[ENTREVUE] Télescope James Webb : Remonter le temps et percer les mystères de l’origine du monde

[ENTREVUE] Télescope James Webb : Remonter le temps et percer les mystères de l’origine du monde

Le télescope infrarouge James Webb, fruit d’une collaboration internationale entre la NASA, l’Agence spatiale européenne (ASE) et l’Agence spatiale canadienne (ASC), est l’observatoire le plus puissant jamais construit. Alors que le monde se remet à peine des émotions engendrées par le dévoilement de sa première prise d’images, CScience s’entretient avec l’astrophysicienne Nathalie Ouellette, chargée des communications pour James Webb au Canada et coordonnatrice de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx).

Pour les astronomes du monde entier, James Webb est le télescope le plus important de la prochaine décennie. Qu’a-t-il de spécial?

C’est la taille impressionnante de la surface de son miroir qui fait une grande différence. C’est d’ailleurs la partie du télescope qui accumule les photons et concentre la lumière. On parle d’une surface sept fois plus grande que celle du télescope Hubble (conçu par la NASA avec une participation de l’Agence spatiale européenne), et cent fois plus importante que celle de Spitzer, télescope infrarouge autrefois très productif qui est maintenant à la retraite. James Webb est aussi constitué de composantes qui relèvent des technologies les plus récentes et dernier cri, ce qui en fait vraiment un outil inédit.

Que permet-il de percevoir qu’on ne pouvait voir avant?

Il permet de voir, par exemple, des galaxies très lointaines, grâce au concept du « décalage vers le rouge », phénomène causé par l’expansion de l’univers, qui amène la lumière bleutée ou ultraviolette des premières galaxies vers le rouge et l’infrarouge. Ces premières galaxies, qui sont invisibles pour un télescope comme Hubble, ne sont perceptibles que par un télescope infrarouge, comme James Webb.

Au cours des dernières semaines, on a beaucoup entendu parler de James Webb comme offrant, en quelque sorte, la possibilité de remonter le temps. Que veut-on dire par là?

L’astronomie, c’est magique! C’est effectivement la seule science qui permet de voyager dans le temps, grâce à la lumière que l’on capte et étudie, à défaut de pouvoir capturer une étoile et l’analyser en laboratoire. On doit plutôt se contenter de sa lumière. Et parce que les objets sont si éloignés, la lumière prend un certain temps pour se rendre jusqu’à nous.

Lorsqu’on parle d’étoiles au sein de notre galaxie, on parle de centaines de milliers d’années lumière, ce qui veut dire que la lumière qu’on capte est « vieille » de centaines de milliers d’années. Alors quand on parle plutôt de galaxies, il est question de milliards d’années lumière. C’est donc que la lumière nous montre ces objets dans l’espace tels qu’ils l’étaient il y a des milliards d’années, et non pas tels qu’ils le sont maintenant. On voit, avec James Webb, comment étaient les galaxies lorsqu’elles étaient « bébés ».

« (…) Webb nous rapproche du big bang comme jamais auparavant, environ 200 millions d’années après. »

– Nathalie Ouellette, astrophysicienne et chargée des communications pour James Webb au Canada

En sommes-nous à pouvoir mieux comprendre l’origine du monde et le big bang?

Il y a tout de même certains murs que l’on ne peut encore franchir avec les télescopes, mais il est certain que Webb nous rapproche du big bang comme jamais auparavant, environ 200 millions d’années après. Nous en sommes aussi à comprendre ce qui se passait autour du big bang, où l’environnement était très dense et opaque.

Quelle a été la contribution du Canada au projet?

C’est très excitant d’en parler, car on fait souvent la comparaison entre Webb et Hubble. L’Agence spatiale canadienne ne faisait pas partie de la collaboration entre la NASA et l’Agence spatiale européenne dont avait émergé Hubble, alors que pour Webb, le Canada peut se targuer d’y avoir fait deux contributions : la caméra de guidage ou le FGS (« fine guidance sensor ») et le NIRISS (« Near Infrared Imager and Slitless Spectrograph »).

Le FGS n’est pas un instrument scientifique, mais demeure un instrument critique pour la mission, sollicité pour toutes les opérations. C’est un peu l’œil du télescope, en ce qu’il lui permet de cibler un objet, et de rester fixé sur lui même lorsque le télescope est en mouvement. C’est grâce en partie à l’œil canadien du télescope que Webb peut capter les images que l’on voit, ce qui représente une contribution majeure.

Le NIRISS est quant à lui un instrument scientifique qui permet de « briser » la lumière infrarouge en couleur infrarouge. C’est une combinaison d’une caméra et d’un spectrographe. Ça a été conçu pour étudier plein de types d’objets, mais surtout pour déterminer la composition de l’atmosphère d’exoplanètes, et étudier les premières galaxies.

Il paraît que les gens de la NASA ont versé des larmes en voyant les premières images. Est-ce qu’elles vous ont émue à vous aussi?

Absolument, j’ai eu la chance de les voir un peu avant le dévoilement. Je m’attendais à ce que ce soit de belles images, parce qu’en faisant partie de la mission, j’ai vu que la mise en opération s’est bien déroulée. Mais, même si, de manière rationnelle, on sait à quoi s’attendre, le fait d’en voir le résultat procure une autre sensation. J’étais alors très émue. Et ce qui m’a le plus marquée est sans doute le niveau de détail et la richesse des données générées. On a des galaxies d’arrière-plan où l’on peut voir une étoile, de la poussière cosmique, des étoiles naissantes. Chaque pixel est rempli d’éléments sur lesquels se pencher.

Nathalie Ouellette devant le télescope James Webb. (Photo : Northrop Grumman)

Quelles sont vos attentes pour la suite, ou la prochaine étape à franchir?

Tous les programmes scientifiques prévus ont été lancés il y a déjà plusieurs semaines. Donc le programme de la première année est déjà planifié. Les astronomes impliqués ont participé à des processus compétitifs pour gagner du temps sur le télescope.

Il y a plein de projets en branle en simultané : une étude de l’atmosphère des exoplanètes; un projet d’étude très excitant, mené par une doctorante à l’Université de Montréal (UdeM), qui consiste à étudier le système TRAPPIST-1 contenant sept planètes s’apparentant à la planète terre, de bonnes candidates pour y trouver des signes de vie; l’étude de galaxies lointaines en utilisant les lentilles gravitationnelles, soit des amas de galaxies tellement lourds qu’ils déforment l’espace-temps, et la lumière de galaxies très lointaines, ce qui nous permet de voir à plus longue portée que normale.

Comment l’intelligence artificielle (IA) peut-elle être impliquée dans le processus d’analyse des images captées?

L’UdeM a des professeurs qui se spécialisent dans le domaine de l’IA et de l’apprentissage-machine. En astronomie, l’un des défis qui se présentent est le fait d’avoir une trop grande quantité de données à analyser, d’où l’intérêt d’apprendre à une machine à voir et aborder les objets tel que le fait un humain, pour permettre à ce dernier de déléguer.

La toute première image qu’on a eue du télescope, celle du champ profond, représente un bout de ciel, qui est l’équivalent d’un grain de sable tenu à bout de bras, ce qui vous donne une idée de la quantité de données que peut représenter une poignée de grains de sable.

Avec l’IA, l’idée est de regarder ces points dans le ciel, et de trouver des structures pour en déterminer le type de galaxie. Est-ce une galaxie de type spiral ou elliptique? Quelle en est la couleur? Est-ce qu’on y reconnaît une morphologie ou une anatomie particulière? En déterminant ces paramètres, l’IA peut faire une classification préliminaire et préparer la table pour un astronome. Ce n’est pas encore le substitut parfait de l’œil humain, mais ça fait le travail.

Les chercheurs québécois ont-ils développé certains des modèles d’IA utilisés?

Nous avons une grande expertise en ce sens à Montréal, notamment en Mila (Institut québécois d’intelligence artificielle) et en des scientifiques comme Yoshua Bengio, ou encore des professeurs des départements de la physique, de l’astronomie et de la cosmologie, qui travaillent conjointement avec Mila, et qui développent eux-mêmes des algorithmes en travaillant avec l’apprentissage-machine pour classifier les galaxies très lointaines.

Voici la toute première image du James-Webb : nous découvrons l'Univers vieux de seulement 100 millions d'années, soit il y a 13,8 milliards d'années ! © Nasa, ESA, CSA STScI

La toute première image du James-Webb : l’Univers il y a 13,8 milliards d’années. (Photo : Nasa, ASE, ASC, STScI)

Il arrive qu’il faille vulgariser le fruit de votre travail auprès d’un public qui n’est pas toujours aussi enthousiaste, ou conscient des applications possibles de ces avancées pour le bien collectif terrestre. Comment y parvenez-vous?

Il m’arrive effectivement, comme à d’autres astronomes, d’avoir ce genre de conversation. Heureusement pour nous, l’astronomie est une science bien-aimée, en général. La plupart des gens y voient déjà l’intérêt de satisfaire la curiosité humaine, même lorsque les bénéfices directs ne sont pas évidents.

Ce que je réponds aux plus sceptiques, c’est que c’est une belle porte d’entrée pour les jeunes qui s’intéressent à la science. Puis, de façon plus concrète, ce qu’il faut comprendre, mais que les gens ne réalisent pas forcément toujours, c’est que la recherche fondamentale très poussée, comme l’astronomie, nous permet entre autres d’innover jusqu’à créer des technologies aux retombées inattendues, dont des applications concrètes au quotidien. Pensons notamment aux caméras de nos téléphones intelligents, qui ont d’abord été développées pour les télescopes spaciaux, puisqu’on avait besoin de caméras légères à très haute performance, qui pouvaient aller dans l’espace. Aujourd’hui démocratisée, elles profitent à tout le monde. Prenons aussi l’exemple de James Webb, dont le miroir devait être poli au laser, à un degré de précision si élevé que des retombées en chirurgie oculaire ont émané de l’innovation.

En tant que jeune scientifique dans la trentaine, diriez-vous que le domaine attire assez de relève, et de jeunes femmes?

La relève est bien présente, et devrait voir de nouvelles recrues rejoindre ses rangs avec l’attention générée par le télescope James Webb et les récentes avancées. En ce qui me concerne, le fait d’avoir grandi en étant exposée aux images du télescope Hubble a eu énormément d’influence sur mon intérêt pour l’astronomie, qui me passionne depuis que je suis toute petite. J’ai su très tôt ce que je voulais faire dans la vie.

En voyant aujourd’hui les projets qui sont menés à l’université dans les cycles supérieurs, je me dis que ce qu’on y fait est incroyable. Ce sont des projets d’envergure tels que des chercheurs aguerris en mènent, et pourtant, ils sont menés par de jeunes étudiants. Il faut dire que dans les écoles secondaires, on apprend désormais à faire de la programmation et on y fait des stages de recherche scientifique. Je trouve le talent des jeunes et les nouvelles possibilités qui s’offrent à eux dans le domaine très stimulants et encourageants.

En ce qui a trait à la relève féminine, ça s’améliore, mais il y a encore du travail à faire. En astronomie, soit l’un des domaines scientifiques qui s’en sortent le mieux en termes de parité, on ne compte qu’une proportion d’environ 25 % de femmes dans nos rangs. C’est un taux qui est relativement bas, mais qui augmente lorsqu’on se concentre sur un échantillon formé d’étudiants et de chercheurs issus des jeunes générations.

Quel message aimeriez-vous communiquer aux lecteurs de CScience, avides de mises à jour quant à vos avancées avec James Webb?

Les images qu’on a vues ont été obtenues en cinq jours d’observation. Il faut se dire qu’elles sont très préliminaires, et que le plus spectaculaire est à venir. Ce sera davantage rattaché à la science, et on aura de la matière qui sera d’autant plus impressionnante lorsqu’on la comparera à ce qu’on obtenait avec le télescope Hubble, avec lequel les images étaient très floues à ses débuts. Là, on est à un niveau supérieur. Comme on a toujours voulu que le public s’approprie le télescope, et se sente investi dans l’aventure, on ne manquera pas de partager nos avancées, car l’une des priorités des agences partenaires dans ce projet est la transparence.

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Crédit Image à la Une : NASA, ESA, CSA, STScI (à gauche) et UdeM (à droite)