Dans un contexte où la santé des Québécois pose un défi majeur, et où la crise des médias frappe de plein fouet le paysage journalistique québécois, l’attitude du Dr Luc Boileau lors d’un récent colloque sur l’avenir de la santé laisse un goût amer.
Si notre rédaction a pu avoir accès à de nombreux intervenants mobilisés lors de ce colloque fort bien organisé par l’Association Pour la Santé Publique du Québec (ASPQ), vendredi dernier, elle n’a toutefois pu s’entretenir avec le directeur national de la santé publique et sous-ministre adjoint, Luc Boileau. Ce dernier, qui empoche un salaire annuel de 336 000 $, selon le tableau des Indemnités, allocations et salaires des titulaires en 2024 du gouvernement, a clairement fait savoir qu’il ne souhaitait pas accorder d’entrevue aux journalistes présents, par l’intermédiaire des organisateurs. Cette fin de non-recevoir aurait pu passer pour de la simple indisponibilité si le Dr Boileau n’avait pas, par la suite, pris le temps de demander à l’assemblée de lui chanter « Bonne fête ». Un geste capté par notre journaliste Sacha Israël, qui témoigne d’un mépris flagrant envers le travail de la presse et son rôle crucial dans notre société démocratique, sans oublier la population qu’elle représente, avide de réponses aux grandes questions de société, puisque la santé des Québécois devrait être une priorité à débat public.
@chloe_decode Visiblement, pour Luc Boileau, se faire chanter « Bonne fête » était plus important que de répondre aux questions de notre journaliste et de la population, vendredi le 1er novembre dernier, au Colloque « Une nouvelle vision de la santé » organisé par l’ASPQ. On nous dit de faire un travail plus nuancé, rigoureux et équilibré, c’est ce que m’avait rappelé son collègue Horacio Arruda en entrevue au début de l’année, et ça s’entend! Mais si on refuse systématiquement d’être “challengé” par les journalistes, comment ces derniers peuvent-ils faire preuve de la rigueur et de la nuance qu’on attend d’eux?! #quebec #nouvelle #debat #sante #lucboileau #gouvernement #legault #journalistes #presse #fpjq #journaliste #cscience #lesconnecteurs #libertedepresse #journalisme #opinion #reflexion ♬ original sound – Chloe-Anne Touma
Le prédécesseur et collègue de M. Boileau, Horacio Arruda, également actuel sous-ministre adjoint dédié aux Mandats en prévention, promotion, planification et protection en santé publique, avait pourtant témoigné toute sa considération pour le travail des journalistes, accordant sans problème à CScience une entrevue lors d’un autre événement organisé par l’ASPQ, en février dernier : « En tant que médecin de population, j’ai toujours considéré les médias comme un très grand allié (…) Mais j’estime qu’ils ont une responsabilité sociale et éthique très importante, et que bien qu’ils fassent partie de la solution, ils doivent s’assurer de faire un traitement juste de la situation, et ne pas présenter qu’un seul côté de la médaille. » Le problème, c’est que pour faire notre travail de manière équilibrée, il faudrait déjà qu’on nous laisse poser des questions, et qu’on y réponde!
Entrevue avec Horacio Arruda : son mandat et sa vision pour une santé durable
On reproche davantage aux médias, depuis la pandémie, de manquer de rigueur, de ne pas avoir assez « challengé » les dirigeants et, plus précisément, les autorités en santé en contexte de campagne de vaccination contre la COVID, d’avoir offert des tribunes à un discours homogène, sans nuance. Du moins, c’est ce qu’on retient de la couverture médiatique marquante. Mais ce qui a le monopole de la visibilité n’est pas toujours le reflet des efforts journalistiques à la grandeur du Québec. C’est d’ailleurs souvent l’arbre qui cache la forêt. N’oublions pas tout le travail des journalistes issus de rédactions indépendantes ou de plus petits médias, allant des journaux régionaux aux magazines numériques et médias spécialisés, qui tentent de couvrir nos grandes questions de société sous de nouveaux angles, mais se font couper l’herbe sous le pied, souvent parce qu’on les empêche de faire leur travail et refuse de répondre à leur questions, aux événements auxquels ils parviennent à mobiliser un journaliste avec le minimum de ressources. Et que dire des limites occasionnées par la crise des médias, le contexte conflictuel entre nos politiques et les GAFAM, ceux-là qui règnent dans l’écosystème numérique dont nous sommes tous dépendants, mais bénéficions également, dans une certaine mesure? Faut-il encore rappeler qu’en contexte de bouleversements socio-économiques, démocratiques et numériques, et de révision du modèle de financement des médias, dont on exige toujours plus de qualité et de rigueur mais soutenons et finançons de moins en moins, il devient d’autant plus difficile pour les journalistes de mener à bien leur mission d’informer la population?
Le devoir de transparence
En tant que figure de proue de la santé publique québécoise, le Dr Boileau a le devoir de communiquer avec la population. Les journalistes sont le pont entre les décideurs et les citoyens. En refusant systématiquement les entrevues tout en s’accordant des moments de célébration personnelle, lors d’un grand rassemblement pour parler de santé, auquel des journalistes ont été conviés pour prendre part aux échanges, et non pas seulement pour relayer un message de manière passive, il donne l’impression que ses priorités ne sont pas alignées avec l’intérêt public.
Un appel à la responsabilité
L’incident n’est pas sans rappeler l’autre devoir de nos dirigeants par rapport au pouvoir démocratique que devraient incarner les médias : celui de donner l’exemple, en défendant la liberté de presse. Une responsabilité à laquelle a failli le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, en déclarant que les médias encourageaient les militants qui ont bloqué le pont Jacques-Cartier « à recommencer », en y voyant une nouvelle d’intérêt public. Sortie à laquelle a heureusement répondu la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).
Il est temps que nos hauts fonctionnaires comprennent l’importance de leur rôle public et de leur devoir de transparence. La santé publique, plus que jamais, doit être un domaine ouvert au dialogue et à l’examen minutieux des médias.
Travailler au gouvernement, au ministère de la Santé, ou comme politicien en général, n’est pas facile tous les jours. Mais le travail des journalistes ne l’est pas davantage. Le Dr Boileau devrait se rappeler qu’il a une responsabilité envers tous les Québécois. La prochaine fois qu’il voudra qu’on lui chante « Bonne fête », qu’il prenne d’abord le temps de répondre aux questions légitimes des journalistes. C’est le minimum qu’on puisse attendre d’un serviteur de l’État rémunéré à plus de 300 000 $ par an.
Crédit Image à la Une : Sacha Israël
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