Le 6 janvier 2025, la démission de Justin Trudeau et la prorogation du Parlement ont entraîné l’abandon du projet de loi C-27, connu comme la « Loi de 2022 sur la Charte du numérique », qui visait à réglementer l’intelligence artificielle et à protéger les données personnelles.
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Ce retrait va au-delà d’un simple revers politique : il expose le Canada à des risques considérables de perte de compétitivité, de dépendance aux régulations étrangères et d’affaiblissement de sa souveraineté numérique, tout en passant à côté d’une opportunité de se positionner comme un leader international dans la gouvernance éthique de l’IA. Pourtant, depuis des années, le Canada occupe une place prestigieuse dans l’écosystème mondial de l’intelligence artificielle. Cette position enviable est cependant loin d’être acquise. L’absence d’un cadre réglementaire clair autour de l’IA crée un vide juridique qui plane sur la compétitivité des entreprises canadiennes.
« Nos PME et start-up (…) risquent de faire face à des barrières importantes lorsqu’elles opèrent sur des marchés étrangers dotés de régulations strictes, notamment en Europe. »
Nos PME et start-up, qui constituent l’épine dorsale de l’écosystème national, risquent de faire face à des barrières importantes lorsqu’elles opèrent sur des marchés étrangers dotés de régulations strictes, notamment en Europe. À défaut d’un cadre national aligné avec ces régulations, elles devront soit assumer les coûts d’adaptation à des normes étrangères, soit se voir exclues de marchés clés. Elles pourraient faire face aussi à un appétit moindre des investisseurs internationaux, qui seraient enclins à privilégier des environnements réglementaires plus clairs et prévisibles.
Les impacts sur les citoyens sont tout aussi préoccupants. Dans un, contexte de vide législatif, les Canadiens sont exposés au risque de discriminations algorithmiques, à l’exploitation de leurs données personnelles sans cadre protecteur et à une dépendance croissante envers des technologies contrôlées par des entreprises étrangères, principalement américaines. Pire encore, cette inertie aurait pour effet de marginaliser le Canada dans les instances internationales où se joue la définition des standards technologiques.
Pendant que le Canada hésite, d’autres grandes juridictions progressent rapidement sur la régulation de l’IA. L’Union européenne, avec son AI Act, met en place un cadre audacieux pour contrôler les systèmes d’IA à haut risque, notamment dans les secteurs de la santé, de la finance et de la justice. Bien que critiquée pour sa rigueur, cette régulation place l’Europe comme pionnière dans la gouvernance technologique. Aux États-Unis, l’approche est plus permissive : les régulations restent faibles pour stimuler un développement rapide de l’innovation, bien que certaines grandes entreprises comme Microsoft appellent à un cadre mondial plus clair. La Chine, de son côté, privilégie une régulation centralisée et autoritaire alignée sur ses objectifs de surveillance étatique.
Dans ce contexte international, le Canada aurait pu s’affirmer en adoptant une régulation équilibrée qui mette l’accent sur des valeurs démocratiques : la protection des droits numériques, l’innovation responsable et la transparence. Ce positionnement éthique aurait pu contribuer à attirer des investisseurs et des talents internationaux tout en renforçant la compétitivité des entreprises nationales. Il s’agissait également d’une opportunité pour affirmer la souveraineté numérique du pays, en réduisant la dépendance aux plateformes étrangères et en protégeant les citoyens des risques technologiques engendrés par des acteurs privés. Cela dit, maintenant que C-27 est abandonnée, comment faire pour transformer cet abandon en opportunité? Le Canada pourrait par exemple engager une série d’actions stratégiques comme relancer des consultations publiques pour définir un consensus autour de la régulation, harmoniser ses futurs standards avec les cadres internationaux en développement (comme ceux adoptés en Europe ou par le G7) et mettre en place des incitations économiques pour encourager les entreprises à développer des technologies conformes à des principes éthiques.
Dans un monde où la gouvernance technologique est devenue un outil stratégique majeur, l’inaction n’est pas une option. À défaut de relancer un effort législatif ambitieux, le Canada risque d’être marginalisé, tant sur le plan économique que géopolitique. Le 6 janvier 2025 ne doit pas devenir le symbole d’un recul, mais le point de départ d’une stratégie renouvelée permettant au pays de protéger son écosystème d’innovation, ses citoyens et son rôle sur la scène internationale.
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