[ÉDITORIAL] : Les enjeux technologiques intéressent-ils les partis en campagne ?

[ÉDITORIAL] : Les enjeux technologiques intéressent-ils les partis en campagne ?

Le 3 octobre prochain, les électeurs québécois décideront dans les urnes s’ils veulent reconduire le parti au pouvoir ou s’ils veulent donner une chance aux partis d’opposition. Durant cette campagne électorale, qui tire à sa fin, les enjeux ou les opportunités liés aux transformations technologiques ont-ils eu une place suffisante ? Même s’il n’y a pas eu de débat à proprement parler, on ne peut pas dire que la question laisse les partis indifférents.

Ce fut d’abord un appel public aux cinq principaux partis en lice. En l’occurrence, celui du Conseil canadien des innovateurs (CCI), qui regroupe une vingtaine d’entreprises technologiques québécoises et qui réclamait le 31 août dernier par la bouche de son directeur, Pierre-Philippe Lortie, ni plus ni moins qu’un débat et une remise à plat de l’attribution des crédits d’impôts aux entreprises technos.

Puis ce fut une lettre ouverte, plus récemment, publiée dans La Presse sous le titre « Société numérique : ouvrons le débat », à l’initiative de l’un de nos chroniqueurs, Stéphane Ricoul, de Martine Rioux et de Yves Williams. Un appel, là encore, à ouvrir le débat sur l’impact de la transformation numérique au Québec.

Des candidats interpelés

Ces multiples appels n’ont pas donné lieu au débat public tant attendu. On ne peut que le regretter car ils portent pourtant sur des enjeux cruciaux concernant le modèle économique de notre province dans les cinq à dix prochaines années.

« De nombreux partis font appel aux technologies pour surmonter la crise climatique. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Qu’il s’agisse de l’aide salariale accordée au secteur du numérique sous forme de crédits d’impôts, de la nouvelle loi sur la protection des renseignements personnels, des seuils d’approvisionnement locaux en matière de solutions technologiques, d’apprentissage en ligne, de cybersécurité, ou bien encore de développement numérique responsable, ces questions-là sont devenues essentielles dans la vie quotidienne de millions d’individus dans notre province.

Les auteurs de la lettre d’opinion y vont de leurs solutions. Ils proposent ainsi d’envisager la création d’un organisme indépendant chargé de conseiller le gouvernement et le public sur les enjeux du numérique. Le Conseil de l’innovation, et l’Innovateur en chef du Québec, qui sont en place depuis près de deux ans pour justement remplir ce rôle-là, apprécieront.

Ces mêmes auteurs soulignent en outre qu’en début d’année prochaine un certain nombre de plans d’action sur le développement et la transformation numérique mis en place par le gouvernement arriveront à échéance, et que « rien n’a encore été divulgué quant à leur continuité ».

Certains responsables gouvernementaux auraient beau jeu de répondre que la réponse se trouve déjà dans la nouvelle Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en Innovation (SQRI2). Il n’en demeure pas moins que la mise en place effective de la stratégie reste encore à définir dans plusieurs de ses différents volets.

Des positions et des propositions

La rédaction de CScience a souhaité interpeller les cinq principaux partis sur ces enjeux-là. Notre rédactrice en chef, Chloé-Anne Touma leur a posé à tous les mêmes questions, et les réponses apportées nous permettent de dessiner quelques grandes tendances significatives.

Sans surprise, la flexibilité fiscale et le désengagement de l’État dans le soutien aux entreprises innovantes est le cheval de bataille du PCQ. Au contraire, QS parie sur le secteur public pour porter l’innovation québécoise. Il invite à plus « d’investissements publics structurants » pour attirer de nouvelles grappes technologiques. Le PLQ, lui, cherche à réduire le fardeau fiscal des entreprises.

« Nous ne pouvons que regretter l’absence de vision internationale dans la majeure partie de ces propositions. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

La CAQ, par l’entremise du ministre actuel de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, veut axer sa politique de développement technologique en misant sur des secteurs prioritaires, tels que l’aéronautique, les batteries, l’aluminium vert, la médecine spécialisée, ou bien encore l’IA.

De nombreux partis font appel aux technologies pour surmonter la crise climatique. C’est le cas de QS, qui fait de la lutte aux changements climatiques le moteur de l’innovation technologique et fait reposer sur l’écofiscalité le financement de la recherche dans les technologies vertes. Le PLQ en fait aussi son « défi numéro un » et parie, tout comme la CAQ, sur l’électrification et l’hydrogène vert pour amorcer le virage technologique en la matière. Le PCQ s’en tient à vanter notre « énergie abordable » et notre climat pour attirer les investisseurs dans le domaine du numérique.

Le PLQ, la CAQ et le PQ sont les seuls à véritablement mettre l’accent sur l’enseignement supérieur et les centres de recherche pour appuyer les efforts transferts d’expertise en innovation technologique. Si le PLQ et la CAQ veulent promouvoir la recherche mais aussi accélérer sa commercialisation, le PQ veut aussi intéresser les étudiants à l’entrepreneuriat.

La vision internationale absente de la quasi-intégralité des propositions

Nous ne pouvons que regretter l’absence de vision internationale dans la majeure partie de ces propositions. Dans le droit-fil de la doctrine Gérin-Lajoie, qui vise depuis 1965 à reconnaître les compétences du Québec dans ses relations internationales, les politiques d’innovation ne devraient pas être pensées hors de cette perspective d’échanges mondiaux, qu’il s’agisse de talents ou de procédés.

« (…) ces questions-là sont devenues essentielles dans la vie quotidienne de millions d’individus dans notre province. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Le travail mené par notre Scientifique en chef, Rémi Quirion, depuis des années, lui qui préside actuellement le Réseau international pour les avis scientifiques aux gouvernements (INGSA), devrait être un exemple de voie à suivre pour toutes les politiques publiques en la matière. À commencer par la vision francophone du développement technologique.

Assez curieusement, seul le PCQ en fait état et apporte cette dimension dans ces propositions. C’est même l’un de ses principaux axes de campagne dans le domaine. Assez curieux pour un parti que l’on dit nationaliste, mais il prouve ainsi une ouverture d’esprit qui est à saluer.

Promouvoir les échanges de savoirs, de talents, de capitaux et de ressources ne peut se penser aujourd’hui et pour le reste du 21ème siècle sans s’inscrire dans une réelle politique de coopération entre pays, territoires, régions, qui ont une langue et des valeurs en partage.

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience IA
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : GALA MEDIA