L’importance de valoriser la littérature scientifique francophone et sa découvrabilité

L’importance de valoriser la littérature scientifique francophone et sa découvrabilité

L’anglicisation de la science ne date pas d’hier. Depuis des décennies, on remarque une forte propension des francophones à faire leurs recherches en anglais, que ce soit dans le cadre de leurs propres travaux académiques, ou d’achat en ligne en tant que consommateurs. Bien que l’essor des plateformes numériques contribue aussi à favoriser l’accès démocratisé à la connaissance, l’omniprésence de la littérature anglophone sur ces tribunes nuirait au rayonnement de l’innovation québécoise et à la découvrabilité de ses contenus scientifiques.

Au Québec, seulement 21 % des articles scientifiques dans des établissements francophones sont en français, selon le Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur, et seulement un enseignant universitaire sur deux pense qu’il est important de publier en français, selon un récent rapport du Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.

En plus d’être un moteur de croissance économique, au chapitre de l’épanouissement du savoir-faire scientifique local, la valorisation de la culture francophone en recherche serait un atout considérable pour susciter l’intérêt de la relève scientifique et lutter contre la désinformation.

0,6 %, c’est la proportion d’articles scientifiques québécois publiés seulement en français

– Observatoire des sciences et des technologies

Or, malgré une communauté forte de 320 millions de personnes réparties sur les cinq continents, la Francophonie se heurte, en science, au manque de reconnaissance, de possibilités d’avancement de carrière, de diffusion, de littératie numérique et de dialogue entre le milieu scientifique et la société. Au Québec, elle souffre également du manque d’échanges collaboratifs entre la province et l’international.

Cette sous-représentation fait écho aux enjeux liés au retard d’adoption que connaissent les innovations québécoises au sein des petites et moyennes entreprises, lorsqu’on sait que seulement 5 % de leurs investissements sont consacrés au développement de projets d’innovation, et ce, malgré un terreau fertile en recherche et développement au Québec.

Donner un nouvel élan à la science en français

Rémi Quirion lors du lancement de Les 101 mots de l’intelligence artificielle

Un rassemblement important

Pour répondre à ces enjeux, un forum organisé par les Fonds de recherche du Québec, sous le leadership du scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, mobilisera la grappe de la recherche francophone, les 26 et 27 avril prochain au Palais des congrès de Montréal, afin d’explorer des pistes de solution pour donner un nouvel élan à la science en français. L’événement sera accessible gratuitement, en présentiel ainsi qu’à distance. « Des chercheurs et experts de partout à travers le monde, soit du Québec, du Canada, d’Europe et d’Afrique, échangeront sur les grands enjeux », tels que le libre accès aux publications scientifiques en français, la découvrabilité des contenus scientifiques francophones, et l’accessibilité aux formations scientifiques en français, promet le Scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion.

Un outil de référence en IA

Rappelons que le 19 janvier dernier, l’éditeur DataFranca.org a lancé, en partenariat avec les Fonds de recherche du Québec et l’Office québécois de la langue française, l’outil de référence Les 101 mots de l’intelligence artificielle. L’outil se veut un glossaire des mots incontournables en IA, offert en version physique et téléchargeable pour Android.

« Nous faisons face à une appropriation terminologique qui a pour effet de concentrer l’enseignement et la recherche en IA uniquement en anglais. Ce livre, avec son application téléchargeable, constitue un outil à promouvoir auprès de la communauté scientifique et étudiante, de même qu’auprès des organismes et entreprises œuvrant dans le domaine de l’IA ou utilisant les produits de l’IA », propose M. Quirion.

« Nous faisons face à une appropriation terminologique qui a pour effet de concentrer l’enseignement et la recherche en IA uniquement en anglais.

– Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec

Couverture du livre Les 101 mots de l’intelligence artificielle

Menée par Patrick Drouin, professeur de traduction à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, et Claude Coulombe, diplômé en physique et en informatique de l’UdeM, avec la contribution du chercheur émérite en IA, Yoshua Bengio de Mila, et Hugo Larochelle de Google, l’initiative vise à renforcer la compréhension et l’usage de termes et concepts francophones propres à l’IA auprès des entreprises, des fonctionnaires, du monde de l’enseignement et d’autres curieux désireux de s’éduquer en la matière.

« Nous avons bâti, ici au Québec, l’un des écosystèmes d’intelligence artificielle les plus dynamiques et enviés au monde. Alors que la technologie s’accélère toujours davantage, il devient de plus en plus important de développer des outils afin que l’IA puisse s’ancrer dans la réalité linguistique du Québec. Ce livre et les initiatives de DataFranca.org en la matière permettent de rendre disponibles ces termes très techniques à un plus grand nombre et ce, au bénéfice de la société entière », pense Yoshua Bengio.

« C’est important la rapidité de réaction, la flexibilité… Parce que, si l’on ne va pas assez vite, le terme anglais va s’imposer et après, ce sera très difficile de revenir en arrière et de défaire les habitudes », de compléter Claude Coulombe.

Le « paradoxe » relevant de la découvrabilité dans l’espace numérique

Quant aux obstacles à la découvrabilité des contenus scientifiques francophones et à leurs effets limitatifs sur le secteur de l’éducation, l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, se dit interpellé : « La question me terrorise, ne serait-ce que comme citoyen, comme Québécois, et comme parent. Je crains évidemment que nos enfants n’aient plus de référents culturels, faute d’occasions de les découvrir, et je salue le travail de Rémi Quirion, notre Scientifique en chef, qui fait des pieds et des mains pour favoriser l’épanouissement de la science en français. »

« Je crains évidemment que nos enfants n’aient plus de référents culturels, faute d’occasions de les découvrir (…) d’un autre côté, je trouve qu’il est très facile de faire des recherches en français, justement, avec les outils numériques disponibles. »

– Luc Sirois, Innovateur en chef du Québec

Selon M. Sirois, « il y a aussi un paradoxe », en ce que les outils numériques pourraient également permettre aux francophones de tirer leur épingle du jeu. « Parce que d’un autre côté, je dois dire qu’au travers de ma propre expérience, je trouve qu’il est très facile de faire des recherches en français, justement, avec les outils numériques disponibles. J’ai l’impression que lorsqu’on veut avoir accès à de la littérature scientifique en français, on le peut, et plus aisément que jamais, ne serait-ce que grâce aux outils de traduction. Pensons aux outils intelligents, qui permettent de traduire des affichages en français lorsqu’on se promène à l’étranger, ou encore, aux outils de traduction automatique sur les sites web. Si les Google Scholar et autres moteurs ou services de recherche numérique de ce monde, consacrés à la documentation académique et scientifique, intégraient de tels outils, la littérature scientifique francophone ne pourrait qu’en bénéficier ! », suggère l’Innovateur en chef, en entrevue avec CScience.

Mais qu’en est-il des retombées des outils conversationnels et encyclopédiques s’appuyant sur l’IA ? À en juger par les balbutiements de ChatGPT, qui nourrit sa base de données d’innombrable contenus francophones, sans pour autant leur donner le crédit, il convient de se dire que l’accès illimité à de tels outils favorisera celui à la connaissance, mais le fera sans doute au détriment de la propriété intellectuelle des chercheurs, qu’il soient francophones ou non.

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Crédit Image à la Une : Chloé-Anne Touma