Metarêves : Le métavers comme un rêve

Metarêves : Le métavers comme un rêve

L’engouement pour le métavers ne date pas d’hier, à en juger par ses manifestations dans la culture populaire.

En 2018, Ready Player One de Spielberg met en scène OASIS, un jeu vidéo 3D virtuel, immersif, interactif et persistant présenté comme le refuge ultime d’une civilisation en perdition; les 500 millions de spectateurs du film ne peuvent désormais plus ignorer ces univers numériques alternatifs.

Leur potentiel perçu au-delà des frontières du jeu va exploser en 2021, lorsque Marc Zuckerberg baptise officiellement ces mondes « métavers », renommant dans le même mouvement Facebook en Meta.

La vision d’un nouvel eldorado transactionnel séduit, comme en témoigne l’affolement économico-médiatique mondial actuel, dont les principaux agents n’ont pas beaucoup d’efforts à faire pour imaginer les centaines de millions de joueurs piloter leur avatars dans ces nouveaux espaces marchands virtuels.

À tel point que Gladys, ma grand-mère de 105 ans, a ressorti ses lunettes 3D rouge et bleu, pour mieux observer les milliards de billets verts qui financent des business plans mixant opportunément les buzzwords métavers, IA, NFT, blockchain et Web3.

Des milliards pour des métavers technologiques

Libres comme Max, ne nous laissons pas étourdir par les néons des manèges et déconstruisons ensemble ce métavers.

Matrix, des sœurs Wachowski, nous propose l’affrontement entre un monde réel dystopique et un monde numérique dominé par les machines en lutte pour l’extermination de la race humaine. Si on y retrouve déjà les codes du métavers et les possibilités offertes de s’affranchir de certaines lois de la physique, le film introduit une dimension métaphysique : la conscientisation de la mort de son avatar dans le monde virtuel, se traduit par la mort effective dans le monde réel.

Cette perméabilité qui unit le corps et son avatar expose une symétrie notable, car du point de vue des machines conscientes, le monde réel des humains est leur métavers.

Wake up Néo ! Follow the white rabbit…

Avatar de James Cameron assume de façon plus évidente la symétrie suggérée par Matrix: Pandora est effectivement représenté à l’écran par le truchement d’images de synthèse mais pour donner vie à un altermonde tout aussi réel que celui des humains. Aussi, le personnage joué par Sam Worthington fusionne littéralement avec son Avatar, qui lui offre la possibilité
d’échapper à son handicap.

L’univers et le métavers sont les deux faces d’une même pièce, symétriques, notre corps
pour trait d’union​

L’absence d’images numériques et d’interface visuelle n’empêche pas Joaquin Phoenix de tomber éperdument amoureux de « Her », une IA avec laquelle il n’a que des interactions vocales. Le film de Spike Jonze estompe la vision technologique du métavers pour dévoiler un monde plus suggestif que seule la voix suffit à créer.

Scarlet Johansson, la voix de Her, doit aimer jouer les génies numériques car elle termine en clé usb dans « Lucy » de Luc Besson.

Le métavers technologique s’estompe et dévoile un monde suggestif

Privé de ses images, le metavers résisterait-il à la perte totale de ses attributs numériques ? Pour y répondre, poursuivons notre expérience de déconstruction.

Dans The Truman Show, Jim Carrey évolue dans un monde irréel mais bien physique (un studio de télévision à l’échelle d’une ville), caricature à peine voilée du mode de vie « middle class » américain. Ed Harris (Christof dans le film) incarne le démiurge qui jouit de la manipulation à grande échelle qu’il fait subir au personnage principal à des fins commerciales. Jim finira par « prendre conscience » de cet univers carcéral et s’en échapper.

Un jour sans fin enferme Bill Muray dans une boucle temporelle qui commence inexorablement par la sonnerie de son réveil à 6h00 du matin. Ni 3D, ni recours à des artifices numériques pour mettre en scène ce métavers, dont on peut dire qu’il est un rêve éveillé où s’affrontent le conscient et le subconscient dont la clé libératrice est la résolution d’un paradoxe amoureux.

Amusons-nous à constater qu’après avoir tourné en rond dans Un jour sans fin, Bill Muray se retrouvera 10 ans plus tard Lost in translation avec Scarlett Johansson.

Le metavers comme un rêve, une auto-suggestion

Je ne résiste pas à la tentation d’évoquer ce monument du film d’épouvante, Freddy, les griffes de la nuit de Wes Craven. Si le serial killer défiguré (qui se fera d’ailleurs voler ses griffes en métal par Volverine) parvient à vous tuer dans votre cauchemar, vous êtes aussi mort dans le monde réel. Que peut-on imaginer de plus interactif comme métavers ?

Moins mortel et moins « pop culture », en 1866, Paul Verlaine, le poète préféré de Gladys, abordait cette même thématique introspective avec Mon rêve familier, dans lequel il rompt sa solitude de poète en instaurant un dialogue réflexif qui interroge le sens d’un rêve récurrent et évolutif.

« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. »

Ce poème nous invite à penser les métavers comme des rêves persistants qui ne s’encombrent ni d’images numériques, ni d’intelligence artificielle, et dans lesquels nous sommes à la fois victimes et bourreaux, divins et mortels, consentants inconscients, schizophrènes solitaires.

Au terme de cette déconstruction apparaît le lien intime unissant le rêve et le métavers, qui partagent des caractéristiques communes et fondamentales; corollairement, se réveiller ou ne pas s’endormir (pour échapper à Freddy), questionner et prendre conscience affirme notre libre arbitre et préserve notre corps en nous laissant la possibilité de maîtriser la distance entre notre réalité et ces Métarêves.

6h00 : Bill Muray (re)part à la conquête d’Andie MacDowell.

Collaboration spéciale avec Laurent Bédé, Directeur IT Corporate, Data et Innovation.

Article original sur LinkedIn

Crédit Image à la Une : Lucy (2014), Universal Pictures