Complètement perdu. C’est le sentiment qui décrit probablement le mieux comment je me sens au sujet de l’IA. Pas que je ne sois pas informé, documenté et entouré d’experts et d’utilisateurs. Et, pourtant, comme potentiellement beaucoup d’entre vous, je ne sais sur quel pied danser, tiraillé entre les promesses d’efficacité et de confort que les récentes avancées promettent, et mes convictions humanistes.
Pour lire la version animée et interactive de cette chronique dans le magazine LES CONNECTEURS (page 20) :
Alors, plutôt que de vous livrer une vision complète, construite et à emporter, laissez-moi vous offrir quelques idées sur le sujet, un kit à assembler avec, sûrement, une vis restante à la fin, comme pour un meuble IKEA ou un Boeing, car il semblerait qu’on y trouve ça, aussi…
Quand on regarde l’état des choses aujourd’hui, on voit que le sujet continue de faire se questionner tout le monde, souvent par manque d’informations. Le monde parle d’IA, c’est ce que je fais aussi, mais il faut arrêter cela. Parler d’IA nous renvoie à nos imaginaires communs de science fiction, particulièrement les dystopies récurrentes depuis les chocs pétroliers qui ont fait suite à la SF utopique des années 60. Quand on parle d’IA, on pense à Skynet dans Terminator, à Asimov, à 2001, l’Odyssée de l’espace et à la multitude d’histoires que le concept a inspiré. Bonne chance pour ne pas trembler de peur à l’idée de configurer ChatGPT pour répondre à nos courriels! ependant, plutôt que de parler d’IA, on peut apprendre, à son rythme, à comprendre en lisant un peu sur les concepts fondamentaux du fonctionnement du machine learning (ML ou apprentissage machine), du Natural Language Processing (NLP ou traitement automatique du langage naturel), et des Large Language Models (LLM ou modèles de langage de grande taille). C’est un effort, certes, mais un effort essentiel, quel que soit son opinion sur le sujet. Sinon, comment commencer à formuler l’ébauche d’une opinion? La plateforme CScience et ses partenaires ont proposé un outil de vulgarisation pour les adolescents, l’an dernier, à consulter si jamais vous partez de zéro et cherchez un bon endroit où commencer!
« Le monde parle d’IA (…) mais il faut arrêter cela. Parler d’IA nous renvoie à nos imaginaires communs de science fiction, particulièrement les dystopies (…) Plutôt que de parler d’IA, on peut apprendre, à son rythme, à en comprendre les concepts fondamentaux (…) »
On peut ensuite aborder les gains d’efficacité et la manière dont ils se distribuent, ou même où ils devraient être répartis. Après une phase d’appropriation, les LLM (grands modèles de langage) accélèrent considérablement nos processus de travail, notamment ceux qui sont répétitifs et peu stimulants en comparaison des tâches créatives. Bien que j’aie du mal à imaginer répondre aux courriels de mes proches collaborateurs via une IA, je vois pourtant très bien comment des centaines de candidatures pourraient recevoir une réponse, personnalisée de façon minimale grâce à de simples requêtes formulées. Briser ces silences, voilà une idée qui me semble pertinente!
En revanche, la question de la créativité et les ambitions de certains dans le domaine m’effraient. Les LLM sont des outils incroyables pour comparer, résumer et décliner… pour plagier, donc! Si les utiliser
pour faire rapidement des « mood boards » ou des variations d’une idée me paraît intéressant, l’IA générative n’écrit pas des histoires originales et émotionnelles. Elle imite ce que d’autres ont écrit. Elle peut emprunter un style, mais ne fera, dans son état actuel, qu’un beau « remake » (copie). Et, connaissant notre propension à ne pas vérifier nos informations, ces reproductions vont nous amener bien de la mésinformation. Cela porte d’ailleurs le nom d’« AI Hallucination » (Hallucination de l’IA).
Un « mood board », aussi appelé planche de tendances, est un type de collage qui peut être composé d’images, de texte et d’objets selon le choix de son créateur.
Enfin, ces accélérations de nos processus font émerger une question fondamentale. Une question humaine, que toutes les innovations engendrent, allant de la machine à vapeur à l’ordinateur : Pourquoi accélérons-nous? Trop souvent ai-je vu, dans l’histoire, l’accélération et l’automatisation être récompensées par des augmentations de charge de travail ou par des coupures de postes et des licenciements massifs. Les scénaristes d’Hollywood ont très rapidement fait valoir leurs droits, mais ces discussions doivent avoir lieu dans tous les domaines. Sans parler de l’empreinte environnementale des avancées dans le domaine. Voilà, vous ne savez peut-être pas plus où vous situer après cette lecture, mais c’est précisément dans ces situations qu’il faut retourner aux fondamentaux. Apprenez à les comprendre. Ne laissez pas les spécialistes monopoliser la parole. Entrez dans la conversation, mais en ayant acquis les bases. Certes, mieux comprendre ne changera probablement pas votre opinion, mais cela vous permettra de tenir un débat!