Si l’automatisation de tâches administratives, opérationnelles, créatives et intellectuelles, grâce aux outils d’intelligence artificielle démocratisés, a menacé bien des emplois, jusqu’à faire perdre des contrats d’affaires et d’embauche à des professionnels issus de différents secteurs, on prévoit aussi que l’IA offrira de nouvelles perspectives de formation, d’innovation et de professionnalisation, afin de répondre à de nouveaux besoins spécifiques.
Rien qu’en mai 2023, l’agence Challenger, Gray & Christmas a rapporté la perte de 3 900 emplois dans le secteur des technologies, attribuable à l’IA. Malgré l’annonce de licenciements massifs, et la disparition attendue de plusieurs emplois en raison de l’essor de l’IA, on constate déjà l’émergence de nouveaux besoins et de nouvelles compétences, favorable au développement d’expertises de plus en plus sollicitées en technologies, justement en intelligence artificielle.
Une autre enquête, menée à grande échelle par le cabinet PwC, dans son Baromètre mondial de l’emploi en IA 2024, révèle que pas moins de 69 % des dirigeants d’entreprise dans le monde s’attendent à ce que l’IA requiert de nouvelles compétences de la part de leurs salariés (« 87 % des PDG qui ont déjà déployé l’IA, selon l’enquête mondiale annuelle de PDG de PwC en 2024 »). On précise dans le rapport que « Les compétences demandées par les employeurs dans les professions plus exposées à l’IA évoluent 25 % plus vite que dans celles moins exposées ».
Au Canada, on compte plus de 25 000 postes demandant des compétences en IA, soit près d’1% des offres
– Baromètre mondial de l’emploi en IA 2024
Autres faits saillants : le nombre d’offres d’emploi en IA serait en croissance fulgurante, augmentant à une vitesse 3,5 fois supérieure à celle de l’ensemble des offres de recrutement. Il y aurait donc sept fois plus d’offres d’emploi exigeant des compétences spécialisées en IA qu’il y a dix ans. En 2015, ces emplois auraient connu une croissance dépassant celle de l’ensemble des offres, atteignant un pic en 2022. Selon le Baromètre de PwC, au Canada, on compte ainsi plus de 25 000 postes demandant des compétences en intelligence artificielle, ce qui représente près d’1% des offres.
Un bel horizon pour certains professionnels
1. Ingénieurs en IA
Avec l’essor de l’intelligence artificielle, on prévoit que plusieurs types d’ingénieurs deviendront indispensables pour répondre aux besoins complexes et diversifiés de cette technologie. Pensons aux ingénieurs en apprentissage automatique (machine learning), qui sont responsables du développement et de la mise en œuvre des algorithmes et des modèles d’apprentissage. Ce travail, qui exige des compétences avancées en mathématiques et en statistiques, est extrêmement intensif en termes de traitement et de calcul. De plus, les ingénieurs spécialisés en traitement du langage naturel (NLP) développent des algorithmes et des systèmes capables de comprendre et de traiter le langage humain. Ils doivent non seulement maîtriser la programmation, mais aussi avoir une solide compréhension de la linguistique pour mener à bien des projets tels que la traduction automatique et la compréhension contextuelle. Enfin, les ingénieurs en robotique conçoivent, développent et testent les logiciels nécessaires au fonctionnement des robots, souvent en intégrant l’IA et l’apprentissage automatique pour améliorer la performance des systèmes robotiques. Ils doivent veiller à ce que les robots, qui reposent sur des entrées sensorielles plutôt que sur des commandes humaines, fonctionnent correctement. Ensemble, ces ingénieurs jouent un rôle clé dans le développement et la mise en œuvre de l’IA à travers divers domaines, chacun apportant des compétences spécialisées pour relever les défis technologiques actuels et futurs.
2. Éthiciens de l’IA
L’éthicien en IA travaille sur le design des systèmes algorithmiques, afin qu’ils respectent la liberté et l’autonomie des individus. Son rôle est crucial dans le développement et l’application de technologies d’intelligence artificielle, en ce qu’il veille à ce que les systèmes soient conçus et utilisés de manière responsable et équitable. Au regard des enjeux relevant de la confidentialité, de la sécurité, des biais discriminatoires et de la responsabilité, soulevés à l’échelle des entreprises, nations et organisations mondiales en lien avec l’IA, de plus en plus omniprésente dans la vie quotidienne, les éthiciens seront des intervenants nécessaires à mobiliser pour l’élaboration de lignes directrices et de politiques d’encadrement.
3. Entraîneurs de l’IA
Avant de développer leur autonomie jusqu’à être utiles, les algorithmes de l’IA doivent être entraînés par des humains, des travailleurs qualifiés, qui doivent apprendre, par exemple, aux agents conversationnels destinés au service à la clientèle à répondre aux demandes de manière adéquate, de sorte que les éléments non humains paraissent plus humains.
4. Analystes en cybersécurité spécialisé en IA
Si l’IA trouve son champ d’application dans le secteur de la cybersécurité, notamment pour la détection des intrusions, elle profite malheureusement aussi aux cybercriminels, qui disposent d’outils plus sophistiqués que jamais pour déjouer et s’infiltrer dans les systèmes des entreprises. Des spécialistes, à la fois compétents en cybersécurité et possédant les compétences nécessaires pour utiliser l’IA contre les menaces de types rançongiciel et autres, seront de plus en plus en demande.
5. Simplificateurs et développeurs d’interfaces
Les modèles de langage étendus (LLM) étant complexes et très techniques, le simplificateur sera celui qui rendra l’IA facile à utiliser pour le grand public, concevant des interfaces intuitives, permettant aux utilisateurs d’interagir aisément avec les outils, un peu comme des « designers d’expérience utilisateur ».
« À l’avenir, il y aura une demande illimitée pour des écrivains et des influenceurs capables de fournir un contenu convaincant et accrocheur que les systèmes d’IA pourront absorber. »
– Christopher Briggs, vice-président senior de Mitek Systems
6. Analystes de prédictions et de recommandations d’IA
Bien que l’IA prédictive permette d’anticiper les conséquences de certains scénarios, et de faire des recommandations en fonction des situations analysées, elle ne peut être désignée pour prendre des décisions qui auront des retombées sur la sécurité des individus. Les propositions qu’elle fait pour orienter des choix d’importance capitale doivent ainsi être soumises au bon jugement humain. Des analystes capables d’interpréter, déceler certaines incohérences et trancher, auront la tâche d’assurer la prise de décisions éclairées et imputables, fondées sur les prédictions fournies par les modèles d’IA. De nouveaux rôles pourraient ainsi émerger en ce sens, dans des domaines comme la sécurité, l’action humanitaire, la psychologie et la justice.
7. Créateurs de contenu
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le créateur de contenu pourrait être sollicité pour renouveler et alimenter les bases de données sur lesquelles se fonde l’IA générative, afin d’en rendre le résultat moins banal et répétitif. C’est du moins ce que pensent certains experts du milieu du numérique, comme Christopher Briggs, vice-président senior de Mitek Systems, une société de logiciels spécialisée dans la vérification d’identité numérique et le traitement d’images mobiles utilisant l’IA. Il estime qu’ « À l’avenir, il y aura une demande illimitée pour des écrivains et des influenceurs capables de fournir un contenu convaincant et accrocheur que les systèmes d’IA pourront absorber ».
8. Analystes d’émotions et d’attitudes client en marketing
En marketing, les entreprises auront davantage besoin d’experts pour interpréter les blogs, publications, avis et autres contenus d’intérêt pour comprendre la façon dont les clients perçoivent les produits et services, notamment parce que ce serait « presque impossible » pour l’IA générative, qui manquerait de recul et « de contexte » sur le terrain émotionnel, pense Gregory Todd, expert Data, analyse de données et pratique de l’IA chez DXC Technology.
2 tendances
En se fiant toujours aux résultats du Baromètre de PwC, on remarque les effets positifs de l’IA sur la productivité au travail, dans les secteurs les plus ciblés par la mise en pratique de l’IA – les services financiers, les technologies de l’information et les services professionnels –, où elle est près de cinq fois supérieure à celle des autres milieux. Au Canada, on constate quand même que la moitié des travailleurs (contre 37 % à l’échelle mondiale) rapportent n’avoir jamais utilisé les outils d’IA générative au travail.
Des répondants à un sondage sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, mené pour le compte de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec (CCIQ), 23% se disent très inquiets ou assez inquiets face à l’adoption de l’IA dans leur organisation. Pourtant, tel que le rappelle le Mila – Institut québécois d’intelligence artificielles, seulement 6% des entreprises québécoises intègrent des applications de l’IA dans leurs processus d’affaires.
Les résultats d’une récente enquête sur l’innovation dans les entreprises au Québec 2024, dévoilés par le Conseil de l’innovation du Québec il y a quelques semaines, témoignent du même constat : en comparaison avec l’Ontario et la Colombie-Britannique, « le Québec accuse un retard en innovation de production » et « un retard en adoption technologique ». La province se démarque toutefois dans le développement de nouveaux produits et services, et l’innovation en gestion organisationnelle.
Le CIQ dresse un portrait plutôt positif de l’innovation de manière générale au Québec, pointant qu’entre 2022 et 2024, la proportion des entreprises ayant lancé au moins un projet d’innovation a bondi de 18 points de pourcentage, atteignant désormais 69 %. « Cette progression place le Québec au même niveau que l’Ontario (69 %) et la Colombie-Britannique (65 %). Les entreprises québécoises se distinguent particulièrement par l’amélioration de leur offre commerciale : 41 % ont développé ou amélioré significativement de nouveaux produits ou services, surpassant l’Ontario (35 %) et la Colombie-Britannique (39 %) », note le CIQ.
« Les résultats de notre enquête démontrent clairement que le Québec accélère en matière d’innovation. Bien que du travail reste à faire, cette progression impressionnante montre que de plus en plus d’entreprises comprennent l’importance d’innover et se mettent en action », a souligné l’Innovateur en chef et directeur général du CIQ, Luc Sirois.
« La SQRI2 (Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation 2022-2027) a placé le soutien à l’innovation au cœur de nos priorités. La tendance à la hausse de l’innovation par les entreprises, soulevée par la grande enquête du CIQ, confirme que le Québec prend ce virage », a quant à lui souligné Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, et ministre responsable du Développement économique régional.
[ENTREVUE] SQRI² : “Il faudra faire preuve de beaucoup de créativité”, selon Luc Sirois
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