La transformation numérique : la société est-elle équipée pour y faire face ?

La transformation numérique : la société est-elle équipée pour y faire face ?

Les nombreux plans d’action mis en place par le gouvernement en matière de numérique arrivent à échéance, mais qui s’exprime sur ce qui va leur succéder? À l’aube du scrutin, l’heure est aux hypothèses quant au futur gouvernement auquel il incombera la tâche de mener cette réflexion. Mais le Québec est-il prêt à se doter de stratégies conséquentes pour embrasser la transformation numérique et son potentiel de la manière la plus responsable et durable possible?

Un enjeu aussi important qu’ignoré

Si, en entrevue avec CScience, tous les partis politiques se sont entendus pour dire qu’il fallait privilégier les domaines pour lesquels le Québec avait développé des forces manifestes, et donc, investir dans les nouvelles technologies vertes en vue d’une meilleure transformation numérique, ils ne se sont pourtant pas étalés sur la question au cours de leur campagne électorale, ou d’un débat public pourtant attendu.

« La raison pour laquelle les politiciens n’en parlent pas, c’est tout simplement parce que la population ne s’en préoccupe pas. »

– Stéphane Ricoul, directeur exécutif marketing et partenariats de Talsom et chroniqueur CScience

stephane ricoul

Stéphane Ricoul

« La raison pour laquelle les politiciens n’en parlent pas, c’est tout simplement parce que la population ne s’en préoccupe pas. Lorsqu’on parle aux gens de crise du logement, de taxes, d’éducation et de santé, là, il y a résonance », pense Stéphane Ricoul, qui accompagne des entreprises dans leur transformation numérique en tant que directeur exécutif marketing et partenariats de Talsom, lorsqu’il ne rédige pas de chronique pour CScience au sein du Club des experts.

Co-initiateur et signataire de la lettre ouverte « Société numérique: ouvrons le débat! », ayant collecté des centaines de signatures, il rappelle qu’il aura fallu pas moins de deux ans pour pondre la Loi 25, nouvellement effective, et qui ne protège finalement que les données personnelles.

« En gros, tout ce qu’elle prévoit, c’est que les entreprises devront montrer patte blanche. Ce n’est pas assez. On a vu ce qui s’est passé avec l’élection de Donald Trump, et avec le Brexit. On en comprend qu’aujourd’hui, du point de vue de la technologie, on est en mesure d’influencer un peuple entier quant à ses idéologies. C’est donc toute la dimension démocratique qui en est fragilisée. Je comprends qu’il y ait un processus à suivre pour élaborer une loi, mais il y a aussi des urgences auxquelles répondre en société. »

Un organisme indépendant

Parmi les urgences et besoins évoqués, il mentionne la « création d’un organisme indépendant et adéquatement financé, chargé de conseiller le gouvernement et le public sur les enjeux du numérique ».

« Je salue l’initiative du gouvernement d’avoir créé un ministère relatif au numérique, mais j’ai toujours milité contre un tel organe, et pour la création d’une autre entité, d’une direction générale ou d’une société d’État numérique, beaucoup plus transversale et transministérielle, adéquatement financée et dotée d’un pouvoir d’action concret. Ce serait un organisme chargé d’accompagner l’ensemble des ministères pour comprendre ce qu’il faut modifier dans chacune des lois et s’ajuster à ce que le numérique nous offre aujourd’hui. »

Un décalage entre conscience et réactivité

Mais malgré le retard de réactivité aux urgences qu’il relève, Stéphane Ricoul ne pense pas que le Québec peine à anticiper les besoins en matière de transformation numérique, bien au contraire : « La couverture qu’en font les médias, à la fois ceux de masse et spécialisés, et la Loi 25 dont nous sommes les premiers à nous doter au Canada, attestent justement d’une conscience certaine de ces problèmes. Mais l’action ne suit pas assez vite. On en a un autre exemple avec l’identité numérique, qui nous avait été promise pour 2022. On nous disait que tous les Québécois auraient leur identité numérique, et qu’on n’aurait plus besoin d’avoir son permis de conduire, son passeport sur soi, sa carte d’assurance maladie, etc., qu’on aurait tout dans son cellulaire, au bout des doigts. Et devinez quoi, on ne l’a toujours pas », insiste M. Ricoul, en référence aux promesses du ministre Éric Caire, qui a annoncé que le projet était finalement prévu pour un prochain mandat.

L’enjeu de la démocratisation

M. Ricoul pense aussi qu’au chapitre de la transformation numérique, il faut assurer un meilleur encadrement afin de n’exclure personne du processus. « Déjà en termes d’infrastructure, il faudrait veiller au déploiement d’Internet haute vitesse et de la 5G sinon de la 4G pour tout le Québec ».

Questionné à ce propos par notre rédaction, le ministre de l’Économie et de l’Innovation et candidat sortant de Terrebonne, Pierre Fitzgibbon, a indiqué il y a quelques semaines que bien qu’il soit « inconcevable qu’en 2022, on ne soit pas connectés, le projet est en voie d’être complété ».

Rappelons que le 5 septembre dernier, François Legault a promis de créer le fonds ID Québec, de 3 milliards de dollars, afin de compléter la couverture cellulaire de l’ensemble du territoire québécois d’ici 2026, et faire du Québec un leader de l’économie numérique.

Les centres de données

Et qu’en est-il des centres de données, souvent cités comme étant une richesse non négligeable à considérer dans le rapport à la transition numérique? « Nos centres de données sont beaucoup plus verts qu’ailleurs, ce qui fait du Québec une terre d’accueil intéressante pour les data centers, mais il vaudrait mieux insister sur l’importance de la souveraineté numérique », de proposer M. Ricoul.

Au regard du développement de l’infonuagique, de l’intelligence artificielle et de la quantité monstre de données qu’amène la transformation numérique des entreprises et de la société en général, les centres de données auront certainement un rôle clé à y jouer pour la vision stratégique et économique du Québec, où les serveurs fonctionnent à l’hydroélectricité, ce qui les rend relativement verts.

Maxime Guévin

Pour Maxime Guévin, vice-président et directeur-général de Vantage Canada, chef de file des centres de données à grande échelle, cela ne fait aucun doute. « C’est pourquoi nous voyons l’annonce du gouvernement quant à la création du Fonds ID d’un œil très positif, parce qu’on vit une transformation numérique majeure. Et qui dit numérisation dit serveur. Mais il faut fournir un environnement pour y installer les serveurs, et c’est ce que nous faisons pour nos clients. Ce qui rend le Québec si attrayant pour les opérateurs de centres de données comme nous, ou encore les grandes compagnies infonuagiques mondiales telles que Google et Microsoft, c’est d’abord la qualité de l’énergie produite par Hydro-Québec, verte à 99,6 %. Ces compagnies, au même titre que Vantage Canada, veulent être carboneutres d’ici 2030. Ensuite, le deuxième incitatif est le coût de l’électricité, qui est plus compétitif. Puis, le troisième attrait est le climat, puisqu’il est possible de se servir du froid de l’air ambiant extérieur pour refroidir les gaz à l’intérieur des systèmes, sans même consommer d’électricité. »

Ailleurs dans le monde, les initiatives vertes ont aussi permis de revoir à la baisse l’impact énergétique des centres de données. Depuis 2018, ceux de Google sont entièrement alimentés par de l’énergie renouvelable.

Or, les experts sont unanimes : réduire sa consommation et opter pour une énergie renouvelable, c’est bien, mais insuffisant, car consommer de l’énergie renouvelable contribue quand même à faire augmenter la consommation globale d’énergie dans le monde.

Dans son livre blanc, L’accélération du progrès des stratégies d’emmagasinage d’énergie durable pour les centres de données verts, publié en 2021, l’International Data Corporation prévoit que « L’énergie renouvelable ne suivra pas assez vite et ne sera pas assez bon marché pour répondre à la croissance des centres de données et de leur consommation, et soutenir la transformation numérique ». Il faudrait ainsi cesser de parler d’énergie renouvelable comme d’une « solution alternative », mais bien en parler comme d’une nécessité, et garder en tête que le recours aux énergies solaire, éolienne et hydraulique implique aussi de construire des infrastructures qui ont leurs propres effets perturbateurs sur l’environnement.

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Crédit Image à la Une : Christina Morillo, Pexels