Le rôle clé de l’enseignement supérieur dans le développement de l’innovation et de l’économie

Le rôle clé de l’enseignement supérieur dans le développement de l’innovation et de l’économie

« L’enseignement supérieur est indissociable de nos milieux de recherche et d’innovation », a lancé la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, le 5 mai dernier à l’Amphithéâtre de HEC Montréal, devant un auditoire de 400 intéressés de l’écosystème de l’innovation. Menés entre de grandes pointures, les échanges portaient sur le rôle crucial de l’enseignement supérieur dans le développement entrepreneurial innovant du Québec, ses forces mais aussi ses difficultés.

Le dévoilement attendu du rapport de l’OCDE

Luc Sirois et Isabelle Vézina, animant l’événement. (Photo : Chloé-Anne Touma)

Le 12 mai prochain, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dévoilera publiquement les conclusions de son rapport sur l’impact des établissements d’enseignement supérieur sur les écosystèmes entrepreneuriaux du Québec, suivant une étude menée au cours de la dernière année, soutenue par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) et le Conseil de l’innovation du Québec (CIQ).

Le contenu du rapport promet d’être révélateur quant aux forces du milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur en entrepreneuriat, mais aussi quant aux défis relevant du manque de synergie au sein de l’écosystème, à en juger par les faits saillants présentés vendredi dernier.

Les défis de la recherche en enseignement supérieur

La valorisation de la recherche en français

Animé par la nouvelle directrice générale adjointe du CIQ, Isabelle Vézina, en maîtresse de cérémonie, ainsi que par l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, qui orientait les discussions des tables rondes, l’événement du 5 mai a donc permis d’échanger sur les enjeux, constats et recommandations tantôt retenues, tantôt inspirées du rapport de l’OCDE, avant son dévoilement public prévu en marge du 90e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) — plus grand rassemblement scientifique multidisciplinaire de la francophonie.

« La communauté qui fait vivre cette recherche en français est vigoureuse, forte, et animée par le talent et la passion. Il revient à nous d’en reconnaître l’apport et d’en encourager l’action vive et essentielle. »

– Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas

« Il n’y a aucun doute dans mon esprit quant à l’apport de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’innovation et au développement économique du Québec. Il faut le rappeler : la communauté scientifique québécoise œuvre au quotidien pour l’avancement des connaissances et l’amélioration du bien-être des Québécois. Les découvertes et l’innovation, qui sont le fruit des chercheurs, améliorent le Québec d’aujourd’hui, et contribuent à (sa vigueur) sociale et économique », a entamé la directrice générale de l’Acfas, Sophie Montreuil, pour ouvrir la séance. « Le Québec recèle de talents scientifiques qui méritent notre plus grande reconnaissance et notre appui en faveur de leur déploiement », a-t-elle ajouté, avant de rappeler les « défis de taille » que connaît la recherche en français au Québec. « La communauté qui fait vivre cette recherche en français est vigoureuse, forte, et animée par le talent et la passion. Il revient à nous d’en reconnaître l’apport et d’en encourager l’action vive et essentielle. »

Sophie Montreuil. (Photo : Chloé-Anne Touma)

Le renforcement du maillage au sein du réseau

« Les questions auxquelles nous voulions répondre, grâce à cette étude, étaient les suivantes : comment les établissements d’enseignement supérieur collaborent-ils avec les décideurs pour développer une vision stratégique pour leur région ? Comment développent-ils la main-d’œuvre pour répondre aux besoins en matière d’innovation et d’entrepreneuriat de leur communauté ? Comment aident-ils les entreprises à répondre aux besoins d’innovation en matière d’entrepreneuriat pour leur région ? En enfin, comment la politique et les pratiques en enseignement supérieur devraient-elles soutenir et encourager les communautés et entreprises en matière d’innovation ? », a indiqué la ministre Déry.

Elle a soulevé que malgré la force de l’écosystème québécois de recherche en enseignement supérieur, « il reste beaucoup de travail à faire pour améliorer la synergie qu’il y a entre la recherche universitaire et le milieu de l’innovation, et entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises (…) les cégeps et les universités », etc.

« Au-delà des affinités naturelles, il faut définir des zones de consensus pour maximiser ces partenariats et la complémentarité entre les écosystèmes innovants et l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. »

– Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur

Au chapitre des solutions, la ministre a proposé de miser sur les zones d’innovation du Québec, et sur des leviers tels que l’accélérateur et OBNL Axelys, créé en avril 2021 par le gouvernement pour propulser le développement et le transfert d’innovations à haut potentiel issues de la recherche publique.

« Il y a tout un cycle de vie de l’innovation à prendre en considération jusqu’à l’identification du bon utilisateur, et de l’organisme qui pourra exploiter l’invention à potentiel d’innovation. La manière de faire évoluer l’innovation au travers de ce cycle de vie, chez Axelys, c’est de dépendre d’une équipe de plus de 40 courtiers d’innovation co-mandatés, en partenariat avec les institutions de recherche qui, elles, sont décentralisées et prennent le pouls local des communautés », a souligné le directeur général d’Axelys, Jesse Vincent-Herscovici.

La ministre a précisé qu’ « Au-delà des affinités naturelles, il faut définir des zones de consensus pour maximiser ces partenariats et la complémentarité entre les écosystèmes innovants et l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ».

« Il faudrait concentrer nos efforts sur l’intention de tirer profit des forces naturelles qui pourraient nous emmener plus loin. Prenons l’exemple du Centech. Son succès n’est pas horizontal. Il est très vertical et se focalise sur un créneau. »

– Frantz Saintellemy, Chancelier de l’Université de Montréal

Mais pour le Chancelier de l’Université de Montréal, Frantz Saintellemy, « Il faudrait concentrer nos efforts sur l’intention de tirer profit des forces naturelles qui pourraient nous emmener plus loin. Prenons l’exemple du Centech. Son succès n’est pas horizontal. Il est très vertical et se focalise sur un créneau. Autre exemple, à LeddarTech, même si l’on implique l’intelligence artificielle, on essaie de faire quelque chose qui ne relève pas du tout de notre champ de compétence, et c’est beaucoup plus difficile que de se contenter d’exploiter les filons qui font notre spécialité, comme l’aérospatial. »

Richard Chénier. (Photo : Chloé-Anne Touma)

« Actuellement, je pense que Polytechnique Montréal est maintenant l’université la plus représentée parmi les membres entrepreneurs desservis par le Centech, puisque nous comptons pas moins de 34 entrepreneurs. N’empêche, Polytechnique, Concordia, l’ÉTS, McGill et l’Université de Montréal y sont de proportions équivalentes, et nous en sommes très fiers puisque c’était l’objectif du Centech. Un rapport du ScaleUp Institute en Angleterre indique que pour 2 millions de startups créées en Europe, seulement 0,17 % deviendront des entreprises en hypercroissance, et qu’il faut dix à 15 ans pour qu’une entreprise passe du statut de startup à celui d’entreprise en hypercroissance. Cela veut dire qu’au Québec, il faudrait produire environ 1 500 startups par année pour espérer avoir 2,6 entreprises en hypercroissance par an. Donc, je pense aussi qu’il vaut mieux travailler à la verticale », de renchérir Richard Chenier, directeur général du Centech.

Mme Déry s’est dite « très heureuse de savoir que le Québec est le deuxième endroit au monde après la Suède a faire l’objet d’une étude de l’OCDE pour la réalisation de sa nouvelle plateforme, ‘Géographie de l’enseignement supérieur’ », puisque les références en la matière se font rares.

« Les liens entre acteurs de l’écosystème sont aussi importants que ses acteurs eux-mêmes, et ça, le Québec l’a bien compris. »

– Raffaele Trapasso, chef d’unité de l’éducation entrepreneuriale et des compétences à l’OCDE

« À l’OCDE, nous travaillons à deux niveaux : un niveau d’élaboration méditative, où l’on va établir les bonnes pratiques et standards, et un niveau où l’on fait un vrai travail d’investigation en allant dans différents états et nations pour mesurer l’écart entre leurs standards et ceux que nous avons identifiés. Mais dans le cas de la géographie de l’enseignement supérieur, nous n’avons pas encore atteint le niveau qui permet d’en définir les standards. Nous avons bénéficié du soutien du Québec, qui a développé des prototypes pour comprendre comment utiliser les établissements d’enseignement supérieur et leur capacité à générer la compétence entrepreneuriale, pour remplir les vides entre la recherche et l’innovation à l’échelle régionale et à celle des communautés territoriales », a d’ailleurs expliqué le chef d’unité de l’éducation entrepreneuriale et des compétences à l’OCDE, Raffaele Trapasso, connecté à distance en visioconférence. « C’est comme si l’on faisait à la fois une pizza, et le four pour la cuire ! », a décrit M. Trapasso, soutirant les rires de son auditoire.

Le premier constat de l’OCDE, qui fera l’objet d’une élaboration détaillée dans le rapport, est que « le Québec s’est doté d’une bonne stratégie en innovation et en recherche, et (que) c’est important de peupler les écosystèmes d’acteurs qui génèrent de l’énergie, mais aussi des liens. Les liens entre acteurs de l’écosystème sont aussi importants que ses acteurs eux-mêmes, et ça, le Québec l’a bien compris », a relevé M. Trapasso.

« On a constaté que la collaboration est vraiment ancrée dans l’écosystème des Québécois. On a vu que les entreprises situées dans un rayon allant jusqu’à 10 km d’un établissement d’enseignement supérieur étaient susceptibles de collaborer sur des projets de recherche et développement, et de bénéficier de ce qu’on appelle les ‘retombées de connaissances’ », a indiqué sa collègue, Giorgia Ponti, économiste et analyste des politiques à l’OCDE.

« Nous avons, dans la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2), misé sur le trio de l’innovation, visant à créer des ponts entre la recherche et le milieu académique, l’innovation et la commercialisation », de pointer le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, qui nuance toutefois ce portait : « On fait de belles choses au Québec, mais il ne faut pas nous asseoir sur nos lauriers ! »

Définir et cerner le rôle des établissements

Giorgia Ponti et Raffaele Trapasso. (Photo : Chloé-Anne Touma)

M. Trapasso a d’ailleurs ajouté que l’un des défis observés sur le terrain se rapporte au fait qu’il y a méprise sur le rôle des universités. « Il est difficile de comprendre le concept d’université ancrée dans sa communauté, et qui assure une co-spécialisation de la recherche, sans pour autant être une agence de développement régional, car ce n’est pas son rôle. Certes, elle doit conserver sa visibilité internationale, mais doit aussi garder un certain degré d’indépendance pour bien faire son travail.

Il a enfin souligné le manque de métriques, qu’il juge pourtant requises pour l’enseignement et le développement de compétences en entrepreneuriat. « Il n’y a encore ni définition, ni métrique pour bien cibler ce qu’est l’esprit entrepreneurial. »

« Pensons au domaine de l’intelligence artificielle, transversal dans tous les secteurs et régions. Nous avons une mission particulière propre à l’innovation sociale, car l’innovation est technologique et économique, certes, mais est d’abord et avant tout pour l’avenir de notre société. »

– Luc Sirois, innovateur en chef du Québec

Le bien commun

L’innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, a rappelé l’importance d’orienter l’innovation selon des visées sociales, et non pas seulement commerciales, tout en précisant que le mandat du CIQ s’inscrivait justement dans cette perspective : « Le Conseil de l’innovation a la mission de conseiller le gouvernement quant aux questions de l’innovation, en se fondant sur la science, les données et le savoir, et de contribuer à élaborer de nouvelles politiques et façons de développer l’innovation au sein de la société, des entreprises et organisations. Pensons au domaine de l’intelligence artificielle, transversal dans tous les secteurs et régions. Nous avons une mission particulière propre à l’innovation sociale, car l’innovation est technologique et économique, certes, mais est d’abord et avant tout pour l’avenir de notre société. »

Il y a quelques semaines, le CIQ a d’ailleurs été mandaté par le gouvernement d’organiser des forums de discussion avec des experts de l’intelligence artificielle et autres intervenants d’intérêt pour « coordonner une réflexion collective » visant le développement responsable et éthique de l’IA.

Les conditions des chercheurs

Frantz Saintellemy et Rémi Quirion. (Photo : Chloé-Anne Touma)

Mais la valorisation de la recherche entrepreneuriale ne passerait-elle pas aussi par une amélioration des incitatifs et des conditions de travail des chercheurs, quand on sait qu’en début de semaine, des milliers d’étudiants universitaires, stagiaires postdoctoraux et chercheurs ont manifesté dans les rues des grandes villes canadiennes en raison, notamment, d’horaires et de charge de travail incompatibles avec leurs salaires annuels, parfois aussi bas que 20 000 $ ? C’est la question qu’a adressée CScience aux panélistes.

« On a besoin de chacun d’entre vous », a entamé le scientifique en chef, en guise de réponse, s’adressant directement aux chercheurs. « Ça fait longtemps qu’on en discute avec les diverses instances et autorités, que ce soit au gouvernement du Québec, ou au fédéral, en disant qu’il faut commencer par bien investir en recherche fondamentale et non dirigée. Pour moi, c’est la base de tout. Il est certain qu’il faut augmenter nos investissements dans les conseils subventionnaires fédéraux, et offrir des bourses d’excellence avec un grand E pour soutenir les jeunes qui veulent faire carrière en recherche et en science. Au Québec, on a réussi un premier pas avec l’augmentation de la valeur de certaines de nos bourses. Mais il faut que vous continuiez et que l’on travaille ensemble pour s’assurer de ne pas sortir de la compétition mondiale, car si l’on se compare à l’international, on voit qu’on prend du retard. »

« Il y a un maillage à faire entre le milieu privé et la recherche. On y trouverait probablement de l’argent potentiel à redistribuer », a suggéré le Chancelier de l’Université de Montréal.

Pour lire le rapport complet de l’OCDE

Les conclusions du rapport de l’OCDE seront accessibles au public à partir de son site web, ainsi que de celui du CIQ, dès le 12 mai prochain.

Crédit Image à la Une : Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur du Québec. (Photo : Chloé-Anne Touma)