Comme j’aime à le dire souvent, le défi actuel majeur en intelligence artificielle n’est plus de développer de nouvelles modélisations ou algorithmes d’intelligence artificielle, mais bel et bien d’opérationnaliser la partie la plus mature de ce que les dix dernières années on produit.
Pour lire la version animée et interactive de cette chronique dans le magazine LES CONNECTEURS (page 22) :
Cela n’enlève et ne limite en rien l’effort de R-D (recherche et développement) qui doit absolument perdurer et permettre au Québec de rester le fer de lance du domaine académique sur des niches et des sujets de pointe, mais plutôt d’envisager l’intelligence artificielle comme un gage de compétitivité, voire de pérennité pour bon nombre de PME québécoises. À condition d’opérationnaliser cette IA, c’est-à-dire d’être capable de fabriquer une ingénierie fiable, robuste, sûre, sécurisée, durable et qui respecte les bases d’une éthique individuelle et sociétale.
Le facteur de la multidisciplinarité
Les PME nous le disent : plusieurs dirigeants ont ou le sentiment profond que l’IA reste inaccessible, ou expriment leur frustration quant au prototype d’IA qui n’a jamais pu être opérationnalisé et reste inutilisable dans leurs opérations quotidiennes, malgré un coût et un investissement élevés.
« L’IA doit être envisagée dans sa multidisciplinarité intrinsèque et impliquer différentes (…) compétences qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et dont la collaboration nécessite des aménagements organisationnels. »
L’IA n’est pas une préoccupation technologique ou un souhait de technologue. L’IA doit être envisagée dans sa multidisciplinarité intrinsèque et impliquer différentes dimensions, le plus souvent et habituellement, des compétences qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et dont la collaboration requiert des aménagements organisationnels.
Mettre l’intérêt de l’utilisateur au centre de chaque étape
L’autre différence majeure avec un projet classique d’ingénierie logicielle est la nécessité de travailler itérativement sur des projets d’IA et de s’imposer de démontrer la valeur d’affaires de ce qui est produit à chaque itération, en maintenant le bon équilibre entre un périmètre fonctionnel d’intérêt pour les utilisateurs finaux et l’utilisation de données de qualité moyenne voire médiocre, contraignant fortement le périmètre itératif. Aborder uniquement l’axe des données, imaginer avoir un corpus de données centralisé et optimal comme prérequis à une IA de qualité est souvent une utopie. L’un et l’autre sont dépendants et c’est une complexité majeure dans les projets d’IA, au-delà même de la modélisation et de l’algorithme.
Bien souvent, cela nuit à l’efficacité opérationnelle des projets en IA et le réflexe de dissocier données, modélisation, fonctionnalité et processus d’affaires, créant un décalage entre les besoins réels/de terrain au sein des entreprises (milieu prenant ciblé) et les technologues de l’IA. Si l’on rajoute à cela des cadences et objectifs différents entre l’entreprise (efficacité et performance) et des experts académiques potentiellement impliqués (exhaustivité et disruption), alors le Graal de l’opérationnalisation, déjà difficile par design, devient inatteignable.
Pour relever le défi
Le défi d’aujourd’hui est d’optimiser cette chaîne de valeur en intelligence artificielle, réussir à rendre robuste et industriel le cycle depuis la R-D à l’opérationnalisation, en maîtrisant les forces de chacun et en facilitant le transfert entre métiers. Se comprendre mutuellement, en toute bienveillance, apprendre les uns des autres avec humilité et détermination est le début du succès.
Ainsi le défi actuel est de booster notre capacité d’opérationnalisation de l’intelligence artificielle au sein des entreprises québécoises.
Il faut désormais être capable de sélectionner et d’isoler des fonctionnalités simples mais nécessaires pour les entreprises dans leur quête de performance opérationnelle, pour lesquelles l’IA peut amener de l’automatisation et de l’accélération de l’humain. On parlera principalement d’IA faible et d’outils de recommandation en premiers choix de solutions logicielles, et d’outils pré-compétitifs au niveau des fonctionnalités.
On se rendra compte assez rapidement que ces fonctionnalités simples sont, pour grand nombre, communes à plusieurs secteurs d’industries et partagés par des entreprises de taille différentes et n’ayant pas toutes le même accès aux compétences en IA. Casser les silos entre secteurs d’activité, grandes et petites entreprises, permettra sans nul doute, d’accélérer les entreprises dans la fabrication d’outils-précompétitifs et de méthodes de qualification des propriétés de confiance de l’IA. L’approche d’innovation collaborative, l’industrialisation du cycle depuis la R-D à l’opérationnalisation, et une certaine ouverture des industriels à partager leurs acquis pré-compétitifs est la seule voie à la démocratisation de l’IA et à son adoption en entreprises.
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