout de la minute d’analyse, elle obtient un score. Elle peut avoir, par exemple, un résultat de 86,7/100. Le système va alors passer au travers de notre base de données, et cibler des titres qui ont eu le même résultat aux palmarès, soit des hits. La chanson intégrera alors notre propre palmarès, répertoriant les chansons de la relève ayant tout ce qu’il faut pour être des tubes. »

L’innovation aurait ainsi permis de faire connaître des artistes émergents, dont l’œuvre a été reconnue par le DNA de HITLAB pour sa qualité, puisque des chaînes de radio partenaires en auraient joué la musique sur leurs ondes.

« En voyant que les chansons de ces artistes inconnus plaisaient, les radios nous en ont redemandé. » L’entreprise a donc commencé à agir également à titre de label, développant un large éventail de services offerts aux artistes qu’elle découvre et fait découvrir.

Se tailler une place dans le marché commercial

Selon Paul Dubreuil, concepteur sonore et compositeur de musique basé à Montréal, « La musique est accessible démocratiquement maintenant. Et la dynamique de comment la musique est éditée et publiée a complètement changé, même dans les vingt dernières années. »

Or, favoriser la découvrabilité des artistes émergents en proposant un contenu qui diffère de ce que poussent les gros noms est, même avec la meilleure des innovations, difficile lorsqu’on se bute aux ententes commerciales et au monopole des gros labels. Comment fait-on alors pour imposer son contenu, dans un univers musical où les diffuseurs principaux détiennent une grande part du marché, et sont aussi les producteurs?

M. Zgarka pense qu’ « Avec la COVID, toutes ces grandes sociétés se sont rendues compte qu’elles ne pouvaient plus dépendre uniquement de leur directeur artistique ou de leur département A&R (division d’un label discographique responsable de la découverte de nouveaux artistes) pour découvrir des talents, parce que pendant ces deux ans de pandémie, elles ne pouvaient le faire. Elles ont vu qu’on n’était pas là pour se substituer à elles, mais bien pour leur offrir un service pour découvrir de la bonne musique émergente. HITLAB peut analyser pas moins de 100 000 chansons en une heure. Un directeur artistique, lui, devra peut-être se contenter d’écouter huit chansons pour n’en découvrir qu’une seule. »

En raison de la pandémie, la SOCAN (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) a en effet rapporté que « Les répartitions radio ont diminué de 5,5 % en mai. Cela est dû aux nouvelles mesures de confinement en 2021 qui ont entraîné une légère baisse des revenus publicitaires et un changement de règle de répartition qui a transféré 50 % des droits de licence généraux (ceux liés à la musique de fond dans les entreprises [tarif 15A] et aux fournisseurs de musique de fond [tarif 16]) pour compléter les bassins de répartition Internet et YouTube afin de refléter plus fidèlement la diversité de la musique utilisée dans les entreprises. » Elle ajoute que « la répartition de mai 2022 sera 11,5% plus élevée que celle de mai 2021. Alors que la situation générale poursuit sa trajectoire vers des niveaux prépandémiques, nous étions tout de même conscients que les confinements ultérieurs en 2021 pourraient avoir un impact temporaire sur certains secteurs d’activité. Cela s’est concrétisé en mai lorsque nous avons constaté une baisse à la fois à la radio et au cinéma, mais nous sommes très heureux de constater une augmentation de 109 % des répartitions de concerts. »  Mais si les activités liées au contexte scénique reprennent, la SOCAN rapporte tout de même l’augmentation des redevances à répartir pour Internet (15,3 %), YouTube (3,6 %) et l’audiovisuel en ligne (20,3 %).

Pour HITLAB, les grands acteurs du marché québécois restent difficiles à démarcher. L’entreprise espère bientôt s’entendre avec Stingray au Québec, et compterait déjà plusieurs partenaires à l’international, dont TRACE en Afrique.

Respecter le rôle du créateur

Et si, un jour, on se servait de l’innovation, un peu comme on le fait déjà avec certains logiciels qui ont recours à l’IA, pour créer de la musique qui plaît, selon les 84 paramètres analysés? Les artistes devraient-ils craindre de se voir remplacés en tant que créateurs?

Lorsqu’on pose la question au PDG, celui-ci répond qu’il a « toujours refusé que l’équipe technique oriente HITLAB dans cette direction, car la créativité appartient à l’être humain, et non pas à la machine. L’entreprise est là simplement pour aider un service d’analyse de la musique, et non pas pour se substituer à son créateur. Il faut croire en l’innovation des outils et de la technologie pour aider la création, mais pas pour la supplanter. »

Le droit d’auteur et la découvrabilité en ligne

Après s’être penché sur les craintes que peut générer la technologie, il faut aussi s’interroger quant à ses bénéfices les moins soupçonnés. Serait-il dérisoire d’envisager, par exemple, que dans un cas de litige lié au droit d’auteur, le DNA puisse servir à analyser deux chansons similaires en vue de faire valoir le plagiat, et ainsi défendre le droit d’auteur d’un créateur?

« C’est un excellent point, qui touche exactement à l’un des sujets qui me sont très chers », a entamé, en guise de réponse, celui qui a très longtemps siégé au conseil d’administration des Avocats du droit d’auteur. « Quand on sait que notre logiciel analyse la totalité d’une chanson, alors, immédiatement, lorsque quelqu’un accuse un autre de plagiat, on peut comparer une dizaine de chansons, et en identifier le pourcentage de similitude, de manière purement scientifique. Alors, oui, nous contribuons déjà à la protection du droit d’auteur », de conclure l’ambassadeur d’HITLAB.

La reconnaissance d’un titre

Notons que l’intelligence artificielle de certains diffuseurs Web et applications permettent déjà de reconnaître un morceau lorsqu’il joue en fond dans une vidéo ou sur un navigateur. Pensons notamment à l’extension Aha Music, qui permet d’identifier le morceau utilisé en trame sonore du film que l’on est en train de visionner sur son ordinateur. Sur Google Chrome, l’extension, qui satisfait à 80 % ses usagers, bénéficie aujourd’hui à plus de 800 000 internautes y ayant eu recours pour connaître le titre d’une musique qui leur a plu, évitant ainsi la frustration qu’aurait engendrée leur maintien dans l’ignorance.

Dans le même ordre d’idées, Pourrait-on aussi s’attarder, chez HITLAB, à retracer et identifier un morceau qui aurait été utilisé dans une production, ou diffusé sur le Web, afin de rapatrier les royautés liées à son exploitation ? « Tout à fait, car l’objectif ultime est de faire en sorte que tout créateur puisse bénéficier de son œuvre », termine Michel Zgarka.

Crédit Image à la Une : Chris Ainsworth/Unsplash