Art artificiel et cryptomonnaie : la technologie va-t-elle trop loin dans le monde de l’art ?

Art artificiel et cryptomonnaie : la technologie va-t-elle trop loin dans le monde de l’art ?

L’œuvre soumise par un Américain au concours d’art 2022 de la Foire de l’État du Colorado, aux États-Unis, a beaucoup fait réagir en remportant la première place. Le lauréat, Jason Allen, l’a générée grâce à un logiciel d’intelligence artificielle (IA) appelé Midjourney, relançant les discussions à savoir si la technologie n’aurait pas outrepassé son mandat dans le milieu de la création.

Midjourney est un outil qui permet de produire des images à partir de suggestions  fournies par un utilisateur de Discord, serveur populaire dans le monde du jeu vidéo.

Dans la dernière année, il a souvent été question, dans les débats s’articulant autour de l’IA, de la place qu’occuperaient les artistes à l’issue d’une évolution trop rapide de ce type de technologie. De nombreuses applications web, s’appuyant sur le langage GPT-3, telles que le programme DALL-E, étant de plus en plus sollicitées pour créer des images à partir de descriptions textuelles et de mots-clés, les amateurs d’art ont peu à peu troqué leurs toiles et pinceaux pour de la dactylo et quelques clics.

Dans un contexte artistique, où l’intention et la propriété intellectuelle prennent tout leur sens, peut-on encore parler de progrès lorsque l’outil personnifie son utilisateur, jusqu’à dépasser le maître?

Une évolution rapide et sous-estimée

Dans le milieu de la publicité, où l’on avait pour habitude de se payer les services de graphistes professionnels pour élaborer son concept, on commence aussi à se tourner vers les robots pour émettre des propositions sans avoir à débourser le moindre frais.

« Je crois que l’IA ne parviendra pas à reproduire l’intuition et la sensibilité d’un humain, qu’il soit spécialiste marketing, directeur artistique ou concepteur-rédacteur, suggère l’experte en marketing Caroline Tassé, en entrevue avec CScience. Je crois par contre que l’IA peut absolument collaborer et se mettre au service des publicitaires à plusieurs niveaux. L’IA est fabuleuse, surtout en ce qui concerne la collecte de données pour optimiser les campagnes, bien cibler les besoins et assurer un meilleur retour sur investissement. Par contre, à mon humble avis, les images générées pour créer des concepts publicitaires ne sont pas convaincantes et manquent de justesse, d’humanité et de finition. »

En mai dernier, Clea Reynolds, propriétaire de la Galerie de Miss Rey sur la Rive-Sud de Montréal, réglait vite la question. Pour elle, le fruit du génie artificiel n’était « aucunement artistique », parce que le rôle créatif des utilisateurs de ce genre d’innovation était trop « limité ».

« Évidemment, les artistes utilisent beaucoup les outils numériques, car il y en a une pléthore. »

– Réjean Beaucage, directeur général d’Akousma

« Contrairement à ce que plusieurs en pensent, l’IA, dans le monde de l’art, ne vise pas à rendre les artistes inutiles, mais bien à démocratiser la création artistique », soutenaient les développeurs de Nightcafe, autre application web démocratisant l’IA pour la création d’images, mais dont les possibilités relativement limitées ne permettent pas encore d’obtenir un résultat net et précis.

Depuis, les développeurs de ce type de technologie n’on cessé de l’améliorer, voyant l’intérêt et la demande croître pour l’offre, et l’attention médiatique n’en être qu’alimentée, jusqu’à rendre les dernières créations artificielles beaucoup plus réalistes et satisfaisantes à regarder.

Dans l’épisode du 22 juin de notre émission C+clair, le directeur général d’Akousma, Réjean Beaucage, remarquait d’ailleurs l’homologue dans l’industrie de la musique, qui a commencé à détourner le marché des redevances des artistes à l’avantage des PME exploitant la création artificielle. « Je ne suis pas certain que l’on manque d’artistes au point d’avoir besoin de robots pour les remplacer », avait-il pointé, faisant « une distinction entre intelligence artificielle et outil numérique. Évidemment, les artistes utilisent beaucoup les outils numériques, car il y en a une pléthore. Une compagnie (AIVA) a d’ailleurs créé une intelligence artificielle, où elle a déversé toute la musique de Bach, Mozart et Beethoven. Cette IA peut maintenant nous pondre des pièces des XVIIe et XIX siècles sans arrêt, et ces pièces sont enregistrées à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique française). »

« Le fait de garantir l’unicité d’une œuvre numérique grâce à la technologie des jetons non fongibles (…) peut-il satisfaire autant que l’acquisition d’une toile physique irreproductible ? »

– Florian Saugues, directeur de projets chez Numana

L’art et la cryptomonnaie

Pour Mme Reynolds, « On peut très bien avoir recours à de la technologie pour certains procéder artistiques, mais il est important de garder le contrôle sur son processus de création, et d’en conserver l’intention de départ, qui est ce qui permet de transmettre une réelle émotion au public. » Elle estime que les œuvres dites « artistiques » générées par l’IA ne remplaceront jamais l’œuvre humaine, car « Il y aura toujours des peintres, des artistes pour créer à la sueur de leur front ». Mais y aura-t-il toujours des acquéreurs, soucieux de garnir leurs collections d’œuvres véritablement créées? Ou a-t-on, finalement, perdu le contrôle?

En entrevue avec CScience, Florian Saugues, directeur de projets chez le catalyseur d’écosystèmes technologiques Numana, soulevait aussi cet enjeu il y a quelques semaines : « Le fait de garantir l’unicité d’une œuvre numérique grâce à la technologie des jetons non fongibles (non-fungible tokens ou NFT) et de la cryptomonnaie peut-il satisfaire autant que l’acquisition d’une toile physique irreproductible ? »

Avec des ventes de dizaines de milliards de dollars en 2021, le marché des jetons non fongibles semblait florissant. Ses détracteurs étaient pourtant nombreux à douter, comme M. Saugues, de l’intérêt ou de la valeur à leur accorder. Le temps leur aura peut-être donné raison, puisque le secteur des NFT traverse des turbulences depuis quelques jours.

Depuis la fin du mois d’août, le marché est en chute libre, et plusieurs entreprises qui l’exploitent s’effondrent avec lui. Pensons à Opensea, la plus grosse plateforme d’échanges de NFT, qui a perdu pas moins de 90 % de son volume d’échange.

Il se pourrait finalement que Mme Reynolds ne se trompe pas lorsqu’elle décrit l’engouement pour la valeur ajoutée d’une toile de peintre comme étant intarissable.

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Crédit Image à la Une : Jason Allen