Arabie saoudite et JO d’e-sport : quand le « sportwashing » porte ses fruits

Arabie saoudite et JO d’e-sport : quand le « sportwashing » porte ses fruits

En choisissant officiellement l’Arabie saoudite comme hôte pour accueillir les futurs Jeux olympiques d’e-sport, entre 2025 et 2037, le Comité international olympique (CIO) lui accorde une exclusivité temporaire sans précédent dans l’histoire des JO, ce qui soulève des questions d’ordre éthique au sein de la communauté.

C’est à l’unanimité que le CIO s’est prononcé, lors de sa 142e session, à Paris, entérinant le partenariat annoncé le 12 juillet entre l’instance de Lausanne et le comité national olympique d’Arabie saoudite, qui sera l’hôte de cette compétition pendant pas moins de 12 ans.

« Alors que la rentrée d’argent dans le secteur de l’e-sport pourrait me rendre très enthousiaste, là, c’est un peu différent parce que beaucoup de monde y voit les conséquences du sportwashing. »

– Travis Gafford, intervieweur de League of Legends, animateur et propriétaire des émissions State of the League et Whose League Is It Anyway

Le prix des principes

La réputation du pays en matière de droits humains et de droits des femmes, et les actes dénoncés et médiatisés, tels que l’assassinat cautionné par l’État du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, ont positionné l’Arabie saoudite au 150e rang sur 167 au classement de Democracy Index, et 127e sur 153 en matière d’écart économique entre les hommes et les femmes selon le Forum économique mondial.

Ces antécédents ont poussé plusieurs athlètes et champions, issus de diverses disciplines, à faire le choix de s’exclure de compétitions ou de laisser passer des opportunités de carrière. Pensons à la joueuse d’échecs ukrainienne Anna Muzychuk, qui a failli renoncer à ses deux titres par conviction, refusant de se soumettre aux lois encore en vigueur jusqu’en mars 2018 imposant aux femmes de porter l’abaya et d’être accompagnées lors de leurs déplacements à l’extérieur. Elle annonçait alors vouloir boycotter le tournoi mondial « roi Salmane » de parties rapides et Blitz, avant de conclure un accord avec les organisateurs saoudiens sur les tenues vestimentaires.

« (…) les juridictions qui font du ‘sportwashing’ dépensent des sommes faramineuses pour attirer les caméras vers une dimension idéalisée de leur société, celle de la saine compétition dans le sport. »

–  Bertrand Schepper, chercheur

Aujourd’hui, des influenceurs et personnalités issus de la communauté du jeu vidéo et de l’e-sport prennent part au débat, comme Travis Gafford, intervieweur de League of Legends, animateur et propriétaire des émissions State of the League et Whose League Is It Anyway. Dans une récente vidéo, celui qui est également youtubeur s’adresse à ses 200 000 abonnés et au grand public pour expliquer « pourquoi il ne couvrira ni ne regardera les jeux d’e-sport » : « La Coupe du monde d’e-sport 2024 est actuellement soutenue par le gouvernement saoudien, financièrement, et cela s’inscrit dans les gros efforts du pays consacrés à devenir la capitale de l’e-sport pour les cinq prochaines années. Alors que la rentrée d’argent dans le secteur de l’e-sport pourrait me rendre très enthousiaste, là, c’est un peu différent parce que beaucoup de monde y voit les conséquences du sportwashing. »

Qu’est-ce que le « sportwashing » ?

Selon le chercheur Bertrand Schepper, la pratique du sportwashing, aussi appelée « blanchiment par le sport », consiste à dépenser des sommes astronomiques pour organiser des événements sportifs internationaux et redorer son image, « dans l’espoir de faire oublier (ses) pratiques condamnables sur le plan des droits de la personne ».

« À l’image du ‘greenwashing’, où des compagnies polluantes consacrent des fonds importants en marketing pour publiciser de petits gestes écologiques, les juridictions qui font du ‘sportwashing’ dépensent des sommes faramineuses pour attirer les caméras vers une dimension idéalisée de leur société, celle de la saine compétition dans le sport », complète le chercheur dans un article de blog du site de l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques).

Après l’accueil d’événements en soccer, Formule 1, équitation et boxe, la monarchie pétrolière, qui doit accueillir les Jeux asiatiques d’hiver de 2029 dans son complexe NEOM, et qui espère aussi recevoir la Coupe du monde de soccer de 2034, s’est en effet largement imposée dans la géopolitique sportive.

Malgré l’indignation et la résistance suscitées par les défenseurs des droits humains, le président du CIO, Thomas Bach, défend que le partenariat serait « en totale conformité avec la Charte olympique et les valeurs olympiques ».

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Crédit Image à la Une : © IOC/Greg Martin