3 types d’initiatives qui réduisent le fossé numérique

3 types d’initiatives qui réduisent le fossé numérique

À l’ère de disparités numériques croissantes entre les groupes d’individus, l’urgence de développer les compétences des populations en littératie numérique, et de les rapprocher du fruit de la recherche et de l’innovation, est de plus en plus palpable. Pour répondre à cet enjeu, des initiatives se déploient au Québec pour réduire le fossé numérique à travers l’enseignement, l’équipement et la science ouverte.

Pour lire la version animée et interactive de cet article dans le magazine LES CONNECTEURS :

1. La formation – L‘acquisition de compétences numériques tôt dans le parcours scolaire, et tout au long du parcours professionnel

La majorité des chercheurs qui s’intéressent aux enjeux propres aux nouvelles technologies tiennent un discours véhément sur l’importance d’intégrer, tôt dans la scolarité des futurs citoyens et professionnels, l’apprentissage de notions et compétences numériques et technologiques, et de poursuivre cet apprentissage tout au long de leur parcours professionnel. Cela passe notamment par la mobilisation d’acteurs clés du réseau éducatif, tant à l’échelle ministérielle qu’au niveau des pédagogues, mais aussi d’entreprises innovantes, d’organismes externes et de fournisseurs de services spécialisés dans l’élaboration d’ateliers, d’outils et de ressources visant à rendre les nouvelles technologies du numérique plus accessibles, tout en inculquant les meilleures pratiques pour encadrer leurs usages.

Un jeu immersif et gratuit

Pensons à la plateforme « La techno dont vous êtes le héros », destinée aux jeunes de 13 ans et plus, qui leur fait découvrir pas moins de sept univers propres aux technologies : le numérique, le quantique, la chaîne de blocs, la cybersécurité, le métavers, l’intelligence artificielle et le Big Data. Fruit d’une collaboration entre CScience Le Lab (OBNL de CScience Média), Numana, le Centre de développement et de recherche en intelligence (CDRIN) et Cube Noir, l’expérience immersive, offerte sous forme de parcours interactif et ludique, vise à stimuler l’intérêt pour des domaines où l’innovation bat son plein, et à promouvoir la culture scientifique auprès des jeunes du secondaire. Un outil qui devrait être proposé dans les classes, intégrer les foyers, et intéresser aussi les plus vieux pour la manière dynamique et pertinente avec laquelle il amène et vulgarise les sujets technologiques de l’heure, centraux dans la révolution technologique qui bouleverse nos sociétés.

Réduire le fossé numérique auprès des aînés

Le centre communautaire l’Entraide Plus dessert une clientèle âgée de 50 ans et plus depuis maintenant 36 ans, en lui offrant un milieu de vie et de rencontre, et diverses activités dans le but de contrer l’isolement. Cet organisme de Chambly propose des repas, en livraison ou sur place, des cours et ateliers, de l’accompagnement aux proches aidants, du répit à domicile ou à la « halte répit » dans ses locaux pour les personnes âgées en perte d’autonomie. Depuis la pandémie, l’organisme offre aussi un service rare et précieux : les cours « Web Aînés » (maintenant « Web Aînés 2.0 »), pour familiariser les aînés avec l’usage d’Internet sur divers appareils.

« La fameuse fracture numérique existe vraiment. Les organismes doivent faire preuve de beaucoup de créativité pour arriver à se mettre à jour sur le plan technologique. Les ressources financières couvrent à peine les salaires, et lorsque nous parlons de financement à la mission, cela n’inclut jamais la technologie », a fait valoir Sylvie Blanchard, directrice générale de l’Entraide Plus, accompagnée au plateau de l’émission C+Clair par André Dussault, informaticien alors âgé de 82 ans, présenté comme étant « toujours aussi technophile ! » « C’est notre technicien en informatique depuis de nombreuses années, il nous fournit en matériel, et c’est grâce à lui qu’on a réussi à se maintenir à flot », avait souligné la directrice.

Des formations continues ou complémentaires

Un retard numérique peut se déclarer à toute étape de la vie professionnelle, commandant de suivre des formations pour renforcer sa maîtrise des nouveaux outils et entretenir une bonne hygiène numérique, qu’il s’agisse d’études plutôt longues, sinon de courts ateliers.

« Dans un monde qui évolue à toute vitesse, la formation continue est cruciale. Le Canada dispose d’un système éducatif de qualité, mais malgré cela, des efforts restent à faire pour combler son retard en matière d’éducation continue et de perfectionnement professionnel pour les travailleurs », remarquait justement notre expert Quentin Hibon, directeur du développement des affaires chez Mitacs, dans sa dernière chronique pour la plateforme CScience, rappelant que « seuls 55 % des travailleurs canadiens y participent ».

À plus court terme et à l’échelle des entreprises, opter pour des ateliers de formation, comme ceux offerts par Humanet ou encore CY-clic, dans des domaines tels que la cybersécurité, peut s’avérer utile au développement de compétences qui permettront de mieux se protéger contre la cybermenace et la désinformation.

2. La démocratisation des ressources et infrastructures – L’accès et le déploiement de ressources, aussi bien humaines que matérielles

Réduire le fossé auprès des jeunes Autochtones

Si le terme « fracture » peut sembler excessif pour qualifier les inégalités numériques, parler d’un « fossé », qui se creuse selon différents degrés d’intensité, s’impose naturellement pour illustrer la distance et le retard que prennent certaines organisations et communautés, passant à côté des bénéfices et capacités majeures de développement offertes, tantôt par les technologies de l’information et de la communication, tantôt par les solutions technologiques les plus avancées et disruptives.

Démocratiser le numérique auprès des organismes communautaires et autres clientèles mal desservies peut impliquer de lancer des projets collaboratifs visant à leur permettre de tester et de se familiariser avec les outils technologiques au sein d’espaces équipés des bonnes infrastructures.

Le Printemps numérique, réputé pour ses initiatives visant notamment à réduire la fracture numérique, s’illustre entre autres pour son engagement auprès des jeunes issus des communautés autochtones. « Les jeunes qui y vivent sont souvent éloignés des grands centres et disposent de trop peu d’opportunités pour s’approprier les outils numériques. Dans le contexte où les technologies évoluent très rapidement, il est important de leur offrir un meilleur accès aux technologies et des occasions d’explorer les possibilités du numérique », soutient l’OBNL, qui a remis un don de 5000 $ aux Espaces jeunesse des services sociaux N8wkika (prononcé Naonwkéka) du Conseil tribal W8banaki, à l’occasion d’un Café numérique à Odanak, le mois dernier. Se voulant des lieux de rencontre et de développement de projets adaptés aux besoins des jeunes, les Espaces jeunesse leur permettent de renouer avec leur culture et d’acquérir des compétences clés, en se familiarisant avec la technologie dans le cadre de diverses activités.

Les laboratoires vivants

Pensons également aux laboratoires vivants (ou « living labs »), ces espaces collaboratifs définis comme des écosystèmes d’innovation, ouverts et centrés sur la personne utilisatrice, qui permettent d’adopter une approche intégrant des méthodes de recherche et d’innovation axées sur la cocréation de solutions innovantes, développées au sein même des communautés et milieux réels auxquels elles sont destinées. Des échanges entre utilisateurs, citoyens et communautés scientifiques peuvent alors avoir lieu dans ces espaces ouverts afin de répondre aux besoins sociétaux mis de l’avant. « Un Living Lab offre aux usagers un accès gratuit à ses espaces afin de permettre à ces derniers de se familiariser avec l’usage de certaines technologies (réduction de la fracture numérique). Cette stratégie permet de faciliter le recrutement de communautés d’usagers », confirment UMVELT et Montréal invivo dans leur livre blanc de 2014 sur les laboratoires vivants.

« La nature du Living Lab est de mettre au cœur du processus la création, la conception, l’usager final », rappelait Geneviève Michaud, invitée au plateau de l’émission C+Clair produite et diffusée par CScience. En tant que directrice du Living Lab Lanaudière – poste qu’elle occupait à cette période -, elle expliquait comment l’initiative avait permis de développer un écosystème de soutien pour les personnes aînées de Lanaudière, afin de mieux les accompagner dans le continuum de soins et services sociaux de la région. « La nature d’un Living Lab, c’est de mettre au cœur du processus de la création, de la conception, l’usager final. Au départ, notre Living Lab émanait d’une réflexion relevant de la Corporation de développement économique de la MRC de Joliette, mais on s’est vite rendu compte qu’on devenait un levier très intéressant, justement, pour permettre un accès dé-risqué à de l’innovation. »

L’apport d’expertises et de ressources pour encadrer l’adoption des innovations en entreprise

Pour des milieux mieux positionnés, tels que des PME et employeurs voulant tirer le meilleur de ce que les technologies de pointe ont à offrir, sans pour autant disposer de l’expertise interne et du budget nécessaire, il s’agira de mettre des ressources, aussi bien humaines que matérielles, à leur disposition, et de les doter de modèles structurants pour accompagner et encadrer l’adoption de ces innovations. Ces défis ne sont pas étrangers aux recruteurs de talents en intelligence artificielle et autres domaines liés à l’innovation.

La volonté de rendre accessible l’IA à tous, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, fait partie des objectifs qui ont motivé le lancement du projet Numeria, propulsé par le Centre de Recherche Informatique de Montréal (CRIM). Le programme vise notamment à apporter un accompagnement dans l’acquisition de compétences nécessaires à la réalisation d’un projet en IA, afin de répondre à une demande de plus en plus croissante de travailleurs dans le domaine de l’apprentissage-machine.

Mitacs, un organisme sans but lucratif, aide à relever ces défis en mobilisant les talents ayant l’expertise requise, grâce à des travers de stages rémunérés, en partenariat avec les universités, le secteur privé et les gouvernements fédéral et provinciaux, dans des domaines liés à l’innovation industrielle et sociale.

3. La diffusion – Le rayonnement et l’accès aux savoirs issus de la recherche

Enfin, promouvoir et renforcer la culture scientifique, de même que l’éducation numérique, devrait passer par l’offre d’outils en libre accès qui font rayonner les savoirs francophones, via des médias, organismes, plateformes et bases de données ouvertes et sans frontières qui les diffusent.

Or, sur le web, à peine 6 % des contenus publiés sont francophones, et le français n’y est que la quatrième langue mondiale. « C’est alarmant, et illustre l’ampleur du défi, surtout dans un contexte de mondialisation où les plateformes des géants jouent presque un rôle de gouvernements mondiaux, et font peur à nos propres gouvernements nationaux », a déclaré la PDG de BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec), Marie Grégoire, lors d’une conférence tenue en ses murs le 19 mars 2024, se disant « d’autant plus inquiète quand (elle) constate le positionnement de Meta par rapport aux lois fédérales canadiennes (…) il y a urgence d’agir. Le Québec doit continuer d’être une société apprenante », a-t-elle martelé au passage, en référence à la disparition des liens de nouvelles sur Facebook suivant l’adoption du projet de loi C-18. « Il est important d’aller à la rencontre des publics et de les atteindre de nos contenus. On se désole du fait qu’il y ait un peu moins de 50 % des gens qui connaissent BAnQ. Il faudrait que 100 % des Québécois connaissent ses plateformes, ses lieux, et les contenus qui y sont mis à leur disposition », d’ajouter Mme Grégoire.

Le modèle d’Érudit : l’accès centralisé aux savoirs québécois

Érudit, fruit du consortium interuniversitaire formé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et L’Université du Québec à Montréal, et fondé en 2004, est aujourd’hui la principale plateforme ouverte de publication numérique et de diffusion des revues savantes, principalement en sciences humaines et sociales, au Canada. « Les trois quarts des fois où je parle à des journalistes, pour différentes raisons, ils me parlent d’Érudit, parce qu’ils réussissent à construire leur dossier par une bribe d’information, une porte d’entrée en Érudit, qui s’ouvre sur d’autres contenus et d’autres horizons qu’ils ne connaissaient pas. C’est ça, la découvrabilité », d’illustrer Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, très impliqué dans le développement d’Érudit et de BAnQ.

Selon Vincent Larivière, professeur en sciences de l’information à l’Université de Montréal, les revues de la plateforme Érudit « sont deux fois plus téléchargées en moyenne que celles de l’American Chemical Society, et six fois plus que celles d’Elsevier (…) 70 % des téléchargements des articles de revues de notre plateforme viennent de l’étranger. »

Une plateforme inédite qui suscite déjà l’enthousiasme du milieu

Il y a quelques mois, Sophie Montreuil, directrice générale de l’Afcas – un organisme à but non lucratif contribuant à l’avancement des sciences au Québec, dans la francophonie canadienne et sur la scène francophone international -, a annoncé que le lancement d’un projet de plateforme, qui devrait aboutir à la fin de l’année 2024 ou au début de 2025, s’attarde à la multiplication des points d’ancrage sur le web menant vers les contenus scientifiques en français. « On parle d’une base de données inédite, qui va créer des points d’ancrage pour 80 000 personnes, et qui va structurer et corréler toutes les informations des programmes des Congrès de l’Acfas tenus depuis 1930, contribuant ainsi à la trouvabilité et à la découvrabilité de contenus scientifiques francophones et des personnes qui y sont associées. » Produit d’une collaboration entre l’Acfas, BAnQ, le ministère de la Langue française et trois fournisseurs externes, l’outil intègrera, dans un deuxième volet relevant de l’interopérabilité, Érudit, « pour que les deux plateformes se parlent », de préciser Mme Montreuil, qui estime que la découvrabilité des contenus dépend de la capacité des plateformes à anticiper les transformations numériques et à s’y adapter, et qui sollicite l’implication du gouvernement pour assurer l’adoption d’un « langage commun » que partageront les plateformes, en vue d’optimiser les recherches et d’en obtenir « des résultats probants et fiables ».

[ÉDITO + ANALYSE] « Il y a urgence d’agir » pour la science et la culture en français