Ce site Web contribue-t-il à la crise climatique? Face à l’impact grandissant des technologies numériques sur l’environnement, des groupes de programmeurs commencent à voir leur code en vert.
Pour lire la version originale et interactive de cet article dans la revue LES CONNECTEURS :
Lancé sur la question du numérique responsable, Alexandre Theve, gestionnaire de l’impact des technologies (Tech Impact Manager) chez Davidson, en a long à dire. « Le numérique a ce côté dissonant d’être à la fois quelque chose qui peut aider la transition, mais qui peut aussi la freiner, voire empirer les choses », note-t-il d’emblée. Pour faire pencher la balance du bon côté, il s’intéresse notamment au concept d’« écoconception ».
« Le numérique a ce côté dissonant d’être à la fois quelque chose qui peut aider la transition, mais qui peut aussi la freiner, voire empirer les choses. »
– Alexandre Theve, gestionnaire de l’impact des technologies chez Davidson
L’éco-quoi? « C’est une pratique informatique respectueuse de l’environnement, qui vise à minimiser l’énergie nécessaire au traitement des lignes de code et, par conséquent, à aider les organisations à réduire leur consommation globale d’énergie », définit IBM sur son site Web.
Car si le coût environnemental du numérique est de plus en plus connu, on se perd encore dans les nuances. La couverture médiatique de cet enjeu renvoie souvent à la fabrication d’appareils – ces téléphones qu’on remplace tous les deux ans – ou aux centres de données comme principaux coupables. Mais qu’en est-il de l’impact carbone des sites Web qu’on consulte quotidiennement? Voire, carrément, du langage de programmation utilisé pour coder une application?
Une étude de 2020 s’est justement posé la question – et a couronné le langage de programmation C grande gagnante de l’efficacité énergétique. Pourquoi, alors, le Web est-il encore dominé par PHP?
C’est là que l’écoconception prend toute sa pertinence, en venant ajouter aux discussions sur les outils à employer pour développer un produit numérique la variable de l’impact environnemental.
Numérique zéro déchet
Le mouvement de l’écoconception a vu naissance aux États-Unis il y a environ une décennie, porté par le World Wide Web Consortium (W3C), qui a lancé le Sustainable Web Design Community Group, un groupe « consacré à la création de sites web durables ». En France, le collectif Green IT, né en 2004, « fédère les experts à l’origine des démarches de sobriété numérique, numérique responsable, écoconception de service numérique et slow.tech ». Et au Québec? « On est en train de créer un collectif », le Collectif numérique responsable et soutenable (NRS), annonce Alexandre Theve.
Pour le moment, donc, quiconque souhaiterait décarboner son code doit se tourner vers l’international pour trouver des ressources. Bonne nouvelle : elles sont nombreuses, à commencer par des outils comme Ecograder, qui mesure la performance des sites Web. IEEE Spectrum l’a utilisé pour mesurer celle de la COP28, découvrant que chaque visite émet 3,69 grammes de CO2. C’est peu? Si le site reçoit 10 000 visites chaque jour pendant un an, le carbone émis équivaut à un vol entre San Francisco et Toronto. Voilà soudainement que ces jolies images au chargement un peu lent prennent une toute autre couleur.
De fait, pour Alexandre Theve, tout projet numérique doit débuter en se posant une question : « ce qu’on développe sera-t-il vraiment utile? » À l’image du « réduire » dans l’expression « réduire, réutiliser, recycler », le gestionnaire invite à pratiquer la sobriété de développement. Vaut-il vraiment la peine de créer une appli complexe qui n’atteindra qu’une poignée de personnes?
Une fois qu’on a répondu à cette question, la porte est ouverte pour diverses autres discussions : vaut-il vraiment la peine d’insérer dans notre projet le dernier outil à la mode? « Il ne faut pas immédiatement sauter sur une solution intégrant l’intelligence artificielle si on peut faire sans », illustre M. Theve, rappelant l’impact environnemental démesuré de cette nouvelle technologie. On pourra aussi réfléchir à l’hébergement, en priorisant le Québec, où l’hydroélectricité garantit au moins des serveurs alimentés en énergie verte. La liste continue ainsi…
« 80% des impacts d’un service sont déterminés au moment de sa conception », estime Alexandre Theve. C’est pourquoi il rêve que l’éco-conception suscite une réflexion pour tous ceux qui travaillent à développer des outils numériques, « avant même de produire la première ligne de code ».
Trois ressources pour développer ses réflexes d’écoconception
- La Green Software Foundation offre une formation en ligne destinée aux praticiens du logiciel
- Le livre « Écoconception Web: les 115 bonnes pratiques » de GreenIT vit sur la table de chevet d’Alexandre Theve
- L’association Designers Éthique offre un Guide d’écoconception de services numériques
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