De quoi auront l’air les villes du futur?

De quoi auront l’air les villes du futur?

Entre les villes vertes, les quartiers intelligents et les concepts d’architecture tantôt minimaliste, tantôt extravagante, l’être humain ne manque pas d’imagination lorsqu’il s’agit de rêver la ville du futur. À quoi ressembleront les villes du Québec et les mégapoles du monde, dans trois ans, trente ans ou un siècle? Répondront-elles aux défis et enjeux climatiques, sociodémographiques et culturels des réalités actuelles? Ou plutôt aux visées capitalistes, aux caprices et aux idées superflues qui mènent aussi les sociétés?

Une ville linéaire favorisant surtout la surpopulation

Il y a quelques semaines, le prince héritier Mohammed ben Salmane a généré l’attention médiatique à l’échelle du globe, en dévoilant les plans de la mégapole futuriste NEOM, ou « The Line » (la ligne), projet de développement ambitieux de l’Arabie saoudite. Située près de la Jordanie, de l’Égypte et d’Israël, la ville, dont la livraison a initialement été prévue pour 2025, s’étendra sur 170 kilomètres. Elle implique la construction de deux immenses gratte-ciels de 500 mètres de haut, recouverts de miroirs, qui constitueront son centre, sur la mer Rouge. Financé à hauteur de centaines de milliards de dollars, le projet répondrait principalement à deux objectifs : augmenter la capacité d’accueil démographique, et diversifier l’économie du pays pétrolier.

Le concept prévoit que la ville sera alimentée par des énergies renouvelables et présentera « un microclimat tempéré toute l’année avec une ventilation naturelle ». Dans cette ville, présentée comme celle qui sera la plus vivable « sur toute la planète », on ne se déplacera pas en automobile, mais bien grâce au transport collectif aménagé sous terre, reliant les différents îlots urbains. Le lien établi entre la croissance démographique planétaire et le déclin de l’environnement n’est rien pour freiner le prince dans ses ardeurs, puisqu’il a exprimé son désir de voir la population atteindre 100 millions d’habitants d’ici 2040, incluant « près de 30 millions de Saoudiens et 70 millions ou plus d’étrangers », contre environ 34 millions d’habitants aujourd’hui. NEOM devra donc aussi répondre aux attentes en matière de croissance démographique.

« (…) on a déjà ce qu’il faut pour créer un laboratoire vivant, à grande échelle, agissant comme un quartier empathique. »

– Florian Saugues, directeur de projets chez Numana

Une ville « empathique »

Le catalyseur d’écosystèmes technologiques Numana, qui représente la grappe des technologies de l’information et des communications du Québec, concentrée dans le Grand Montréal, s’intéresse aux « bâtiments empathiques », ces immeubles intelligents qui, grâce à une application et des capteurs IoT (Internet des objets) collectant les données, mesurent des éléments tels que l’occupation, la qualité de l’air et le positionnement, en vue d’offrir un environnement adapté et un confort à leurs habitants.

Chez Numana, le comité qui s’y consacre depuis deux ans a récemment étendu la réflexion pour parler non pas seulement de bâtiments, mais aussi de « quartiers empathiques », inspirés du concept de villes bienveillantes pour lequel la Finlande s’illustre et prend de l’avance.

Dans de tels quartiers, les bâtiments intelligents pourraient communiquer entre eux, mesurer les émissions de CO2 et la qualité de l’air, et aider à constituer un environnement bénéfique pour la santé et le bien-être.

« C’est cool de rendre un bâtiment intelligent, mais l’intelligence ne se préoccupe pas tant que ça des données à l’intérieur du bassin, nuance Florian Saugues, directeur de projets chez Numana, en entrevue avec CScience, comme pour insister sur la dimension humaine du projet. « L’activité du bâtiment ne s’articule pas seulement autour de la manipulation de données, mais aussi de celle des êtres humains qu’il abrite en ses murs. Il faut donc qu’il soit conçu pour eux, qu’il soit à leur écoute et qu’il réponde à leurs besoins plutôt que seulement à un désir d’optimisation. Cela implique des notions de santé et sécurité, d’environnement et d’écologie, d’achalandage et flux de déplacements, de température et de gestion du stress », d’où la complexité de la tâche.

« Une matrice est en cours de rédaction en ce sens. S’il est trop tôt pour en dire davantage, je peux déjà dire que certaines villes et certains quartiers au Québec nous ont déjà mandatés pour livrer le projet, puisqu’on a déjà ce qu’il faut pour créer un laboratoire vivant, à grande échelle, agissant comme un quartier empathique. Mais c’est un environnement d’expérimentation qu’il est certes plus facile de constituer au sein d’une pièce ou d’un bâtiment à un seul étage. »

La vision québécoise souhaitée

En début d’année, dans un épisode de la websérie Décoder le monde, produite par le Musée de la civilisation en collaboration avec les Fonds de recherche du Québec, des experts proposent leurs suggestions d’une ville du futur, en toute lucidité.

« J’ai l’impression que les villes pourraient être plus vertes, moins marquées par des paysages d’industrie lourde comme on a pu en connaître au 20e siècle, entame Geneviève Cloutier, professeure à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional (ÉSAD). Des villes ou il y a aussi un peu plus de petites interventions, des micro-espaces qui servent de lieux d’échange, de rencontre de toutes sortes, de transactions pour le marché, des projets de jardinage collectif, des projets qui mettent aussi en valeur notre histoire, pour que ne s’efface ce qui existe actuellement. »

Décoder le monde (Musée de la civilisation, capture d’écran)

Carole Després, professeure d’architecture à l’Université Laval (Ulaval), estime que la ville de demain, soit celle que l’on découvrira dans 25 à 30 ans, n’est pas celle du futur, qu’il faut s’imaginer un siècle plus tard. « 25 à 35 ans, c’est très court dans la vie d’une ville, si l’on pense au temps que ça prend pour développer des infrastructures différentes de celles qu’on a (…) À moyen terme, je ne pense pas qu’il va y avoir une révolution dans le paysage. Il va falloir travailler avec l’héritage des villes qui est déjà construit. » Lorsqu’on lui demande si la banlieue est « démodée », elle répond généralement que « Non. Il y a un engouement très fort (pour la banlieue), c’est ce que les gens veulent; s’éloigner. Même pendant la pandémie, on a vu cette espèce de désir de campagne, de petit paradis vert, naître chez plusieurs, donc l’étalement se poursuit (…) il faut arrêter de croître. La population du Québec a amplement de territoire pour se développer et se re-développer sur ce qui est urbanisé présentement, sans gruger sur les terres agricoles, sans déboiser. »

Pour Stéphane Roche, ingénieur, géographe et professeur à l’Ulaval,  une ville en mérite le titre lorsqu’elle conserve une part d’hétérogénéité, que ses modes de déplacement se rencontrent, et qu’elle est accessible à une population diversifiée. À défaut d’être devin, il espère que les villes du futur seront conçues « en fonction des défis auxquels nos sociétés d’aujourd’hui font face, et en particulier celles urbanisées, qui représentent l’essentiel de la population sur la planète ». Il précise toutefois qu’au vu des investissements actuels dans les infrastructures automobiles, ce moyen de transport demeure assez populaire pour être encore imaginé dans les projections anticipées de la ville du futur.

En conclusion

Finalement, si « ville du futur » ne rime pas forcément avec « solution à tous nos problèmes », on peut espérer que l’innovation quant à l’aménagement des territoires intègre plusieurs réalités afin de proposer un habitat plus adapté à des populations hétérogènes et denses, mais qu’elle tarde à privilégier les intérêts des générations qui leur succéderont en lien avec l’urgence climatique. Au Québec, on peut s’aventurer à imaginer que la ville d’un proche avenir offrira du choix, accueillera la différence, et aura changé sur les plans environnemental et architectural, mais de manière modérée plutôt que drastique, conservant son héritage structurel et infrastructurel apparent pour en optimiser surtout les opérations internes.

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Crédit Image à la Une : NEOM