[ÉDITORIAL] : L’intelligence artificielle peut-elle faire grandir l’école ?

[ÉDITORIAL] : L’intelligence artificielle peut-elle faire grandir l’école ?

À l’occasion du congrès 2022 de l’AESTQ, l’Association des enseignants en sciences et technologies au Québec, qui se tient ce jeudi et ce vendredi au Palais des congrès de Drummondville en partenariat avec CScience Le Lab, et en lien avec l’émission C+Clair qui sera diffusée le 25 octobre prochain, nous nous interrogeons sur la pertinence de l’apport des technologies aux métiers de l’enseignement.

Ce sont près de 600 congressistes qui sont attendus dès jeudi matin et jusqu’à vendredi soir au Palais des congrès de Drummondville. Des enseignants et enseignantes, des professionnels de l’éducation, des start-ups, des chercheurs et des spécialistes de l’intelligence artificielle, tous rassemblés en un même lieu pour évaluer si l’IA a bien sa place à l’école, et si elle peut d’ores et déjà former les citoyens de demain.

Il est évident que beaucoup d’interrogations et d’appréhensions entourent l’intrusion des technologies et, qui plus est, de l’IA au sein de nos établissements scolaires.

Des enseignants à qui on en demande beaucoup

À commencer par les enseignants eux-mêmes, nos nouveaux héros du quotidien, à qui la société actuelle demande beaucoup : assurer certes la transmission des connaissances, mais aussi assurer un rôle de vigie sociale, accompagner les personnes en difficulté et, depuis la pandémie, gérer certaines démarches sanitaires.

« (…) ne pas voir la technologie comme une solution pertinente à la détresse des acteurs du monde enseignant serait une erreur aux conséquences forcément négatives. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience

Si bien que, selon les derniers rapports en la matière, et comme le rappelait notre collaboratrice Delphine Le Serre dans sa chronique du 14 octobre dernier, les enseignants passeraient en moyenne 30 % de leur temps de travail sur des tâches à très faible valeur ajoutée. Autrement dit, des tâches administratives ou de gestion des ressources n’ayant aucun rapport avec l’enseignement.

Un temps précieux gâché. D’autant plus inutile qu’il s’observe dans un contexte de pandémie de main-d’œuvre criante dans le secteur.

Des enseignants qui ont un cruel et urgent besoin de renfort humain mais qui ont aussi besoin d’aide dans leur gestion du temps. Un premier enjeu crucial sur lequel les solutions technologiques doivent et peuvent être d’un support bénéfique certain, comme le rappelait le professeur en sciences de l’éducation, Thierry Karsenti, dans nos colonnes il y a quelque mois.

Une approche numérique des connaissances

L’autre enjeu de taille concerne la transmission des savoirs dans un contexte de numérisation grandissante de la société.

Comment enseigner les savoirs traditionnels, assurer et apprendre aux élèves la prise de recul nécessaire, dans un monde où la circulation des connaissances, l’information, la prise de décision et la prise de parole sont instantanées, rapides et sans filtres ?

« Il est évident que beaucoup d’interrogations et d’appréhensions entourent l’intrusion des technologies et, qui plus est, de l’IA au sein de nos établissements scolaires. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience

Certains établissements font le pari de l’intérêt des élèves pour la science, les nouvelles technologies afin d’intégrer ces matières à l’enseignement d’autres matières fondamentales comme les langues ou les sciences humaines.

Un attrait pour les sciences, réel et bien massif, si l’on en croît une étude récente de la Fondation canadienne pour l’innovation, qui fait état de 77 % de jeunes canadiens qui considèrent le domaine des sciences comme un bon choix de carrière pour leur génération.

Mais cela ne peut se faire sans une approche solide de littératie numérique dans les classes. Tout comme on enseigne l’éthique, la citoyenneté et dans une certaine mesure la littératie financière, la littératie numérique dans un monde baigné de digital mériterait son cours au programme officiel.

Il faut à ce titre saluer les efforts accomplis sans relâche par la Table de concertation en littératie numérique du Québec mise sur pieds en 2018, qui regroupe différents organismes et met différentes ressources à disposition des jeunes et des enseignants.

On ne peut plonger dans un monde du tout-numérique sans en comprendre les bienfaits et les risques. Les élèves ainsi que le corps enseignant sont en première ligne. Le prochain ou la prochaine ministre en charge de l’Éducation devra sérieusement se pencher sur le dossier durant son mandat, en adéquation avec la Stratégie de transformation numérique gouvernementale et la Stratégie d’intégration de l’intelligence artificielle dans l’administration publique 2021-2026.

Mieux prendre en considération la différence

Enfin, l’école doit composer avec des réalités multiples et des publics on ne peut plus variés. L’uniformisation de l’enseignement et une approche pédagogique commune ne sont souvent pas compatibles avec la multiplicité des cas que représentent chaque élève.

Les enseignants sont contraints de composer quotidiennement avec cette réalité-là.

« Tout comme on enseigne l’éthique, la citoyenneté et dans une certaine mesure la littératie financière, la littératie numérique dans un monde baigné de digital mériterait son cours au programme officiel. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience

Qu’il s’agisse de cas de TDAH, d’enfants surdoués ou bien encore de jeunes affectés par des troubles dyslexiques, l’enseignant est confronté au défi constant d’adapter son approche pédagogique pour ne pas échapper ce public-là et limiter les risques de démotivation ou de décrochage scolaire. Et ce, ne l’oublions pas, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de ressources terrain.

Cette approche pédagogique individualisée nécessite des outils. La technologie, via des plateformes d’accompagnement adaptés dans la veine d’applications remarquables telles qu’Alloprof qui utilise l’IA pour aider les élèves en difficulté, peut être là encore d’un recours précieux.

Entendons-nous bien : il n’est pas ici question de croire que la technologie peut résoudre tous les maux actuels de l’enseignement. Mais ne pas voir la technologie comme une solution pertinente à la détresse des acteurs du monde enseignant serait une erreur aux conséquences forcément négatives.

Merci encore à ceux et celles qui, comme l’AESTQ, se battent pour apporter de la lumière là où certains ne voient que de l’obscurité.

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : Unsplash