Productivité des entreprises canadiennes : un défi majeur pour notre compétitivité future

Productivité des entreprises canadiennes : un défi majeur pour notre compétitivité future

Imaginez l’économie canadienne sous forme d’une voiture de course l’espace d’un instant. Nous avons un engin de qualité, des pilotes talentueux, mais quelque chose cloche : notre moteur n’est pas aussi performant que celui de nos concurrents. Le parallèle avec la productivité de nos économies se passe exactement comme cela. Malgré nos avantages évidents, notre retard dans la course économique mondiale pourrait avoir des conséquences importantes sur notre niveau de vie.

Mon rôle au sein du département du développement des affaires et des partenariats stratégiques chez Mitacs me permet d’être témoin des difficultés auxquelles les entreprises canadiennes sont confrontées. J’ai la chance de côtoyer des esprits créatifs et des chefs d’entreprise déterminés. Pourtant, les chiffres sont là : alors que la productivité de nos voisins atteint des sommets, notre productivité est stagnante et l’écart se creuse. Analysons ce paradoxe ensemble et trouvons comment regagner la première place.

Le Canada dans le rétroviseur : un retard qui s’accentue

Commençons par les chiffres, et ils font mal. Selon la Banque du Canada, notre productivité n’a augmenté que de 1,1 % par an en moyenne depuis 40 ans. Les États-Unis ? 2,1 %. C’est comme se faire doubler par une voiture qui roule à 100km/h quand nous roulons à 50km/h ; la distance se prolonge très vite.

« Imaginez un mécanicien travaillant avec des outils obsolètes ou pour les plus bricoleurs d’entre nous, utiliser un couteau à la place d’un tournevis. C’est un peu ce qui se passe dans nos entreprises. »

Les chiffres nous montrent encore qu’en 1984, nous générions 88 % de la valeur produite par heure aux États-Unis. En 2022, nous sommes tombés à 72 %. C’est comme si nous perdions du terrain à chaque tour de piste. De manière plus concrète, quand un travailleur américain produit 100 $, un Canadien en produit 72 $. C’est une différence qui se fait sentir dans nos portefeuilles et dans notre économie.

Malheureusement l’écart ne se creuse pas uniquement avec les États-Unis. Une étude récente de la BDC montre d’une manière générale que notre productivité est inférieure de 18 % à la moyenne du G7.

Pourquoi sommes-nous à la traîne ?

1. Un sous-investissement chronique

Imaginez un mécanicien travaillant avec des outils obsolètes ou pour les plus bricoleurs d’entre nous, utiliser un couteau à la place d’un tournevis. C’est un peu ce qui se passe dans nos entreprises. En 2022, l’investissement en capital par travailleur au Canada ne représentait que 41 % de celui des États-Unis. C’est comme si nous demandions à nos employés de courir un marathon avec des chaussures usées. Cette notion est particulièrement importante. C’est ce que les économistes appellent aussi l’intensité du capital. Il faut comprendre que ce sont les outils aussi bien informatiques qu’industriels mis à la disposition du salarié pour réaliser son travail. Une augmentation de l’intensité du capital par travailleurs est donc censée augmenter la productivité de ces derniers.

2. La R-D, notre talon d’Achille

Dans l’économie moderne, l’innovation est le carburant de la productivité. Malgré cela, les investissements en recherche et développement (R-D) au Canada restent faibles et stagnent, puisqu’ils ne représentent que 1,9 % du PIB depuis 2020, alors qu’ils ont grimpé dans tous les autres pays du G7 sur la même période. Les États-Unis investissent quasiment deux fois plus que nous dans ce domaine. C’est comme si nous nous contentions de diesel quand nos concurrents passent à l’électrique. Ce phénomène se reflète également dans les dépôts de brevet.

3. La formation continue : un enjeu négligé

Dans un monde qui évolue à toute vitesse, la formation continue est cruciale. Le Canada dispose d’un système éducatif de qualité, mais malgré cela, des efforts restent à faire pour combler son retard en matière d’éducation continue et de perfectionnement professionnel pour les travailleurs.

En effet, seuls 55 % des travailleurs canadiens y participent, contre 75 % en Allemagne. C’est comme si nous négligions l’entretien de notre voiture de course.

4. Une concurrence au ralenti

L’un des facteurs expliquant le retard de productivité du Canada par rapport à ses homologues internationaux peut s’expliquer en partie par le manque de concurrence dans plusieurs secteurs de l’économie. Ce manque de concurrence ralentit l’adoption de nouvelles technologies, retarde l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et impacte négativement la productivité. Sans adversaire, c’est comme si nous faisions une course en solitaire, pas besoin de pousser les limites.

Dans un rapport de 2022, le Centre sur la Productivité et la Prospérité de HEC Montréal précise que le manque de concurrence au Canada est dû notamment à des barrières à l’entrée trop importantes. Celles-ci peuvent prendre différentes formes : des régulations contraignantes qui encadrent la concurrence étrangère et limitent l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché, des concentrations d’entreprises dans certains secteurs qui limitent la pression concurrentielle et le choix pour les consommateurs, etc.

La structure de nos entreprises, un frein ?

Au Canada, 99,8 % des entreprises sont des PME. C’est une force, mais aussi un défi pour la productivité. Comme l’on peut s’y attendre, ces petites structures ont souvent moins de ressources pour investir dans les technologies de pointe. De plus, elles n’ont pas toujours les ressources internes pour mettre sur pied des projets de R-D. Une récente étude de la BDC montre que le niveau de productivité des PME est de 63 % en 2019 et a baissé à 58 % en 2023.

Pour reprendre notre comparaison avec la course automobile, c’est comme avoir une équipe de course au sein d’une petite écurie : beaucoup de passion, mais moins de moyens pour développer les dernières innovations qui leur permettront d’être plus efficaces.

La proportion de grandes entreprises dans l’économie américaine est plus importante qu’au Canada, ce qui se reflète aussi dans les chiffres de productivité des deux pays.

Pourquoi il est important de rattraper notre retard

Ce retard n’est pas qu’une question de fierté nationale. C’est notre prospérité future qui est en jeu.

1. Impact sur notre croissance économique

Comme nous l’avons vu, la productivité est un moteur essentiel de la croissance économique. Une productivité en berne, c’est une croissance au ralenti donc moins d’augmentation de salaires, moins d’argent dans les caisses de l’État donc moins d’investissement dans nos services publics et in fine, une qualité de vie qui stagne.

À un niveau plus micro, une étude de la BDC montre les écarts impressionnants entre les 10 % de PME les plus productives et les autres. Dans le premier groupe, les ventes réalisées par membre du personnel représentent $ 857.000 contre $ 142.110 pour le second. Les bénéfices par membre du personnel suivent la même tendance et atteignent $ 56.937 pour les 10 % des PME les plus productives contre $ 14.585 pour les autres. Cet écart flagrant montre la vulnérabilité des entreprises les moins productives face à celles qui le sont plus.

Aussi, il est évident, au vu des bénéfices dégagés, qu’une entreprise plus productive aura les ressources nécessaires pour le rester et innover creusant ainsi les écarts avec les entreprises moins productives.

2. Compétitivité internationale en danger

Dans la course économique internationale, la productivité est notre billet d’entrée. Ne pas combler notre retard, exposerait le Canada à une baisse de sa compétitivité à l’international. Dans une telle hypothèse, les entreprises canadiennes pourraient rencontrer des difficultés à rivaliser avec des concurrents plus productifs et innovants. 

Les entreprises locales pourraient ainsi décider de délocaliser leurs opérations dans des pays où la productivité est plus élevée et les coûts de production plus faibles. Ceci entrainerait des pertes d’emplois et une diminution de l’activité économique au Canada. On pourrait donc s’attendre à assister à une baisse des exportations et une augmentation du déficit de notre balance commerciale.

3. Des conséquences sociales préoccupantes

La productivité, ce n’est pas qu’une affaire de chiffres et d’économie. Elle a également de nombreuses conséquences sociales et sur notre qualité de vie. 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le Canada disposait, en 1981, d’une avance de $ 2000 par habitant sur le niveau de vie moyen au sein du groupe OCDE en 1981. En 2021, le Canada accusait un retard d’environ $ 7000 par habitant. Le Canada s’est donc laissé distancer par bon nombre d’économies occidentales au cours des quarante dernières années.

Ces différences de productivité entre entreprises, secteurs d’activités ou pays provoquent des inégalités. En effet, dans les secteurs où la productivité est élevée, les travailleurs voient souvent leur salaire augmenter plus vite que dans les secteurs où elle est plus faible.

Une entreprise qui ne suit pas la cadence et devient moins productive que ses concurrents rencontrera des difficultés à survivre, ce qui peut engendrer des fermetures, des licenciements et une augmentation du chômage. Par exemple, le secteur manufacturier a vu son nombre d’emplois diminuer de 20 % entre 2000 et 2020 selon Statistique Canada. De plus, les emplois qui subsistent dans des secteurs où la productivité est faible sont souvent moins bien rémunérés et précaires.

Enfin, un tel climat économique provoque une stagnation des recettes fiscales et limite la capacité du gouvernement à financer les services publics essentiels tels que la santé, les infrastructures et l’éducation. Sans productivité, c’est tout notre modèle social qui est menacé !

Comment reprendre la « pole position » ?

Heureusement, tout n’est pas perdu. Nous avons les moyens de renverser la vapeur. Voici quelques pistes…

1. Investir massivement dans la technologie et l’innovation

Une des voies les plus évidentes pour améliorer la productivité au Canada est d’augmenter massivement les investissements en technologie et R-D. Il est donc crucial de dé-risquer les investissements et de mettre en place des incitatifs. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux offrent un éventail complet d’aides à l’investissement (crédits impôts, subventions etc). L’offre est tellement complète que les entrepreneurs nous disent souvent qu’ils ont du mal à s’y retrouver.

Dans mes activités, j’ai la chance d’échanger quotidiennement avec des chefs d’entreprise qui souhaitent innover et rendre leur entreprise plus productive. Nous leur offrons le soutien financier pour implanter de nouvelles technologies comme l’IA, la 5G et explorer de nouveaux horizons qui leur donneront un avantage sur leurs concurrents. 

Chez Mitacs, nous voyons chaque jour le potentiel incroyable de nos chercheurs et de nos entreprises. En facilitant les collaborations entre le monde académique et le monde des affaires et en dé-risquant le coût lié aux projets de R-D, nous aidons à résoudre des problématiques concrètes d’entreprise et à les rendre plus productives. C’est comme équiper sa voiture de course des dernières technologies : ça fait toute la différence sur la piste.

2. Miser sur la formation continue

Afin d’innover et de faciliter la R-D dans les entreprises, il est primordial que les compétences des employés puissent évoluer et s’adapter aux nouvelles réalités du marché. Les programmes de formation continue doivent donc se développer et se démocratiser au sein des entreprises.

Le Canada a encore du chemin à faire en la matière. Notre pays accuse un certain retard si on le compare à l’Allemagne, où 75 % des travailleurs participaient à des programmes de formation continue en 2023 contre 55 % au Canada. En plus de les rendre plus performantes, les entreprises qui mettent en place de tels programmes, ont également un meilleur taux de rétention de leur salarié, c’est donc une solution « win-win » pour les différentes parties. 

Dans mon travail, je vois l’impact transformateur que peut avoir l’apport de nouvelles compétences dans une entreprise. C’est comme avoir une équipe de mécaniciens toujours à jour sur les dernières technologies : ça permet de tirer le meilleur de notre bolide, de le rendre plus performant et de rester en tête de la course.

3. Renforcer les collaborations

Le Canada offre une multitude de plateformes de collaboration pour les entreprises afin de mutualiser les ressources, partager les connaissances et stimuler l’innovation collective. Les zones d’innovation au Québec, les centres de recherche, les grappes d’innovation (superclusters), les incubateurs, les organismes de développement économiques font partie de l’écosystème de l’innovation, particulièrement riche, dont les entreprises canadiennes peuvent bénéficier afin d’innover et d’améliorer leur productivité.

Dans le monde de la course automobile, ce serait comme avoir un super garage où toutes les équipes de F1 pourraient partager leurs expertises et collaborer. Chez Mitacs, nous jouons, en quelque sorte, le rôle du mécanicien en chef. Nous mettons en relation les meilleurs cerveaux de nos universités avec les chefs d’entreprises et nous facilitons la mise en oeuvre de solutions concrètes pour répondre à leurs besoins.

Conclusion : le Canada a tout pour gagner cette course

La productivité joue un rôle fondamental dans l’économie des pays. Dans un monde compétitif, les pays ne doivent pas se laisser distancer sous peine de subir des impacts économiques et sociaux dévastateurs. En effet, la productivité joue un rôle majeur sur la croissance économique, la compétitivité internationale, la création d’emplois et le niveau de vie des Canadiens. Il est donc important pour le Canada de rattraper son retard avec les États-Unis et de nombreux pays européens.  

Grâce à mon rôle chez Mitacs, j’observe au quotidien les défis auxquels sont confrontés les entreprises canadiennes en matière de productivité. J’en conclus également que ce retard n’est pas une fatalité. En favorisant les collaborations entre le monde universitaire et les entreprises, en investissant dans la formation continue et en stimulant l’innovation, nous pouvons inverser cette tendance. Chaque partenariat de recherche que nous établissons chez Mitacs contribue à cette mission.

Améliorer la productivité est une nécessité pour garantir un niveau de vie élevé pour tous les Canadiens. C’est un défi de taille mais pas impossible à relever. En mobilisant nos forces et en misant sur l’innovation, nous avons les moyens de réussir et de reprendre la tête de la course.

La course est lancée, et le Canada a tout pour gagner. À nous de jouer !

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Crédit Image à la Une : Microsoft Designer (IA)