[ÉDITO] Le journalisme scientifique de solutions : essentiel pour regagner la confiance de la population

[ÉDITO] Le journalisme scientifique de solutions : essentiel pour regagner la confiance de la population

En pleine transformation, le monde fait face à de grands bouleversements, tels que l’entrée de nouvelles technologies innovantes sur les marchés national et international. De manière démocratisée, des outils sophistiqués se déploient à grande échelle. À la portée de tous, ils deviennent des instruments puissants, dont on ne contrôle pas toujours les retombées. Ces sujets pointus font alors l’objet de grands débats de société sur lesquels nous, journalistes spécialisés, en chiens de garde de la démocratie et de la vulgarisation scientifique, devons à tout prix nous pencher.

ChatGPT et la désinformation

La montée de la désinformation sur les réseaux sociaux ne date pas d’hier. Mais l’avènement d’une nouvelle ère d’assistants en intelligence artificielle pour générer du contenu ou répondre aux questions des internautes n’est pas sans en alimenter les canaux de diffusion. Depuis son déploiement, ChatGPT sème la controverse et l’inquiétude. Si ses vertus encyclopédiques et son modèle de langage en font un puissant outil de brainstorming (remue-méninges), de soutien à la recherche et à la réflexion, l’outil conversationnel d’Open AI s’impose également comme agent de transformation important, dont les forces, mais aussi les faiblesses et les nombreux biais, affectent déjà plusieurs secteurs de notre économie, dont celui des médias.

« Au regard des limites actuelles de l’outil, on se dit qu’on en est encore bien loin de pouvoir compter sur les robots pour livrer l’information ‘vérifiée’ à laquelle on s’attend de la part des journalistes. »

On s’inquiète tantôt des possibilités de triche que ChatGPT amène, tantôt de la désinformation qu’il amplifie, ses réponses étant souvent inexactes. Mais dans le monde de la création de contenu littéraire et de la presse, on tente de prévoir quand une horloge conceptuelle sonnera pour marquer la fin de nos emplois. Au regard des limites actuelles de l’outil, on se dit qu’on en est encore bien loin de pouvoir compter sur les robots pour livrer l’information « vérifiée » à laquelle on s’attend de la part des journalistes. N’empêche, la réflexion qui anticipe la fin du « vrai journalisme » est plus présente que jamais dans nos esprits, et la crise existentielle que vivent actuellement les médias traditionnels n’est rien pour rassurer la presse en ce sens, et encore moins ceux qui en consomment le contenu dont ils valorisent la qualité journalistique.

Un journalisme de confiance

Loin de moi l’idée de tomber dans la victimisation, au contraire. Je suis consciente de la teneur du message envoyé par la population aux médias lorsqu’elle nous témoigne une baisse de confiance. Je sais aussi qu’il faut savoir se remettre en question, collectivement.

Dans sa revue annuelle, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) nous rappelle que « Depuis quelques années déjà, la confiance envers les médias et les journalistes est en chute libre au Québec et dans plusieurs pays à travers le monde ».

Dans une édition précédente, la FPJQ déplore le manque de formation scientifique des journalistes, à qui incombe pourtant, depuis plus de trois ans, la tâche de vulgariser l’évolution de la crise sanitaire. Elle reproche également aux médias le fait d’avoir trop dépendu des mêmes instances, et d’avoir accordé un monopole aux mêmes intervenants et experts pour mener le débat et la couverture journalistique de la pandémie. Elle n’a pas tort.

Selon le Digital News Report de l’Institut Reutors, en 2022, le taux de confiance de la population canadienne francophone à l’égard des médias de l’information a atteint son plus bas depuis 2016, soit 47 %.

D’un côté, il faut reconnaître que si l’on parvient à faire avancer le débat public sur des sujets comme l’IA de confiance, c’est bien grâce aux médias, et plus particulièrement grâce à ceux qui se spécialisent, se positionnent et relèvent d’un journalisme dit « de solutions », comme le fait CScience en tant que « média des solutionneurs ». De l’autre, je conçois et constate que le manque de sens critique, le manque de diversité et le règne de la pensée unique, qui envahissent l’écosystème des médias traditionnels, contribuent à ternir notre image et à effriter la confiance qu’on porte au journalisme.

« Aujourd’hui, il ne suffit plus de se demander jusqu’où l’IA et les nouvelles technologies iront, mais bien comment la société s’y prépare. »

Des journalistes de solutions

Si la population se méfie de l’information que nous lui communiquons, elle témoigne également d’une perte de confiance à l’égard de l’innovation technologique et du progrès scientifique, renforcée par les préoccupations engendrées par ChatGPT et Google Bard. Les résultats d’un récent sondage Léger révèlent que le quart de la population canadienne estime que les outils en IA sont « mauvais pour la société ». Bien souvent, cette méfiance à l’égard des nouvelles technologies s’accompagne d’un manque de littératie et de connaissances.

Aujourd’hui, il ne suffit plus de se demander jusqu’où l’IA et les nouvelles technologies iront, mais bien comment la société s’y prépare. Les journalistes de notre rédaction ont justement pour mission de répondre à ces questions, de traiter d’enjeux propres à l’innovation technologique et à ses retombées sociales, économiques, environnementales, sanitaires et culturelles, selon une perspective qui répond à l’anxiété généralisée d’une société en pleine transformation. Cette panique générale se manifeste de manière très palpable aujourd’hui par l’adoption des nouvelles technologies et l’appréhension quant à leurs effets révolutionnaires.

« (Le journalisme de solutions) doit offrir une solution à un problème, faire l’examen détaillé et critique de cette solution, en démontrer l’efficacité ou les limites, en décrire les résultats, et fournir des informations utiles qui pourront servir à d’autres. »

Chaque semaine, je vois nos journalistes s’attaquer à des problèmes et enjeux plus grands que nature, qui intimident les généralistes les plus aguerris, sachant pertinemment que s’ils ne le font pas, le « progrès » risque de se faire sans tenir compte du son de cloche des principaux concernés : les citoyens.

Dans un billet datant de septembre 2021, la FPJQ fait état du « mariage évident » qui lie le journalisme de solutions au journalisme scientifique, et en rappelle les critères : ce type de journalisme doit offrir une solution à un problème, faire l’examen détaillé et critique de cette solution, en démontrer l’efficacité ou les limites, en décrire les résultats, et fournir des informations utiles qui pourront servir à d’autres.

« Sans des journalistes pour mobiliser plusieurs experts, recueillir différents points de vue, poser les questions qui vous préoccupent, suivre l’évolution d’un dossier et creuser un sujet jusqu’à en maîtriser la vulgarisation, que seraient la démocratie et la liberté de choisir, en tant que consommateurs, en tant qu’utilisateurs et citoyens, de manière éclairée ? »

Sans des journalistes pour mobiliser plusieurs experts, recueillir différents points de vue, poser les questions qui vous préoccupent, suivre l’évolution d’un dossier et creuser un sujet jusqu’à en maîtriser la vulgarisation, que seraient la démocratie et la liberté de choisir, en tant que consommateurs, en tant qu’utilisateurs et citoyens, de manière éclairée ?

C’est par l’échange, l’éducation et l’analyse critique que passent l’éveil des consciences et le renforcement de la littératie, grâce aux efforts inconditionnels d’une rédaction indépendante, de journalistes spécialisés et engagés, œuvrant dans l’intérêt de la population. C’est grâce à des émissions où l’on ne craint pas le débat, comme nos rencontres C+Clair, pilotées habilement par notre animateur, également fondateur et directeur de publication de CScience, Philippe Régnoux, que le pont se crée entre innovateurs, décideurs et citoyens, pour nourrir la réflexion collective. C’est ce qui assure une participation active de la population au développement responsable des technologies qui façonnent le monde d’aujourd’hui et de demain. Cet équilibre des pouvoirs, nécessaire à l’évolution saine de l’écosystème de l’innovation et de nos sociétés démocratiques, dépend de la transparence, de la transmission et de la vulgarisation de la science auprès de la population, qui relèvent du mandat de notre rédaction, dans un contexte de proximité avec les communautés, et de sensibilisation réelle à leurs enjeux.

Crédit Image à la Une : Jonathan Chodjaï