Quelle est l’influence de nos leaders politiques sur le développement de l’IA? Est-ce que leurs positions politiques et législatives, leurs comportements et leurs propos, tenus dans l’espace public, témoignent vraiment d’un soutien à l’IA responsable, mobilisatrice et inclusive pour la province et le reste du Canada?
Pour lire la version animée et interactive de cette chronique dans le magazine LES CONNECTEURS (page 15) :
Les États-Unis, notre plus grand partenaire économique, au cœur des développements en IA
Un problème d’uniformité
Le survol des publications mondiales et américaines est un tant soit peu déconcertant. Le président Joe Biden émettait un décret exécutif sur l’intelligence artificielle sûre, sécurisée et digne de confiance en octobre 2023. Toutefois, comme les travaux ont très peu avancé au Congrès, plusieurs États ont pris les devants et mis en place leur propre cadre législatif.
« Nous exportons un peu plus de 75 % de nos produits et services vers les États-Unis. Le Québec en est à 74.3%, selon les derniers chiffres accessibles. Parmi ces produits et services, lesquels sont touchés par l’essor de l’IA? »
J’entrevois alors tout un casse-tête à l’horizon, tant du côté de nos voisins du sud, pour leurs transactions commerciales interétatiques et l’accroissement possible de la polarisation selon les couleurs politiques de chaque État, que chez nous, au Canada.
Des répercussions commerciales pour le Canada
Nous exportons un peu plus de 75 % de nos produits et services vers les États-Unis. Le Québec en est à 74.3%, selon les derniers chiffres accessibles. Parmi ces produits et services, lesquels sont touchés par l’essor de l’IA? Une analyse pour en déterminer les conséquences et risques potentiels serait pertinente, et le plus vite serait le mieux. Mais pour bien comprendre les lois entourant l’IA, sur une base étatique et non fédérale, uniforme pour tous les États, il en coûtera cher à nos entreprises…
L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) sera revu en 2026. Inclura-t-il de nouvelles clauses entre les trois pays concernant l’IA? Je ne serais pas surprise si c’était le cas après nos prochaines élections fédérales, avec, comme premier ministre, Pierre Poilièvre, possiblement.
Des craintes justifiées pour l’encadrement de l’IA
D’ailleurs, certains experts s’inquiètent quant à la volonté des républicains d’abroger le décret de M. Biden sur l’IA, s’ils prennent le pouvoir en novembre prochain, et je partage leur crainte.
Tout récemment, Donald Trump a demandé à ses partisans de s’en prendre aux géants Google et Meta, parce qu’ils auraient censuré de l’information lors de la tentative d’assassinat sur sa personne en juillet dernier. Est-ce vrai? Je n’en sais rien, mais le message ajoute de l’huile sur le feu… De plus, Trump Media and Technology Group, propriétaire du réseau social Truth Social (Vérité Sociale!), a perdu plus de 300 millions de dollars au dernier trimestre, selon son premier rapport de résultats comme société boursière. Un candidat à la présidence américaine devrait-il être à la tête d’un empire médiatique, qu’il utilise notamment pour faire de la promotion? La question mérite d’être soulevée. Je doute fort que ce site soit adéquatement monitoré (surveillé) contre la désinformation, la mésinformation et les contenus non acceptables… On nourrit la bête!
Via la publication Politico, on apprenait que la candidate pour le parti démocrate et actuelle Vice-Présidente Kamala Harris partage certaines vues avec Trump concernant l’IA menaçant la sécurité nationale, mais les similitudes s’arrêtent ici. D’ailleurs, Harris a dirigé les efforts de la Maison Blanche en matière d’IA, et s’est exprimée publiquement sur la nécessité de prendre en compte des éléments tels que les préjugés raciaux et les biais des données lors de l’élaboration de ces systèmes complexes.
Le colistier de Trump, JD Vance, a évolué dans le capital de risque dans la Silicon Valley. Sera-t-il en mesure de demeurer objectif par rapport à ses amis, qui poussent, par millions de dollars de contribution au parti républicain, pour limiter la réglementation en IA? J’en doute. Leurs comportements et positions politiques risquent de servir leurs propres intérêts, et non ceux de la nation dans son ensemble.
Mme Harris, ayant été procureure générale de Californie, connaît bien la Silicon Valley et son écosystème si particulier. Cet environnement, où se mêlent innovations révolutionnaires et pratiques parfois discutables, n’a pas de secrets pour elle. On peut donc espérer qu’elle saura naviguer ces enjeux complexes. Car si la Silicon Valley est un moteur d’innovation, elle est aussi le théâtre de dérives potentielles, tant sur le plan légal qu’éthique. Le scandale Theranos, symbole des excès possibles dans cette quête effrénée du progrès, en est un exemple frappant.
Selon diverses publications américaines, il pourrait s’agir de la première élection présidentielle où les candidats présentent des visions concurrentes sur la manière d’orienter le leadership américain dans le domaine des technologies en développement rapide, ce qui en fait un élément de boîte de scrutin.
Où en sommes-nous au Canada?
Comme le Canada traîne en longueur avec la mise en œuvre de la Loi 27, nous aurons du mal à négocier avec notre Goliath en 2025. Nonobstant, le Canada et le Québec se doivent d’être prêts, solides, responsables et résilients pour faire face à une administration Trump en janvier 2025.
« (…) le Canada et le Québec se doivent d’être prêts, solides, responsables et résilients pour faire face à une administration Trump en janvier 2025. »
Le projet pour développer une IA robuste, raisonnante et responsable, IAR3 d’IVADO, a obtenu une subvention de 124,5 M$ en avril 2023. À quelle étape en est ledit projet 16 mois plus tard? Un rapport d’étape s’impose.
En juillet, la ministre Pascale Saint-Onge a annoncé un financement pour un projet de l’Université de Montréal pour lutter contre la désinformation. Celle-ci recevra 292 675 $ pour son projet de recherche intitulé « Une stratégie d’intelligence artificielle pour lutter contre la désinformation ».
Partenariat avec Mila et l’Université McGill, ce projet vise à mettre au point un outil web capable de détecter et de contrecarrer la désinformation, idéalement, avant les prochaines élections Canadiennes…
Comment cet outil sera-t-il utile pour ceux et celles qui consomment de l’information sur des sites américains non fiables, et en sont donc fortement influencés? Cela n’a pas été défini.
Des mesures à prendre
Mon expérience acquise en tant que gestionnaire de projets me permet d’affirmer qu’une forte gestion des risques s’impose rapidement au Canada et au Québec. Je me rappelle d’un article du Harvard Business Review, publié après la première élection de Trump, qui recommandait aux corporations de créer un poste de « chef des risques géo-socio-politiques ».
Avec la venue de l’IA, ce rôle dans la fonction de Commissaire, nommé par les partis politiques fédéraux, sera critique pour développer une IA pan-canadienne qui sera le phare mondial dans les années à venir, et ce, en étroite collaboration avec un ministre de l’IA et du numérique ; à créer vivement!
Enfin, dans le cas d’une défaite de Trump, les États-Unis risquent d’être confrontés à des agitations sociales de longue durée. Sans une vigie structurée, nous aurons plusieurs embûches à surmonter, alors soyons prêts!
Dernière chronique de Sylvie Leduc sur CScience :
La mobilisation solide et pérenne du Québec en IA : rêve possible ou lubie ?