ChatGPT : un professeur de sciences politiques encourage ses étudiants à l’utiliser

ChatGPT : un professeur de sciences politiques encourage ses étudiants à l’utiliser

Alors que des établissements d’enseignement interdisent les outils conversationnels dotés d’une intelligence artificielle comme ChatGPT, des enseignants ont plutôt choisi de l’inclure à leur programme. Portrait d’une expérience qui s’est avérée concluante au cégep de l’Outaouais et qui risque de se répéter dans le futur pour un professeur de sciences politiques.

Pierre-Luc Vallée est de ceux qui ont fait le choix d’apprendre à connaître ChatGPT. Comme enseignant en sciences politiques au cégep de l’Outaouais, il donne, pour la session d’hiver 2023, le cours Actualité politique internationale. Ce cours est disponible à la quatrième session pour les étudiants qui souhaitent le choisir durant leur cursus scolaire.

En temps normal, M. Vallée débute le programme en questionnant ses élèves, lors des premières séances, afin de savoir quelles sont leurs connaissances en politique internationale. « D’habitude, c’est un tour de classe pour que les étudiants me disent ce qu’ils savent. Évidemment, c’est un cours d’introduction, donc ils savent peu de choses. »

« (…) j’ai donné une tâche à mes étudiants. Je les ai séparés en équipes et ils devaient aller chercher, par eux-mêmes, de l’information à partir de ChatGPT sur différents dossiers. »

– Pierre-Luc Vallée, professeur de sciences politiques au cégep de l’Outaouais

Or, ses plans ont dû changer pour la session actuelle. « Je devais m’absenter pour une formation, et plutôt que d’annuler mon cours, j’ai donné une tâche à mes étudiants. Je les ai séparés en équipes et ils devaient aller chercher, par eux-mêmes, de l’information à partir de ChatGPT sur différents dossiers. » C’est ainsi que les petits groupes ont questionné l’intelligence artificielle afin d’en apprendre davantage sur des thèmes comme la Guerre froide, les Nations Unies ou encore le mouvement de colonisation et de décolonisation. Au terme de cette recherche, chaque équipe se devait de présenter à la classe un exposé oral lié au sujet choisi.

Apprentissage interactif

Selon les commentaires recueillis auprès des étudiants et en lien avec ce qu’il a pu observer comme travaux, Pierre-Luc Vallée estime que l’utilisation de ChatGPT dans son cours a apporté des retombées positives. « Les étudiants m’ont dit qu’ils comprenaient mieux la matière. Parfois, en posant des questions sur un sujet précis, on a tendance à se rappeler davantage de ce qu’on a lu que si, par exemple, je faisais faire une lecture », dit-il.

57%, ce serait la proportion d’élèves français de 14 à 16 ans qui aimeraient que leur école utilise davantage l’IA dans les 5 prochaines années

– Étude de GoStudent

Les étudiants du cours d’Actualité politique internationale du cégep de l’Outaouais ne sont d’ailleurs pas les seuls à être intéressés par l’apprentissage à l’aide de nouveaux outils. Une étude européenne réalisée par GoStudent et dont les résultats ont été publiés le 1er mars dernier indique que plus de la moitié des élèves français de 14 à 16 ans (57%) aimeraient que leur école utilise davantage l’intelligence artificielle dans les cinq prochaines années. Ils estiment à 74% que leur apprentissage serait facilité par davantage d’interactivité et de cours personnalisés.

La directrice de la croissance chez GoStudent, Laura Warnier, estime que cet engouement est une occasion de redonner le goût de l’apprentissage à une génération qui est habituée à travailler avec des moyens technologiques. « Notre étude révèle qu’un tiers des jeunes à travers l’Europe ont du mal à se concentrer quand ils étudient, car ils trouvent le programme scolaire ennuyeux. » Elle ajoute que d’utiliser des solutions d’apprentissage innovantes peut permettre de redonner « de l’intérêt à ces jeunes, qui se préparent aussi à vivre dans un monde de plus en plus lié aux nouvelles technologies ».

Informations fiables et non biaisées ?

Quant à la fiabilité des informations données par ChatGPT, Pierre-Luc Vallée indique qu’« en termes de faits, c’était relativement exact. J’avais fait quelques recherches de mon côté avant les étudiants pour voir ce qu’il en était. Pour le conflit israélien, ChatGPT va faire la recension des moments forts : l’idée des deux États en 1948, la Guerre des Six jours… Au niveau factuel, c’est tout à fait exact. »

« J’ai tendance à dire que (ChatGPT) ne peut qu’augmenter le niveau de réflexion, amener les étudiants à un niveau plus élevé que dans le passé. »

– Pierre-Luc Vallée, professeur de sciences politiques au cégep de l’Outaouais

Il semble également que le logiciel refuse de prendre position sur des enjeux comme la Guerre froide. M. Vallée décrit que « certains étudiants se sont essayés et ont rapporté les résultats qu’ils ont obtenu. Ils ont demandé ‘qui avait raison dans la Guerre froide ?’ et ChatGPT a nuancé et indiqué que c’était une période où les deux idéologies croyaient avoir la bonne vision. Il ne prenait pas de position comme telle. »

Ainsi, pour l’enseignant, c’est plutôt dans un cadre de recherche que de tels outils devraient être utilisés. Il estime que sur le plan pédagogique, les connaissances des élèves pourraient en être bonifiées. « J’ai tendance à dire que ça ne peut qu’augmenter le niveau de réflexion, amener les étudiants à un niveau plus élevé que dans le passé. Parce que si vous me présentez un travail et que je suis capable d’avoir la réponse en dix minutes sur ChatGPT, quel est l’intérêt de votre travail ? »

Préoccupations

Même s’il est satisfait des résultats obtenus auprès de ses élèves dans le cadre de ce travail, Pierre-Luc Vallée est conscient que l’outil pourrait comporter des risques à certains niveaux. « Évidemment, il y a tout le côté plagiat et paresse intellectuelle que ça pourrait engendrer, mais j’essaie d’être plus optimiste, et j’ai l’impression qu’avec l’expérience que j’ai menée avec mes étudiants, ça ouvrait leur sens critique et ça permettait d’établir une base de connaissances pour l’ensemble des étudiants. »

Pour les collègues de M. Vallée, le sujet est une source de préoccupations, à tel point que certains comités composés d’enseignants et de conseillers pédagogiques – qui n’étaient plus sollicités – ont été actualisés pour aborder l’utilisation des outils d’intelligence artificielle dans le cadre collégial. « Je siège à la Commission des études et on va se pencher sur la question. On a décidé, en raison de ChatGPT, de réactualiser le comité sur les Technologies de l’information dans un cadre d’enseignement. On a aussi actualisé le comité sur la fraude scolaire pour tenir compte de cette nouvelle réalité », dit M. Vallée.

À refaire ?

Questionné à savoir s’il compte refaire l’exercice de recherche proposé à l’hiver 2023 lors de sessions éventuelles, Pierre-Luc Vallée répond par l’affirmative. Il indique que l’outil pourrait également s’avérer intéressant « dans le cours Introduction à la vie politique, soit le premier cours du parcours collégial des étudiants arrivant du secondaire à porter sur la politique. »

À son avis, les nouveaux cégépiens pourraient alors poser des questions précises sur des concepts, tels que la Révolution tranquille ou encore la Grande noirceur. « Cela pourrait leur donner une base avant d’entrer dans la politique active, et leur permettre d’être capables d’analyser la politique québécoise et canadienne. »

Crédit Image à la Une : Pierre-Luc Vallée a incité ses élèves à se servir de ChatGPT dans son cours au cégep