BaleinIdées, une initiative de protection de la baleine noire de l’Atlantique Nord (BNAN) lancée en 2021 par l’Agence spatiale canadienne (ASC), en collaboration avec les ministères de Pêches et Océan et de Transport Canada a été « couronnée de succès », et pourrait servir de modèle pour d’éventuels projets scientifiques interdisciplinaires du gouvernement fédéral.
Dans un communiqué du 4 juin, le gouvernement du Canada a annoncé le succès de son initiative. La racine qui a donné naissance aux recherches, est l’idée d’utiliser l’espace, ou plus spécifiquement l’imagerie spatiale, pour mieux analyser le comportement des baleines et ensuite pouvoir appliquer de meilleures techniques de protection.
La baleine noire, grande victime de nos activités maritimes
Selon Oceana, une ONG américaine ayant pour mission de protéger les océans, « au moins 34 baleines noires ont été tuées entre 2017 et janvier 2022, dont 21 dans les eaux canadiennes très fréquentées ». Leur population mondiale s’élèverait à un mince groupe de 364 individus, les classant comme l’espèce de baleine à fanons la plus menacée. Historiquement victime de chasse intense, notamment due à son rythme de nage lent, la baleine noire est maintenant victime de collisions avec des navires et d’accidents impliquant des engins de pêche.
« Il y a eu une série de mortalités qui a préoccupé Pêches et Océans. »
– Laurent Giugni, géographe à l’Agence spatiale canadienne
Selon Laurent Giugni, géographe et agent de programme à l’ASC, « depuis 2010, les experts ont constaté une migration des populations de baleines noires vers le nord-est de la Côté Est atlantique. Elles sont à la recherche de leur nourriture, puis elles se sont majoritairement retrouvées en grand nombre dans le golfe du Saint-Laurent. » Cette migration, qui serait due notamment aux changements climatiques, pourrait être liée à l’augmentation d’incidents entre les baleines et les bateaux dans les eaux canadiennes. « Il y a eu une série de mortalités qui a préoccupé Pêches et Océans », dit l’expert, et les trois ministères à l’origine de l’initiative se sont donc tournés vers l’espace pour trouver une solution au problème.
Cinq entreprises à la rescousse
Les technologies mises en place par l’initiative sont le fruit du travail et de la recherche de cinq entreprises ayant reçu pour mandat de trouver des solutions et des applications des technologies satellitaires pour assurer la prospérité de la BNAN. Ces entreprises, soit Arctus, Global Spatial Technology Solutions (GSTS), Fluvial Systems Research (FSR), Hatfield et WSP Canada et DHI Water & Environment Inc., se sont concentrées sur deux volets de recherche que M. Giugni appelle « la détection et la modélisation ».
En gros, la détection consiste à identifier les baleines dans leur habitat grâce à l’imagerie satellite, alors que la modélisation se concentre sur la prédiction de leur comportement et de leurs déplacements. Giugni affirme que les deux volets ont présenté « des succès et des réussites technologiques. »
Dans le volet détection, GSTS s’est chargé de créer un module de détection des baleines pouvant être intégré dans les plateformes de navigation des bateaux. Ce système permet aux navires d’adapter leurs déplacements en fonction de la présence des baleines pour éviter des collisions. FSR a quant à elle développé un algorithme utilisant les données des satellites pour non seulement individualiser les baleines en observant leurs cicatrices uniques et leurs callosités, mais aussi pour repérer les zones où se trouve une forte concentration de leur nourriture (calanus, plantons, etc.). Pour finir, Hatfield a créé un modèle d’intelligence artificielle qui repère automatiquement les objets à la surface des zones observées qui pourraient être des baleines, épargnant aux scientifiques l’équivalent de plusieurs jours ou semaines d’observation d’images à l’œil nu.
En ce qui concerne la modélisation, Giugni explique qu’Arctus, par l’entremise du projet SIMBA (Système intégré de modélisation de la baleine noire de l’Atlantique Nord), « peut identifier et prédire dans une période d’une à deux semaines où devrait se trouver l’habitat le plus probable de la baleine noire ». Il explique que les prédictions se font en observant les zones maritimes riches en chlorophylle, qui attirent le zooplancton, et par extension, les baleines. Dans une lancée similaire, WSP Canada et DHI Water & Environment Inc peuvent prédire avec son système d’aide à la décision (SAD) le prochain habitat des baleines noires, et comparer ses données avec ses prévisions du trafic maritime commercial afin de diminuer les risques d’accident en communiquant ses informations aux autorités et aux opérateurs de navires.
Un modèle à suivre pour de futures initiatives
Selon Laurent Giugni, BaleinIdées est une réussite à plusieurs facettes. Si on reste dans les confins du sujet, l’initiative a atteint son but concret, qui était le renforcement et le développement des techniques de protection des baleines noires grâce à l’imagerie satellite de l’ASC, mais son impact risque de s’étaler au-delà des frontières salées de l’Atlantique où vivent les baleines. BaleinIdées « est un succès collaboratif exemplaire qui pave la voie à d’autres », dit le scientifique. Ce que l’initiative a accompli, c’est la création « d’une communauté de pratiques concernant l’utilisation des données d’observation de la Terre qui n’existait pas du tout […] On a des biologistes marins aujourd’hui qui écrivent des papiers sur l’observation de la Terre, alors qu’ils ne le faisaient pas avant », se réjouit-il, en ajoutant qu’« au sein du gouvernement, BaleinIdées est vue comme un modèle de collaboration unique d’interdisciplinarité et de travail en commun. »
Giugni indique que « l’entente de collaboration de BaleinIdées a été maintenue pour une année » de plus, et que l’ASC restera « impliquée dans le réseau de récupération de la baleine noire «, en ajoutant qu’il « y a une opportunité pour l’industrie canadienne d’avoir un rôle de leadership vraiment intéressant pour la croissance de l’observation de la Terre en Amérique du Nord, et dans le reste du monde aussi. » Il semblerait que mélanger la biologie et l’observation par satellite forme une recette interdisciplinaire peu commune qui porte ses fruits, et qui inspirera peut-être d’autres ministères ou organisations à collaborer pour assurer la protection de la biodiversité.
Crédit Image à la Une : Agence spatiale canadienne