La promesse de l’informatique quantique : ce qu’il faut en comprendre

La promesse de l’informatique quantique : ce qu’il faut en comprendre

Il y a quelques semaines, on a annoncé qu’en septembre, on aurait, à Bromont, un superordinateur quantique basé sur l’architecture « Quantum System One » d’IBM, un outil révolutionnaire dont il n’existe que quatre autres exemplaires opérationnels dans le monde. Si cette acquisition est le gage d’avancées majeures pour le milieu de la recherche et du développement, pour la plupart des Québécois, une question s’impose : l’informatique quantique, ça mange quoi en hiver ?

L’acquisition d’un superordinateur quantique opérationnel aura des retombées retentissantes au Québec et dans le reste du Canada, dans plusieurs secteurs. En santé, on a l’espoir de trouver des remèdes contre des maladies qui n’en ont pas. Mais comment est-ce que cela fonctionne, et en quoi est-ce différent d’un ordinateur classique ?

L’ordinateur quantique VS l’ordinateur classique

Des calculs très complexes

Pour comprendre l’intérêt et la promesse de l’informatique quantique, il faut d’abord en illustrer les éléments de manipulation de base qui en font la distinction.

Dans l’informatique traditionnelle, qui repose sur un système binaire, on parlera de bits, qui correspondent à la plus petite unité d’information manipulable par une machine numérique. La lecture d’un bit donne 1 ou 0. On dit donc qu’elle est « déterministe ».

Mastermind

En quantique, le premier élément de base d’un ordinateur est le qubit, capable d’être simultanément dans les valeurs 0 et 1, et dans toutes les valeurs intermédiaires du spectre entre les deux. On passe donc du déterminisme au « probabilisme », « ce qui démultiplie le nombre de calculs (les pistes a explorer) possibles en même temps », propose l’expert web Jim Sam-Pan au cours d’un exercice de vulgarisation avec CScience.

« (…) un ordinateur quantique nous permet de stocker jusqu’à deux ou trois fois le nom de toutes les planètes qui existent dans l’univers. »

– Alexis Gouslisty, Chef des technologies, Plateforme d’innovation numérique et quantique (PINQ2)

C’est un peu comme un jeu Mastermind, où l’ordinateur classique aurait besoin de toutes les étapes/lignes de couleurs pour en craquer le code, alors qu’un ordinateur quantique pourrait comparer simultanément, soit en une seule étape, toutes les combinaisons possibles et en obtenir le code en un temps record. Les ordinateurs quantiques seront donc capables de résoudre, en une fraction du temps, des problèmes que les plus grands superordinateurs classiques mettraient des milliers d’années à solutionner.

« Par exemple, l’ordinateur classique d’aujourd’hui, s’il voulait faire l’étude de toutes les planètes de notre galaxie, il ne le pourrait pas, parce qu’il n’a pas assez de bits pour en stocker toutes les données. Par contre, un ordinateur quantique nous permet de stocker jusqu’à deux ou trois fois le nom de toutes les planètes qui existent dans l’univers », précise Alexis Gouslisty, Chef du département des technologies de la Plateforme d’innovation numérique et quantique (PINQ2), soit l’OBNL chargée d’exploiter le superordinateur de Bromont, et d’encadrer les projets d’innovation des PME et organisations qui en profiteront.

À quoi ça ressemble ?

Structure du modèle System Quantum One d’IBM

Souvent comparé à un curieux lustre sorti tout droit d’un film de science fiction, l’ordinateur quantique est notamment composé d’une structure enveloppante en or pur.

Mais c’est plutôt sur ce qu’il y a à l’intérieur, son processeur, qu’il repose essentiellement, et où se trouvent les qubits dont il faut contrôler l’état. « Un processeur d’ordinateur quantique, c’est une puce, sans mémoire, sans disque, qui requiert un environnement HPC (calcul haute performance) pour connecter avec des machines », précise M. Gouslisty. Ainsi, le modèle System Quantum One, qui sera exploité au Québec, peut supporter jusqu’à 127 qubits. Le dernier modèle de puce développé par IBM, « IBM Osprey », en soutient quant à lui plus de 400.

Les couches d’une puce d’IBM Osprey

Des exemples concrets des retombées espérées

Avec un instrument aussi puissant, on envisage notamment de faire de grandes découvertes par la modélisation moléculaire.

En médecine, on a l’ambition de modéliser, grâce aux ordinateurs quantiques, de nouvelles molécules pour trouver des remèdes efficaces contre des maladies aujourd’hui incurables. On pourra, par exemple, simuler le corps humain, chercher à voir ce qui se passe lorsqu’on manipule un traitement qui existe déjà pour le cancer du cerveau, et qu’on le modifie pour obtenir une variante afin de traiter un autre type de cancer, tel que celui de la prostate.

« Le quantique nous permettra de mieux comprendre la nature du cancer, et ouvre la possibilité de simuler des molécules plus complexes, qui pourront constituer la base de nouvelles thérapies. »

– Alexis Gouslisty, Chef des technologies, Plateforme d’innovation numérique et quantique (PINQ2)

« Le quantique nous permettra de mieux comprendre la nature du cancer, et ouvre la possibilité de simuler des molécules plus complexes, qui pourront constituer la base de nouvelles thérapies », explique M. Gouslisty.

En environnement, on a aussi l’ambition d’utiliser ce processus de modélisation moléculaire pour trouver comment produire des engrais azotés naturels, ou des matières biodégradables, des alternatives économiques et écologiques.

Des limites

Pourtant, l’ordinateur quantique trouve aussi ses limites dans certains types de calculs. Pourquoi ? Parce que les qubits, ce sont en fait des atomes, que l’on doit organiser d’une certaine manière pour réaliser des calculs complexes. Les atomes étant instables, il faut pas moins de sept réfrigérateurs pour les ralentir et maintenir le système à une température de -272 °C, nous expliquent, lors d’entrevues respectives avec CScience, M. Gouslisty ainsi que l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois.

Ainsi, le taux d’erreur est actuellement couramment supérieur de plus de 1 % par opération de calcul, soit beaucoup plus important que dans les bits classiques. S’additionnant après chaque opération, ces erreurs faussent les calculs, et en rendent les résultats inexploitables.

Pour remédier à ce problème, on répète la même opération plusieurs fois avec l’ordinateur quantique, et on retient la réponse la plus récurrente (celle qui a la probabilité la plus élevée) comme étant la meilleure.

Le Canada, très bien positionné

En informatique quantique, le Canada se situe toujours dans le top 2 ou 3 des palmarès des pays qui s’illustrent dans le domaine, généralement aux côtés des États-Unis et de la Chine. Notre premier atout réside dans nos universités, nos pôles d’innovation et nos sommités de la recherche, que ce soit au Québec, en Ontario ou dans l’Ouest Canadien.

12, c’est le nombre d’instituts et laboratoires de recherche en quantique dont dispose le Canada

Pendant et après les études

Beaucoup de pays sont réputés pour produire des talents en recherche et en innovation, mais ils sont beaucoup moins nombreux à avoir les infrastructures et les fonds nécessaires pour les retenir. Au Canada, nous avons la chance d’avoir une douzaine d’instituts et de laboratoires en quantique, et de pouvoir, même après les études, poursuivre des travaux de recherche à même les installations de nos universités, tout en côtoyant de grands chercheurs dans le même écosystème.

Au Québec

Pensons à des Alexandre Blais ou des Gilles Brassard en quantique, ou encore, à des Yoshua Bengio, puisque l’intelligence artificielle s’y veut une science complémentaire.

Deux universités québécoises offrent d’ailleurs des programmes de premier cycle en études quantiques : Polytechnique Montréal et l’Université de Sherbrooke. On peut, par exemple, profiter d’un pôle d’innovation en l’Université de Sherbrooke, réputée pour son Institut quantique, et de nos forces en IA pour accélérer le développement de la modélisation des molécules, « parce qu’avec le quantique, il y a tellement de combinaisons à traiter, que l’IA aide à identifier les plus prometteuses », d’apporter M. Gouslisty.

« (…) le Québec devient une plaque tournante pour la recherche et le développement de meilleures puces, et donc de processeurs pour les ordinateurs quantiques (…) »

– Alexis Gouslisty, Chef des technologies, Plateforme d’innovation numérique et quantique (PINQ2)

Grâce à son superordinateur, le Québec sera le seul endroit au monde, à l’extérieur des États-Unis, à disposer d’un accélérateur de découvertes scientifiques, en plus d’avoir sa propre infrastructure HPC (calcul haute performance) pour accueillir le System Quantum One. « En ayant sa propre infrastructure HPC en place, le Québec devient une plaque tournante pour la recherche et le développement de meilleures puces, et donc de processeurs pour les ordinateurs quantiques, parce que la nouvelle réglementation américaine veut que toutes les puces quantiques soient dorénavant construites en Amérique du nord. »

Rappelons que les droits d’usage du superordinateur Quantum System One coûteront 68 M$ au Québec pour cinq ans, et que grâce à la supervision de PINQ2, il sera mis à la disposition de PME, organismes et chercheurs canadiens majoritairement québécois, de manière démocratisée, dans le but de leur donner accès à des équipements qu’ils ne pourraient autrement se payer, et de propulser les projets de recherche et d’innovation industrielle.

Dans le reste du Canada

L’Université du Manitoba offre également des programmes de premier cycle en études quantiques. Aux cycles supérieurs, on compte plus de 25 programmes universitaires canadiens permettant de mener des activités de recherche en sciences quantiques.

En Ontario, on mise beaucoup sur les matériaux quantiques et les programmes de recherche collaborative, que ce soit avec l’Europe, ou encore entre disciplines (le quantique avec la chimie, le génie, les mathématiques…). En Colombie-Britannique, À l’Université de Victoria et l’Université Simon Fraser, un programme permet aux étudiants à la maîtrise et au doctorat en physique et astronomie d’acquérir une expertise technique en lien avec les appareils et logiciels d’informatique quantique, et d’être vite exposés aux notions de commercialisation. L’Université Simon Fraser est aussi réputée pour son Laboratoire de technologie quantique de silicium, dont la vocation principale est la conception de technologies quantiques à base de silicium. Ces dernières peuvent entre autres servir à fabriquer un ordinateur ou des capteurs quantiques, ou encore à établir un système de communication quantique.

À écouter :

Chronique de la rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, à l’émission Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première : « Le Canada contribue-t-il au développement des ordinateurs quantiques ? » – 16 février 2023

À lire également :

https://www.cscience.ca/2023/01/24/un-superordinateur-quantique-au-quebec-loutil-revolutionnaire-et-cle-de-la-transformation-numerique/

Crédit Image à la Une : Dario Gil, Jay Gambetta et Jerry Chow tenant la puce IBM Osprey de 433 qubits