[ÉDITORIAL] : La plupart des villes du Québec utilisent leurs données numériques à l’aveugle

[ÉDITORIAL] : La plupart des villes du Québec utilisent leurs données numériques à l’aveugle

À l’occasion de l’événement « En Mode Solution » le 5 juin prochain à Montréal, qui réunira des acteurs du monde municipal, des experts des technologies urbaines et de la cybersécurité, la rédaction de CScience, avec l’aide de CScience Le Lab, des Fonds de recherche du Québec, et de la firme Bradley & Rollins, se penche sur la réalité actuelle de la gestion des données numériques dans les villes du Québec. Et un constat s’impose : si les villes québécoises s’en tirent bien dans la collecte des données, elles ne sont pas forcément toutes armées de la même manière pour les valoriser et les protéger adéquatement. 

Nos communes québécoises ne se considèrent pas en retard dans la collecte des données numériques. Du moins si l’on en croit les résultats d’une récente étude franco-québécoise, publiée au printemps dernier par l’observatoire français Data Publica, l’observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique, l’ENAP, firme IPSOS, et financée par les Fonds de recherche du Québec.

Cette étude portant sur près de 240 municipalités de toute la province, avec une majorité de répondants de villes de moins de 10 000 habitants –autant dire les petites et moyennes communes – nous apprend que la majeure partie d’entre elles (77 %) considèrent avoir une expertise avancée dans la collecte et l’hébergement des données numériques.

Elles se disent aussi très confiantes à 70 % dans le fait d’utiliser adéquatement les données numériques. Cependant, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, une écrasante majorité d’entre elles (91 %) avouent ne pas avoir recours aux connaissances scientifiques pour exploiter adéquatement ces données et concèdent ignorer, dans le même ordre de pourcentage, quelle est la Stratégie provinciale de transformation numérique gouvernementale.

Plutôt gênant, dans la mesure où cette stratégie est justement censée faciliter la transformation des données numériques par les administrations.

Dit autrement, cela revient à avouer que la majorité de nos villes utilisent leurs données… mais à l’aveugle.

Vers une souveraineté numérique des villes

Il va sans dire que cette situation pose problème à plusieurs niveaux. À l’heure où nos communautés sont confrontées à des défis d’ampleur liés aux transformations climatiques en cours ou bien encore à l’évolution démographique actuelle de nos populations, se passer d’une gestion plus efficiente, autrement dit plus scientifique, des données numériques revient à fragiliser la prise de décision collective.

Et ce dans un contexte où les transformations environnementales et sociétales nous obligent plus que jamais à une engager une adaptation éclairée des services apportés aux citoyens.

En Mode Solution | Mieux gérer et protéger les données municipales

Qu’il s’agisse de réduire les GES et d’optimiser la consommation d’énergie des immeubles dans nos villes – près de 90 % des immeubles engendrent encore une énorme quantité de données totalement inexploitées –, ou de mesurer la densité de la population et l’étalement urbain pour mieux orienter l’aménagement du territoire, sachant qu’au Québec encore 81 % des résidents utilisent leur voiture pour aller travailler, une meilleure gestion de nos données peut apporter des gains significatifs.

« Il est (…) impossible pour une collectivité de penser exploiter sainement ses données numériques pour améliorer les usages sans disposer de ressources formées pour les protéger adéquatement »

Rendre nos villes intelligentes, pour leur permettre de mieux s’adapter aux grands défis du moment, c’est avant tout permette aux villes de mieux se connaître et de décider en pleine connaissance de cause. On parle ici pour les villes de reprendre la maîtrise de leurs données pour assurer une meilleure souveraineté numérique. Cela passe indéniablement par une politique de données ouvertes.

Prendre conscience des risques

Mais cette politique a un prix. Celui de la sécurité. Là encore, si on ouvre l’accès aux données municipales, une gestion éclairée des risques apparaît des plus essentielles. La vulnérabilité des infrastructures face aux cyberattaques n’est plus à démontrer. Les cas récents de communes au Québec victimes de cyberprédateurs ont suffisamment fait les manchettes.

« (…) se passer d’une gestion plus efficiente, autrement dit plus scientifique, des données numériques revient à fragiliser la prise de décision collective »

Les cyberattaques contre les municipalités canadiennes ont coûté pas moins de 379 millions de dollars entre 2020 et 2022. Et ce chiffre, malheureusement, n’est pas près de décroître dans les prochaines années, surtout si rien ne change. Seule une connaissance approfondie du traitement des données numériques peut éviter la faillibilité des services à l’échelle municipale.

Or, c’est souvent un manque de sensibilisation et de formation des employés municipaux qui expliquent les conséquences parfois désastreuses des tentatives de cyberattaques.  Il est donc impossible pour une collectivité de penser exploiter sainement ses données numériques pour améliorer les usages sans disposer de ressources formées pour les protéger adéquatement.

Passer en mode solution

Formation du personnel administratif municipal, création dans les villes d’un poste de scientifique en chef comme l’a fait Victoriaville et comme envisage de le faire Longueuil, mutualisation des données entre communes et avec le soutien des MRC et des universités en régions : ce sont quelques-unes des pistes de solutions évoquées par les experts du milieu pour améliorer la situation.

« Rendre nos villes intelligentes, pour leur permettre de mieux s’adapter aux grands défis du moment, c’est avant tout permette aux villes de mieux se connaître et de décider en pleine connaissance de cause »

Certains d’entre eux seront des nôtres le 5 juin aux côtés de décideurs du monde municipal québécois pour évoquer tous les aspects concrets de la gestion scientifique des données et les meilleures pratiques en matière de protection face aux risques d’attaques.

En Mode Solution | Mieux gérer et protéger les données municipales

De quoi permettre à nos villes de tirer profit avec discernement du trésor numérique sur lequel elles sont souvent assises sans le savoir.

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : Unsplash