[Entrevue : Myrielle Robitaille] Québec « a le moyen de ses ambitions » pour une transition écologique réussie

[Entrevue : Myrielle Robitaille] Québec « a le moyen de ses ambitions » pour une transition écologique réussie

À l’occasion de la journée internationale des femmes, et en hommage à leur apport et leur innovation en tant que scientifiques et actrices de changement, CScience s’est entretenu avec une femme au parcours inspirant et qui œuvre pour la transition écologique du Québec.

Au Québec, le secteur de l’énergie n’évolue pas de façon aussi rapide et souhaitable que ses ambitions climatiques le commandent. Les changements tardent à se faire, alors que le besoin d’agir pour préserver la planète se veut de plus en plus criant.

CScience s’est entretenu avec Myrielle Robitaille, ingénieure et experte en énergie chez Sia Partners, une société de conseil de management en intelligence artificielle. Ayant pas moins 15 ans d’expérience dans les secteurs de l’environnement, de l’énergie, de l’efficacité énergétique, du transport et des bâtiments durables, Mme Robitaille aborde les défis quant à l’atteinte des objectifs climatiques du gouvernement Legault, et quant à la place des femmes dans le monde des STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), où plusieurs jouent déjà un rôle clé pour mener la transition écologique et énergétique.

Le plan environnemental du gouvernement du Québec est-il inatteignable?

« On est excessivement bien positionné au Québec pour faire lieu de leadership dans le monde au niveau de la transition environnementale. Cependant, c’est la vitesse à laquelle on va atteindre [les objectifs du gouvernement] qui n’est probablement pas la bonne », lance l’ingénieure, d’entrée de jeu.

Plus de 98% des énergies québécoises sont renouvelables – une statistique qui, pour Mme Robitaille, illustre que la province « a le moyen de ses ambitions ». Cependant, les pertes énergétiques nuisent considérablement à l’atteinte des objectifs du Plan pour une économie verte (PEV 2030) du gouvernement Legault, qui vise à réduire les émissions de GES de 37,5% d’ici 2030, entre autres.

« Au Québec, on a tout ce qu’il faut, dont les réseaux énergétiques, pour atteindre nos cibles, mais on gaspille la moitié (49%) de notre énergie. On ne fait pas attention, et pourquoi ? Parce qu’elle ne coûte pas cher, qu’elle est abondante, qu’elle est verte. On peut se trouver plein de raisons et de justifications, mais en réalité, il y a beaucoup de pertes. »

-Myrielle Robitaille, ingénieure et experte en énergie chez Sia Partners

« Au Québec, on a tout ce qu’il faut, dont les réseaux énergétiques, pour atteindre nos cibles, mais on gaspille la moitié (49%) de notre énergie. On ne fait pas attention, et pourquoi ? Parce qu’elle ne coûte pas cher, qu’elle est abondante, qu’elle est verte. On peut se trouver plein de raisons et de justifications, mais en réalité, il y a beaucoup de pertes », mentionne Mme Robitaille.

Pour elle comme pour de nombreux chercheurs, le constat est clair : tant que le Québec maintient sa consommation actuelle d’énergie, l’atteinte des objectifs climatiques d’ici 2030 est irréaliste. Le rapport de L’état de l’énergie au Québec – édition 2023 de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie du HEC Montréal en arrive à la même conclusion. Le Plan prévoyait qu’en 2020, le taux d’émissions de GES de la province serait de 20% inférieur au niveau d’émissions de 1990. Québec n’a pas atteint sa cible, l’ayant dépassée de 12%. Les projections du rapport suggèrent également qu’en 2030, l’écart entre les objectifs du Plan et les émissions réelles de GES sera encore plus marquant.

« La carotte et le bâton »

Au-delà des pertes énergétiques, plusieurs experts québécois déplorent le manque d’initiatives encourageant les entreprises vers une transition écologique, tant sur le plan des subventions que sur celui des mesures punitives pour les entreprises moins écologiques. « Il faut définitivement une carotte et un bâton, et je crois qu’on pourrait être plus strictes à beaucoup d’égards. Oui, le gouvernement met en place quelques mesures incitatives, mais ce n’est pas suffisant, on n’y arrivera pas à temps, estime Myrielle. « Les bonnes entreprises qui vont être là dans le futur, ce sont celles qui n’attendent pas pour faire des changements ou qui vont utiliser une subvention pour amorcer le changement. Les subventions ne sont pas une raison de faire des projets, mais bien une raison pour motiver à les faire maintenant. »

« Les bonnes entreprises qui vont être là dans le futur, ce sont celles qui n’attendent pas pour faire des changements ou qui vont utiliser une subvention pour amorcer le changement. Les subventions ne sont pas une raison de faire des projets, mais bien une raison pour motiver à les faire maintenant. »

– Myrielle Robitaille, ingénieure et experte en énergie chez Sia Partners

Devant ces initiatives limitées, il apparaît nécessaire que les entreprises parviennent à trouver des solutions innovantes qui leur permettent à la fois d’optimiser leurs ressources et de contribuer à la lutte contre les changements climatiques. « Faire une transition énergétique ou environnementale, c’est aussi une solution à d’autres problèmes. Les entreprises ont tout intérêt à changer, non seulement pour aider à atteindre les objectifs climatiques, mais aussi pour améliorer leur productivité, puis devenir des entreprises hyper compétitives sur la scène mondiale », explique-t-elle.

Réduire les pertes énergétiques et prendre part à des projets pour l’environnement peut permettre à une entreprise d’améliorer ses processus, sa gestion des ressources humaines, des ressources, tout en augmentant énormément sa productivité, rappelle l’ingénieure.

Un changement difficile

Une grande partie des entreprises ont conscience de l’importance de cette transition. La crise climatique aura des impacts économiques majeurs sur les compagnies, notamment quant à l’augmentation du prix de l’essence, et les gestionnaires d’entreprises en sont bien conscients. « La plupart des entreprises sont convaincues qu’elles vont devoir changer. Souvent, c’est plutôt qu’elles ne savent pas comment y arriver ni par où commencer », affirme Myrielle.

Selon elle, la première étape pour amorcer cette transition au sein de l’entreprise est que celle-ci se connaisse bien. Quelles sont nos ressources humaines et nos processus ? Comment peut-on les améliorer et les optimiser ? Quelle est notre culture d’entreprise, nos compétences, nos capacités, nos chaînes logistiques, et à quoi ressembleront ces aspects dans 5 ans ? Le but est de trouver des réponses à ce type de questions, afin que l’entreprise identifie à quel endroit elle se situe, quels sont ses enjeux et où elle souhaite aller.

Ensuite, il s’agit de créer des tables de concertation, réfléchir à la possibilité d’inclure de l’IA au sein de la compagnie, se faire aider par des personnes qui ont réussi à mener un projet vers une transition écologique, et consulter des experts qui peuvent répondre à des interrogations permet l’amorce du projet.

L’inclusion des femmes : un défi persistant

Les enjeux environnementaux ne sont pas les seuls défis auxquels fait face le monde des STIM. Bien que la présence des femmes soit de plus en plus marquée dans le milieu, elles demeurent souvent assez minoritaires. Notons qu’au Canada, seulement 23% des travailleurs en sciences et de la technologie sont des femmes.

« La diversité est importante pour l’innovation », souligne Mme Robitaille. L’éducation des jeunes filles, particulièrement au secondaire, lui apparaît comme l’une des pistes à observer afin d’attirer plus de femmes vers les STIM : « Au primaire, on voit des concours comme Expo-sciences et on dirait que les jeunes filles se font plus confiance, puisqu’elles se projettent moins dans le futur. Au secondaire, il y a une grosse recherche sur l’entité auprès des jeunes femmes, qui se fait parfois au détriment de leur propre passion, de leur propre intérêt. »

« Plus il va y avoir de modèles, plus les filles vont s’intéresser et se projeter dans les métiers (liés au STIM). »

– Myrielle Robitaille, ingénieure et experte en énergie chez Sia Partners

Comme solution, l’ingénieure avance l’idée que d’avoir plus de modèles féminins permettrait d’amener les jeunes filles à nourrir une plus grande confiance en elles-mêmes, et leurs chances d’évoluer dans les STIM. « Plus il va y avoir de modèles, plus les filles vont s’intéresser et se projeter dans ces métiers là. Donc, il faut en parler, il faut les présenter, il faut les souligner dans leurs accomplissements. » La création d’initiatives comme Place pour toi! de l’Ordre des ingénieurs du Québec peut aussi faire germer un intérêt envers les STIM chez les adolescentes.

Leur donner confiance à un jeune âge est crucial. Mme Robitaille note que plusieurs professionnelles du milieu peinent à croire en elles : « On a tous le même déficit de crédibilité quand on est jeune et qu’on entre sur le marché du travail. Les femmes, ça leur prend plus de temps de passer par-dessus ce déficit de crédibilité, et donc plus de temps à accéder à des postes de direction. »

Elle remarque aussi que le manque de modèles de femmes haut placées contribue à renforcer un certain cercle vicieux, qui nuit à l’assurance des femmes et à leur capacité de décrocher ces postes.

On observe quand même un immense progrès quant à l’inclusion des femmes en STIM. Aujourd’hui, la présence de femmes choque moins qu’autrefois, mais leur succès étonne toujours. « Ça fait encore les nouvelles quand une femme obtient un poste de pression, remporte un certain prix, crée une ligne de code ou fait de très grandes découvertes. Essayons de normaliser le fait qu’une femme puisse réussir en science », conclut Myrielle Robitaille.

Crédit Image à la Une : Myrielle Robitaille