[ÉDITORIAL] : L’Innovation technologique, nouvel enjeu diplomatique de premier ordre

[ÉDITORIAL] : L’Innovation technologique, nouvel enjeu diplomatique de premier ordre

La visite du chancelier allemand Olaf Scholz en début de semaine à Mila, même en coup de vent, a pris une signification symbolique d’importance dans le cadre d’une visite diplomatique de trois jours au Canada qui avait surtout pour objectif de renforcer le partenariat énergétique entre les deux pays. Alors que les accords de coopération technologiques se multiplient dans le monde, l’innovation serait-elle en train de devenir un enjeu diplomatique de premier ordre ?   

Il était venu pour saluer et constater les avancées de l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle dans le cadre de la coopération entre le Canada et l’Allemagne. En dépit des vertus très louables d’une telle démarche, qui a cru une seule seconde que le passage certes rapide mais remarqué ce lundi du chancelier allemand et d’une partie du gouvernement canadien dans les murs de Mila, à Montréal, tenait uniquement de la simple visite de courtoisie.      

Dans le cadre d’un déplacement diplomatique de trois jours au Canada dont la vocation première était de trouver des solutions urgentes à la pénurie énergétique qui touche dramatiquement l’Allemagne depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, cet arrêt au stand Mila n’avait rien d’anecdotique : l’intelligence artificielle, et de manière plus générale, les innovations technologiques dites “disruptives” sont appelées à la rescousse d’un monde proche de la panique face aux défis grandissants d’accès aux ressources naturelles.  

La redéfinition des enjeux planétaires

Disons-le d’emblée, les coopérations technologiques et scientifiques entre nations ne sont pas nouvelles. Depuis près d’un siècle, elles font partie de l’agenda diplomatique des Etats. En revanche, ce qui tient de l’inédit, c’est que ces questions semblent aujourd’hui s’imposer dans la résolution des préoccupations d’ordre diplomatique plus traditionnelles : le respect du droit international, les enjeux de migrations de populations, les questions de défense ou bien encore les relations commerciales.    

« Les chercheurs et les ingénieurs vont devenir les alliés indispensables des relations interétatiques des prochaines années, à tous les niveaux. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Face à des populations désabusées et anxieuses devant les conséquences de plus en plus marquées du réchauffement climatique, du poids démographique sur l’exploitation des ressources ou bien encore de nos choix sociétaux, les gouvernements sont en quête, voir à cours, de solutions. Les propos du président français, Emmanuel Macron cette semaine sont, à ce titre, d’une édifiante sincérité : face à la “grande bascule” civilisationnelle – pour reprendre ses propres mots – nous plongeons dans l’inconnu. Et nos référents habituels sont dépassés.

Dans un tel contexte, sauf à jouer la carte de l’isolement, le recours aux innovations technologiques disruptives, autrement dit celles qui créent une véritable rupture dans nos habitudes de fonctionnement, tient du salut collectif dans les relations entre Etats. Pour surmonter des défis d’une ampleur inédite, dans un contexte de globalisation avancée, il faut imaginer des solutions qui accompagnent la refonte complète de nos modes de vies à l’échelle planétaire.

Vers un nouvel ordre diplomatique de l’innovation

C’est l’un des grandes raisons de l’irruption récente sur la scène diplomatique mondiale des enjeux de coopération technologique sur toutes les questions d’ordre stratégiques prioritaires : énergie, sécurité, sanitaire.

« (…) ce qui tient de l’inédit, c’est que ces questions semblent aujourd’hui s’imposer dans la résolution des préoccupations d’ordre diplomatique plus traditionnelles. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

La lutte ces dernières années contre l’épidémie mondiale de Covid-19 l’a démontré de manière cruciale : les efforts technologiques en santé ont été d’une remarquable efficacité et ont accéléré le rapprochement entre les scientifiques et les décideurs publiques à l’échelle planétaire. La diplomatie scientifique, chère à notre scientifique en chef, Rémi Quirion, a fonctionné à plein régime. Ce n’est qu’une prémisse. 

Indépendamment des enjeux de cybersécurité, qui occupent actuellement le devant de la scène quand on parle de technologie sur le plan diplomatique, les chercheurs et les ingénieurs vont devenir les alliés indispensables des relations interétatiques des prochaines années, à tous les niveaux.  Parce que seuls des cerveaux capables de penser le monde différemment nous permettront d’assurer la viabilité d’une adaptation indispensable au changement. 

Du bilatéral au régional

Aussi, aux efforts de rapprochements bilatéraux en matière de coopération technologique, devront rapidement succéder les visées de coopération élargies, régionales et interrégionales.

La Chine ne s’y trompe pas, elle qui a accordé récemment 400 milliards d’investissement à la “nouvelle infrastructure” en se targuant de créer près de 10 000 start-up par jour, focalise son attention sur les rapprochements structurels technologiques avec les pays de la région Asie-Pacifique pour accélérer ses efforts en recherche et développement.

« (…) le recours aux innovations technologiques disruptives, autrement dit celles qui créent une véritable rupture dans nos habitudes de fonctionnement, tient du salut collectif dans les relations entre Etats. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Le Canada, même s’il déploie depuis plusieurs années des démarches de coopération renforcée avec l’Europe sur le plan technologique, que ce soit en santé, en transport ou en environnement, continue à focaliser son attention et ses priorités d’action avec son voisin du Sud et de manière plus élargie avec le Groupe des cinq, les Fives Eyes, qui réunit outre ces deux pays l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. Un club diplomatique très anglo-saxon au sein duquel le Canada se montre, sommes toutes, assez passif. 

Le Québec, qui multiplie de son côté les démarches de coopération technologiques poussées avec des pays comme Israël, le Maroc, le Viêt-Nam, la Suède ou bien encore la France avec l’annonce d’une année 2023 placée sous le signe de l’innovation technologique, aurait intérêt à miser sur son rôle actif et prépondérant sur la scène scientifique francophone pour faire avancer l’idée d’une coopération technologique régionale renforcée en langue française avec une partie de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient.  

Ne serait-ce que pour faciliter le partage des savoir-faire mais aussi et surtout des talents. 

Car la course primordiale du XXIème siècle pour les nations, dans un contexte de mutation rapide et ô combien déstructurante, sera plus que jamais celle des cerveaux. Et la langue française est un atout de rapprochement indéniable pour des cerveaux audacieux. Impossible n’est pas français, isn’t it ?

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience IA
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : Istock