[ÉDITORIAL] : L’une des plus grandes menaces planétaires n’est pas celle que vous croyez

[ÉDITORIAL] : L’une des plus grandes menaces planétaires n’est pas celle que vous croyez

Un récent rapport remis par l’organisme Génome Québec met en lumière les enjeux posés par la RAM, autrement dit la résistance aux antimicrobiens. Un phénomène sanitaire dont on parle peu, mais que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a tout de même classé parmi les dix menaces les plus inquiétantes au monde. A l’occasion de l’événement Effervescence sur les sciences de la vie, qui se tenait cette semaine à Montréal, plusieurs experts ont été invités à exposer les risques posés par ce fléau sanitaire mais aussi les solutions que peut apporter la génomique en la matière. 

Ce sont des chiffres qui font froid dans le dos : en 2019, près de 700 000 morts ont été causées par des bactéries ayant résisté aux antimicrobiens qui avaient été administrés aux patients ou faute de médicament adaptés.

D’ici 2050, du fait d’une résistance toujours plus accrue des bactéries et autres virus en raison des mutations génétiques en cours et si la recherche médicale n’évolue pas rapidement en ce sens, ce sont près de 10 millions de morts par an qu’il faudra déplorer ainsi qu’une dizaine de trillons de dollars en coûts.

Une menace bien réelle et telle que l’OMS, mais aussi le G7, le G20 et la Banque mondiale ont récemment tiré la sonnette d’alarme : si rien n’est fait par les gouvernements, la résistance aux antimicrobiens pourrait devenir l’une des plus grandes causes de mortalité dans le monde. A un niveau bien pire que celui rencontré durant l’épidémie de COVID 19.

Un fléau discret mais ravageur

Comme le rappelait notre rédactrice en chef dans son article de ce jeudi, et sur la base des études menées par le Conseil des académies canadiennes, la RAM de première ligne concernerait présentement 26 % des infections bactériennes au Canada. Une réalité qui exerce, il va sans dire, une pression significative sur un réseau de la santé déjà mal en point.

Cette résistance accrue des bactéries, virus, champignons et autres parasites aux médicaments existants qui, combinée aux épidémies causées par des pathogènes émergents, provoque un véritable casse-tête pour les autorités sanitaires du monde entier.

« (…) les financements accusent un tel retard en la matière que toutes les avancées possibles sur le papier sont vaines en réalité »

Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer ces mutations rapides des pathogènes : la prise excessive d’antibiotiques ou bien encore les zoonoses, autrement dit ce croisement plus fréquent entre humains et animaux dû à l’empiètement des zones habitées sur les régions sauvages.

Le Center for Disease Control and Prevention rapporte en effet que chez les humains, plus de six maladies infectieuses connues sur dix seraient d’origine animale, et trois maladies infectieuses nouvelles ou émergentes sur quatre proviendraient des animaux. Comme le souligne la directrice fondatrice sur Centre de résistance aux antimicrobiens de l’Université McGill, Dao NGuyen, « la RAM n’est pas qu’une affaire de santé humaine ; son évolution est intimement liée à la santé animale ainsi qu’à la qualité de l’environnement. »

Mobiliser les acteurs de la génomique

D’où la mobilisation d’un organisme comme Génome Québec, à l’origine d’un rapport de consultation intitulé « La surveillance et la lutte aux pathogènes et la résistance aux antimicrobiens », présenté cette semaine dans le cadre de l’événement Effervescence sur le futur des sciences de la vie au Québec.

« Si le financement public est dès lors sollicité pour mener à bien ce virage (…) les pharmas sont aussi appelés en renfort »

Car la seule arme efficace pour lutter contre la mutation génétique des bactéries reste celle de la recherche génomique. Or, tous les indicateurs sont unanimes : si la recherche dispose de nombreux outils pour répondre aux enjeux par la RAM, les financements accusent un tel retard en la matière que toutes les avancées possibles sur le papier sont vaines en réalité.

Le rapport de consultation de Génome Québec met ainsi en évidence et de manière alarmiste quatre recommandations prioritaires : 1) disposer d’un réseau de surveillance basé sur l’approche holistique et multisectoriel « une seule santé »; 2) favoriser la transdisciplinarité entre la santé humaine et animale; 3) développer une banque de données à grande échelle et l’exploiter à l’aide de l’IA; et 4) mettre en place un lieu d’échange et de co-construction autour de cet enjeu à l’échelle provinciale.

Plusieurs organisations sont déjà mobilisées au Québec : le MAPAQ a fait de la RAM une priorité pour les secteurs agricoles et vétérinaires, l’INSPQ une priorité émergente en santé public, des organisations non gouvernementales comme Génome Québec ou le CQDM l’ont identifié comme une priorité de recherche, et des centres de recherches tels que le MI4 de McGill, Mila ou IVADO ont déjà déployé des initiatives concrètes.

Reste qu’au Canada, la RAM est un mandat ministériel fédéral, et le financement public ne peut provenir que de ce palier gouvernemental.

L’industrie pharmaceutique appelée en renfort

Si le financement public est dès lors sollicité pour mener à bien ce virage, puisqu’il est à cette heure insignifiant eu égard aux risques encourus par la population – le dernier financement octroyé par le Fédéral il y a quelques années était de 30 millions alors que les besoins se chiffreraient actuellement à des centaines de millions par année -, les pharmas sont aussi appelés en renfort.

« (…) la RAM n’est pas qu’une affaire de santé humaine ; son évolution est intimement liée à la santé animale ainsi qu’à la qualité de l’environnement » – Dao NGuyen, Directrice fondatrice sur Centre de résistance aux antimicrobiens de l'Université McGill

Dans la mesure où l’intelligence artificielle démontre un réel potentiel pour révolutionner la découvertes de molécules en permettant la modélisation de composés « théoriques » susceptibles de prédire plus rapidement la présence d’un gène de résistance dans un pathogène, certains chercheurs tels que le microbiologiste Yves Brun se désolent de constater que les industries pharmaceutiques délaissent la recherche de nouveaux antibiotiques depuis plus de 40 ans, notamment en faisant fi de ces procédés innovants.

L’industrie pharmaceutique n’y voit pas un modèle d’affaires lucratif. Or, cette industrie reste un maillon essentiel de la chaîne pour compléter le travail de recherche en laboratoire en procédant aux essais cliniques et à la commercialisation.

Le défi moral posé à cette industrie visiblement plus avide de gains financiers que d’avancées sanitaires demeure la capacité à s’arrimer à la recherche académique pour en arriver à une utilisation homologuée de nouveaux médicaments antibiotiques, mais aussi de procédés thérapeutiques pour le moins révolutionnaires basés sur les adjuvants, les anticorps monoclonaux ou bien encore sur les phages.

Restera ensuite aux gouvernements de rendre accessibles ces solutions thérapeutiques au plus grand nombre. Le compte à rebours funeste est lancé.

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : CScience Média