Bluesky: un ciel plus clair, pour l’instant…

Bluesky: un ciel plus clair, pour l’instant…

Dans le paysage en constante évolution des réseaux sociaux, une nouvelle bataille se dessine entre le géant établi X (anciennement Twitter) et le challenger prometteur Bluesky. Alors que les utilisateurs cherchent des alternatives à la plateforme controversée d’Elon Musk, une élite intellectuelle fait campagne pour encourager la migration de ceux qui adhèrent à ses valeurs vers Bluesky, présenté comme un concurrent sérieux, où l’expérience promise en est une éthique et contrôlée par l’utilisateur. Mais cette nouvelle plateforme a-t-elle réellement le potentiel de détrôner X ou est-elle destinée à rester une niche pour ses premiers adoptants?

Pour lire l’article tel que paru initialement dans la revue animée et interactive LES CONNECTEURS :

X, Bluesky, Threads… quoi en penser?

X, malgré ses récentes controverses, reste un titan de l’industrie avec ses centaines de millions d’utilisateurs (588 millions en septembre) actifs mensuellement. La plateforme offre une gamme complète de fonctionnalités, une intégration multimédia avancée et une base d’utilisateurs diversifiée et établie. Ce qui fait tache, ce sont les changements fréquents de politiques, la présence publicitaire envahissante et les polémiques entourant son propriétaire, Elon Musk, minant la confiance de nombreux utilisateurs à forte tendance politique de gauche.

Présents sur toutes les plateformes sociales principales, des membres de notre rédaction ont d’ailleurs constaté sur Facebook (Meta) et plus fortement sur X, une dominance des discours haineux, une baisse de la modération et l’échec récurrent des appels au retrait des commentaires misogynes, racistes, homophobes, transphobes et incitant à la haine ou menaçant même de mort. Or, si certains y voient une faille des systèmes d’automatisation et d’algorithmes devant reconnaître les contenus problématiques, pour d’autres, cela dénote au contraire un calcul, une volonté de favoriser certains groupes au détriment des autres, poussée par des algorithmes qui auraient été développés à cette fin.

Quelques constats sur les biais discriminatoires observés et rapportés :

  • Une étude menée par le chercheur en IA Marc Faddoul a révélé que l’algorithme de recommandation de TikTok avait tendance à suggérer des comptes aux caractéristiques physiques similaires (race, âge, traits du visage) à ceux qu’un utilisateur suivait déjà ;
  • Des Québécois dénoncent sur TikTok un « amalgame » entre « la masculinité toxique » et le fait de soutenir le parti républicain de Donald Trump et d’adhérer au mouvement conservateur ;
  • Des créateurs noirs ont signalé que le contenu avec des hashtags comme #BlackLivesMatter et #GeorgeFloyd recevait considérablement moins de vues, certaines publications semblant n’obtenir aucune vue en raison d’une suppression algorithmique ;
  • Les mots-clés et phrases affirmant l’identité noire sont souvent signalés comme « inappropriés » par l’algorithme de TikTok, alors que des termes comme « suprématie blanche » ne le sont pas ;
  • Les utilisateurs LGBTQ+ sur Tumblr ont vu leur contenu disproportionnellement affecté et supprimé lorsque la plateforme a mis en place une interdiction du contenu pour adultes en 2018.

En contraste, Bluesky se présente comme une bouffée d’air frais dans l’écosystème des médias sociaux. Lancée par Jack Dorsey, co-fondateur de la plateforme Twitter rebaptisée X, Bluesky promet une expérience sans publicité, un contrôle accru pour les utilisateurs et un algorithme ouvert et personnalisable. Ces caractéristiques attirent de plus en plus d’utilisateurs en quête d’un environnement moins toxique et plus transparent, et une grande attention médiatique.

Mais comme nous le faisait remarquer le spécialiste du numérique Bruno Guglielminetti sur le blog de son balado Mon Carnet,  « pendant ce temps, alors que tous les regards et les médias sont tournés vers Bluesky, Meta continue de faire croître son réseau Threads, sa plateforme sociale de clavardage, concurrente de X. En seulement deux semaines, Threads a attiré 15 millions de nouveaux utilisateurs, selon Adam Mosseri, responsable de Threads et d’Instagram, alors que, pour la même période, Bluesky a attiré seulement deux millions d’adhérents pour atteindre 16 millions d’utilisateurs au total depuis sa création »

Du haut de ses 20 millions d’utilisateurs, Bluesky adopte une vision alternative des réseaux sociaux, qui place l’utilisateur au centre de son modèle ; une approche qui, plutôt que de miser sur la monétisation agressive et la haine qui alimente les échanges, mise sur la nostalgie qu’entretiennent beaucoup d’internautes pour Twitter et le climat social qui favorisait l’échange amical et constructif.

Cependant, Bluesky fait face à des défis significatifs. La plateforme reste un acteur mineur comparé à X. Les fonctionnalités limitées, notamment l’absence de vidéos natives, de sondages et de messages privés, peuvent freiner son adoption massive. De plus, sa nature décentralisée, bien qu’innovante, peut s’avérer complexe pour les nouveaux utilisateurs. Notons aussi que le ciel de la communauté de Bluesky n’est pas à l’abri d’un assombrissement, puisque rien ne permet de garantir que les dérives associées aux trolls et aux tensions sociales observées ailleurs ne feront pas leur entrée sur la plateforme.

En attendant, certains utilisateurs ont soulevé des inquiétudes relatives aux listes de blocages, que Bluesky rend publiques, contrairement aux autres plateformes, profitant parfois à leur harceleur : « Je viens de tomber sur une personne désagréable, qui publie régulièrement des listes des utilisateurs qui la bloquent. Elle a certainement un deuxième compte, car son truc semble être de fouiller dans les abonnés/abonnements de ceux qui la bloquent, à la recherche d’un comportement problématique. Que suis-je censé faire dans cette situation? Je ne veux pas que cette personne soit près de moi, mais si je la bloque, je vais attirer son attention (…) je tiens à ce qu’elle ne harcèle pas mes amis. »

Pour remédier à ce problème, l’entrepreneur Philippe Beaudoin (co-fondateur de Waverly), adepte de Bluesky fortement impliqué auprès des internautes pour en vulgariser les bienfaits et façons optimales de l’utiliser, a pensé à une astuce : il suggère à quiconque qui se sentirait « mal à l’aise » à l’idée de bloquer un individu de lui en faire part, afin qu’il puisse lui-même l’ajouter à la liste des exclus, « à laquelle on peut souscrire. De cette manière, il y a une distance entre la personne qui bloque et la personne bloquée, qui élimine pratiquement tout risque de représailles. »

Changer d’attitude et de registre : un effort collectif

Au delà des plateformes sociales, il y a des gestes et attitudes à revoir afin d’éviter d’alimenter la haine et la polarisation sur les réseaux sociaux. Le choix du vocabulaire qu’on emploie dans l’échange de commentaires en fait partie.

Voici une liste de mots employés sur toutes les plateformes mentionnées, mais également sur d’autres tribunes, comme celles des médias traditionnels, qui ont pour effet de diviser les communautés, notamment les groupes associés à certains mouvements politiques de gauche et de droite :

  • Woke / Anti-woke
  • Boomer
  • Karen
  • Snowflake
  • SJW (Social Justice Warrior)
  • Incel
  • Libtard
  • Trumpiste
  • Fasciste / Antifa
  • Gaucho / Facho
  • Bobo
  • Patriarche / Féminazi
  • Complotiste / Conspirationniste
  • Mouton
  • Bien-pensant
  • Réac
  • Gauchiste / Droitard
  • Masculiniste
  • Wokiste

Après avoir analysé plusieurs échanges publics et recueilli des témoignages, notre rédaction a également constaté que les internautes qui employaient ces termes étaient souvent eux-mêmes visés par des attaques employant un vocabulaire tout aussi connoté et dévastateur issu de la liste. Ainsi, des internautes émettant des idées associées à des courants de pensée moderne seront systématiquement traités de « gauchos », de « fascistes » ou de « wokistes », ayant pour effet de les décrédibiliser. À l’inverse, toute idée perçue comme un retour à des valeurs plus conservatrices vaudra à son auteur les qualificatifs de « boomer », « mononcle / matante » et « Karen », une défense contre-productive qui agit surtout pour le renforcement de l’âgisme.